Soulever des Corneliu. C'est l'incroyable titre du nouveau spectacle de Jean-Thomas Jobin.
Et sur son affiche, le pince-sans-rire de ces dames, accoutré façon Louis Cyr, porte à bout de bras trois clones de l'ex-académicien Corneliu Montano.
On cherche le second degré.
Depuis deux saisons, Les Appendices égaient les ondes de Télé-Québec de leurs sketchs sans queue ni tête. Chaque semaine à 3600 secondes d'extase, Marc Labrèche se métamorphose en souris alcoolique, en vieillard anglophone et flatulent, en Sagouine psychotronique.
Dans une pub pour les bonbons Skittles, un pauvre homme est pris d'une étrange condition: tout ce qu'il touche se change en Skittles. Dans une autre pub, un quidam se fait secouer le squelette par un lutteur sorti de nulle part jusqu'à ce qu'il crache le morceau de gomme qu'il a dans la bouche.
Nous sommes ici en territoire absurde.
En humour, le genre persiste depuis plus de 10 ans. Les Denis Drolet, les Chick'n Swell, Les Trois Accords… Le comique "pas de but" est polymorphe.
Si Darwin avait fait un peu plus de stand-up comedy, il nous aurait dit que l'humour respecte le principe de la sélection naturelle. Seules les blagues les mieux adaptées à leur environnement survivent, les autres finissant au cimetière des jokes plates (ou dans un sketch d'ouverture de l'émission Pour le plaisir).
En deux mots, ce qui fait rire une société en dit beaucoup sur celle-ci.
Si l'absurde a son public et ses ténors, c'est donc que cet humour titille quelque chose, quelque part, dans notre psyché collective.
Simon Papineau, ex-étudiant à l'UQÀM, a choisi l'humour absurde moderne comme sujet d'étude pour son mémoire de maîtrise. Il s'est demandé ce que ce genre d'humour cherchait à exprimer.
Ce qu'il nomme "l'humour absurde moderne" ne doit pas être confondu avec l'absurde des années 70 ou 80. L'humour de Paul et Paul, par exemple.
Pour le jeune chercheur, l'humour absurde moderne est apparu vers la fin des années 90. Bruno Blanchet, l'homme qui a fait naître le petit monsieur pas de cou à La fin du monde est à sept heures, est, pour Simon Papineau, le "père" du genre.
Cela dit, pourquoi l'anti-punch provoque-t-il l'hilarité? Pourquoi aime-t-on ces gags impossibles, inoffensifs, qui ne dénoncent rien ni personne?
Selon Simon Papineau, l'humour absurde moderne en dit long sur nous.
Ce genre comique, il le situe dans un contexte social où l'individu jouit d'une grande liberté de choix.
Affranchi des carcans de la religion ou d'une famille étouffante, l'homme contemporain a devant lui beaucoup de portes ouvertes. Il peut devenir bouddhiste à temps partiel, choisir de ne pas avoir d'enfants, se marier à Las Vegas devant un sosie d'Elvis ou retourner à l'université à 80 ans.
Parce que chacun peut faire ce qui lui plaît, notre société a fini par élever la tolérance envers autrui au rang de valeur cardinale.
Si mon voisin veut porter un sombrero à l'épicerie, qui suis-je pour le juger?
"En fait, écrit Simon Papineau, les gens se disent plutôt: "Pourquoi pas?" Avec l'absence de sens, tout devient "possible", ce qui rejoint le cour même de l'humour absurde. […] Si l'humour est le reflet de quelque chose, poursuit-il, l'humour absurde refléterait le "chaos social" dans lequel nous sommes plongés et où tout peut arriver."
Et voilà que, soudain, cet humour du non-sens prend tout son sens.
Overdose de nouveauté
L'humour absurde serait aussi la réponse d'une société qui a tout vu, qui a soif de nouveauté.
D'autant plus qu'avec l'omniprésence des humoristes au Québec, le besoin de renouveler les stocks de blagues est une lutte de tous les instants.
Au-delà d'un certain nombre, les gags sur les relations de couple, les Témoins de Jéhovah, les femmes au volant et les fonctionnaires ne font plus rire personne.
"C'est un peu comme l'image d'un junkie qui a besoin d'une dose toujours plus forte afin de retrouver le même état euphorique", écrit Simon Papineau. Alors, comme l'humour absurde est basé sur la surprise et l'imprévisible, il viendrait "renflouer ce désir de constante nouveauté".
Enfin, l'humour absurde moderne serait le reflet d'une désillusion généralisée devant les enjeux sociaux ou politiques. Rire de rien, c'est le triomphe de l'indifférence, du je-m'en-foutisme.
Si, jadis, Yvon Deschamps ou Les Cyniques se moquaient des institutions, de l'Église et tout ça, aujourd'hui, on rit de n'importe quoi.
C'est fuir la réalité. Ou pas… Car, comme le dit Jean-Thomas Jobin dans le mémoire de Simon Papineau: "Ne pas prendre position, c'est prendre position."
Aurait-on trouvé le second degré du titre de son spectacle, Soulever des Corneliu?
« Pourquoi aime-t-on ces gags impossibles, inoffensifs, qui ne dénoncent rien ni personne? »
Parce qu’il n’y a alors personne qui va se sentir visé, ridiculisé ou rabaissé, donc personne pour s’offusquer. On a alors un consensus tout gentil car tout le monde il est content.
« Small things amuse small people » qu’ils disent. Ca en dit effectivement long sur nous…
(Note: ne pas se méprendre, ce n’est pas parce qu’un humour est simplement offensif et dénonçant qu’il est intelligent pour autant)
apres des décennies d’humour sur tout et sur rien , vient la TERREUR , les enfants adorent.
Le plus étonnant dans tout ça – pour ne pas dire le plus drôle… – c’est que cette forme d’humour n’en est pas une.
Une absurdité n’est pas de l’humour, si absurde soit-elle. Une absurdité, c’est une absurdité, point.
Le soi-disant humour absurde n’est véritablement qu’une forme d’expression visant à provoquer l’étonnement, en raison de la non-pertinence entre eux des éléments juxtaposés. L’effet sera de la surprise, et non pas du rire.
À mon avis, le recours plus fréquent à cette forme d’expression dénote d’un sérieux vacuum du côté de l’imagination. Et, possiblement, d’un consternant manque de talent du côté de la relève. Ou, encore, d’une certaine répugnance à l’idée de se triturer un peu les méninges…