La vérité est une vieille dame moche
L'épisode Clotaire Rapaille, à défaut d'avoir marqué un tournant dans l'histoire de la ville de Québec, pourrait en revanche enrichir notre beau parler québécois d'une nouvelle expression.
Car Clotaire nous a fourni une occasion en or d'ajouter une nouvelle définition au mot rapaillage. Ce terme d'argot français signifiant "rassembler" pourrait désormais vouloir dire: "geste qui consiste à ajouter des éléments de fiction à son curriculum vitæ".
Rétroactivement, on pourrait dire que l'ex-candidat à la chefferie de l'ADQ, Éric Caire, a rapaillé avant la lettre en ajoutant à son C.V. un diplôme qu'il n'a jamais obtenu.
Il n'est pas seul. Voilà quelques années, le magazine Jobboom nous apprenait que, selon les études, entre 10 % et 30 % des gens rapaillent leur C.V., ne serait-ce qu'en transformant un malheureux congédiement en courageux départ volontaire.
J'ai l'impression que la suite du monde nous fournira moult occasions d'appeler le rapaillage en renfort.
Cela me fait penser à un autre mot ayant récemment fait peau neuve. Il nous vient de l'anglais, et j'ai nommé: truthiness.
C'est le 17 octobre 2005, à son émission The Colbert Report, que l'animateur Stephen Colbert donnait malgré lui un nouveau sens plus sarcastique à ce vieux mot oublié de la langue de Shakespeare.
Définition (moderne) de truthiness: "pseudo-vérité qu'une personne tient de ses intuitions, de ses émotions, de son vécu plutôt que des faits".
En gros, c'est une vérité qui sent la vérité, mais qui n'en est pas une.
On a fini par associer le terme au spin politique et à l'emberlificotage en général. Et parce qu'on a trouvé qu'il définissait fort bien un élément incontournable de la nature humaine, le mot s'est vite répandu.
En 2005, truthiness était même élu mot de l'année par l'American Dialect Society, passant devant podcast et Sudoku.
Or, malgré tous ces honneurs, c'est à James Frey que truthiness est le plus redevable.
Grâce à cet écrivain, truthiness est sorti des cercles d'amateurs de néologismes pour entrer officiellement dans la bouche de l'homme de la rue.
En 2006, le Chicago Tribune titrait "The Truthiness Hurts" un article révélant plusieurs inventions dans le roman autobiographique de Frey, A Million Little Pieces.
Les Américains ont alors appris que le bouquin qu'Oprah Winfrey avait suggéré à son club de lecture, que le livre qui trônait au palmarès des best-sellers du New York Times, que l'histoire touchante de ce junkie vendue à plus d'un million de copies… était une imposture.
Pour rendre son récit plus poignant, Frey a exagéré certains passages et fabriqué des scènes qu'il n'a jamais vécues. Exemple: dans son roman, il prétend avoir passé 39 jours en prison, alors qu'il n'est pas resté plus de cinq heures derrière les barreaux.
Bref, l'affaire a fait scandale.
L'écrivain s'est justifié en parlant d'une "vérité émotionnelle". Une vérité qui vient des tripes, et non des faits. Truthiness.
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Pourquoi des James Frey s'inventent-ils une vie? Pourquoi des Clotaire Rapaille rapaillent-ils?
Sur la page consacrée au mot truthiness sur le site du dictionnaire MacMillan, on apprend que la vérité étant "souvent gênante ou tout simplement ennuyante", les vérités arrangées deviennent fort utiles.
Parce que la vraie vérité est une vieille dame moche.
Dans The Invention of Lying, une comédie de Ricky Gervais (The Office), le héros vit dans un monde où le mensonge n'existe pas, où la bullshit, le rapaillage ou le truthiness sont des concepts inconnus.
Et c'est d'un ennui mortel.
Jusqu'au jour où le héros ment pour la première fois. Il découvre alors la clé pour mettre le monde à ses pieds.
Au pays des honnêtes gens, les menteurs sont rois.
Le mensonge a cette force: il permet à l'homme ordinaire de sortir du lot.
Il permet au politicien sans envergure de sonner comme un chef d'État. Il permet à l'écrivain pas connu d'écouler son autobiographie. Il permet à l'habile publicitaire d'encaisser des sommes considérables pour "psychanalyser une ville".
Bannissons le mensonge, et l'on n'aura plus qu'à dire adios à bon nombre de gens que l'on considère aujourd'hui comme remarquables.
Rares sont ceux qui parviennent à se démarquer en n'étant qu'eux-mêmes. Car la plupart du temps, la vérité est une vieille dame moche. Elle ne fait pas tourner les têtes. Pas étonnant qu'elle dépense autant en cosmétiques.
Quel est le rapport du titre avec votre propos, monsieur ? J’en conclue que vous considérez que la vérité est une chose moche. Toutes les vieilles ne sont pas moches, mais bien des chroniqueurs le sont. J’allais lire votre article, attirée par les premiers mots du blogue quand s’ajoute le mot moche dans le titre. C’est moche de votre part et malgré que le texte puisse avoir une certaine valeur, je n’en lirai pas une ligne.
En effet, vous auriez dû lire la chronique avant de conclure, Mme Bélanger.
Mon titre fait référence au fait que la vérité, souvent, n’est pas très intéressante, d’où la propension de certains à vouloir l’enjoliver.
Pour le titre, je faisais un clin d’oeil à l’expression de Régis Labeaume qui avait traité la ville de Québec de « vieille dame sexy ».
Or, je n’écris nulle part que toutes les vieilles dames sont moches. Certaines le sont. D’autres non. De toute façon, ce n’était pas le sujet de la chronique.
Il est évident que lorsqu’on commente un texte sans en avoir lu une seule ligne, en se frustrant à propos d’un mot dans le titre, on peut facilement puiser dans ses émotions des opinions qui n’ont aucun lien avec la vérité.
C’est un peu ce que les Américains nomment « truthiness ». Et c’était aussi le sujet de cette chronique que vous n’avez pas lue.
Au plaisir!
Clotaire Rapaille a réussi à jeter de la poudre aux yeux pour une seule et bonne raison: il est français ! Comme l’expression courante le dit si bien: « A beau mentir qui vient de loin » et pour nous pauvres québecois naïfs et sans malices, nous avons tendance à être impressionné par toutes les balivernes que peuvent raconter nos cousins français et Dieu sait qu’ils en racontent beaucoup ! Il est vrai aussi qu’un vérité embellie par un aura de mystère ou d’héroïsme est beaucoup plus intéressante que notre vécu. Non monsieur Rapaille nous n’avons pas connu d’aussi près les deux grandes guerres ni même le moindre attentant terrorisme qui en valent la peine. Mais je préfère de beaucoup vivre avec notre vérité qu’avec le mirage du moindre mensonge. Tout finit toujours par se savoir un jour ou l’autre.
Toute vérité n’est pas toujours bonne à dire, dit-on parfois.
La vérité choque, disait-on dans mon quartier, lorsque j’étais « flo » lorsqu’on cherchait à insulter quelqu’un en s’appuyant sur sa réaction indignée pour en rajouter. Rajouter l’insulte à l’injure, la plupart du temps…
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En d’autres termes, la vérité est (trop) souvent dissociée de sa définition primaire pour simplement être « définie » par son effet ou son but sublimé.
La vérité est alors « moche », « déplaisante », « embarassante », « vendeuse », « bouleversante », etc. Ce qui est tout à fait étrange puisqu’on ne définit pas quelque chose par l’effet qu’il produit ou par l’image spectaculairement dérangeante qu’elle projète mais bien par ce qui le constitue essentiellement.
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En fait, la vérité n’est pas en soi laide, ennuyante ou ne correspond en rien à une quelconque étiquette ou à un quelconque qualificatif qu’on voudrait lui associer.
À la base, la vérité est bien souvent une « simple » coincidence ou tout bonnement une simple correspondance (plus ou moins fidèle) entre la « réalité » et le discours ou l’image censée la représenter correctement.
Du moins, c’est ce que j’ai appris.
Malheureusement, à l’usage dans les médias et en politique, entre autres, la vérité devient toute autre et se détache de sa définition – pour ne pas dire de son but. La vérité doit être vendeuse ou excitante
Et la raison pour laquelle, selon moi, la vérité est une « vieille dame moche », la plupart du temps, ne tient pas tant de ce qui est dévoilé dans le processus de révélation de la vérité mais bien dans le fait « moche et plate » que la vérité est un concept bien galvaudé et idéalisé.
Bref, ce qui me fascine dans l’idéalisation de la vérité et, par extension, celui de la franchise ou du « parler vrai », c’est qu’on essaie souvent de l’appréhender en s’appuyant sur de solides préjugés sur la vérité elle-même ou ce que représente la « franchise » ou l’honnêteté du discours.
Ainsi, la vérité doit absolument « éclater » pour être véritablement entendue. En ce qui concerne la franchise, celle-ci est toujours mieux perceptible (sans être mieux perçue) lorsque quelqu’un révèle une information embarassante pour lui-même.
Et on en vient ici aux confidences raccoleuses ou larmoyantes qui ont instantanément l’aura de la vérité et le sceau de la franchise dès lors qu’elle révèle une part repoussante ou specataculairement déplaisante de la réalité que nous appréhendons au quotidien personnellement.
D’ailleurs, ce qui m’étonne aussi c’est lorsqu’on dit d’une personne qui avoue un penchant inavouable en public que celle-ci a le « mérite d’être franche »… à défaut de faire preuve de pudeur ou de discrétion à propos de sa vie privée, notamment.
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Anyway, tout ça pour dire que la vérité n’est pas tant que ça une « vieille dame moche » mais plutôt une beauté ou une laideur incécente et quasiment luminescente. Pour ne pas dire fluorescente. Car dans nos merveilleux journaux à potins (et tous les quotidiens le sont devenus avec le temps et la dérive de l’info-spectacle – en témoigne l’affaire surréaliste de Tiger Woods) la vérité est davantage une affaire de franchise « cheap », un étalage flamboyant d’une beauté trafiquée à l’extrême ou la répétition complètement « fake » d’un bruit de nouvelles continues qui recouvrent allègrement une réalité banale mais valable. Et ce, au profit d’une vérité vraiment vieille… mais pas nécessairement laide puisque vieille comme le plus vieux métier du monde peut l’être.
Pierre Légaré avait déjà crée le mot « agrémenteur » dans l’un de ses spectacles. Ça roule mieux sur la langue que « truthiness », même si cela n’a pas exactement la même connontation.
Voilà environ deux milles ans déjà, il s’est trouvé quelqu’un qui commençait souvent ses causeries par un « En vérité, en vérité je vous le dis… » – ce qui a eu pour effet d’en indisposer certains, à ce qu’on nous répète depuis ce temps…
Mais, plus prosaïquement parlant, la vérité existe-t-elle vraiment? Peut-être. Sait-on jamais.
Un acteur et auteur dramatique français, Sacha Guitry (1885-1957) a pour sa part exprimé quelques réserves à ce sujet. Il a écrit:
« Ce qui probablement fausse tout dans la vie c’est qu’on est convaincu qu’on dit la vérité parce qu’on dit ce qu’on pense. »
Et puis, abordant la question bien différemment, sur un ton de boutade, il y a cet écrivain italien du nom de Cesare Pavese (1908-1950) qui a témérairement lancé ce qui suit:
« Ces philosophes qui croient à l’absolue logique de la vérité n’ont jamais eu à discuter serré avec une femme. »
Ah… Il y en a qui jouent avec le feu – peut-être sans même s’en rendre compte – lorsqu’ils s’aventurent à vouloir nous parler des vraies choses…
Enfin, de manière moins caustique, je vous propose en terminant une citation du romancier et dramaturge français Fernand Vandérem (1864-1939), lequel a émis l’opinion suivante:
« On a si peu l’habitude du vrai que la moindre vérité, même la plus placidement émise, prend tout de suite un air d’insolence. »
Et après cela, il arrive que l’on veuille nous faire jurer de dire la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité!