Mercredi dernier, sur la route entre Sept-Îles et Port-Cartier, un bonhomme m'a raconté la pire des histoires de pêche. En plus, elle est vraie.
Celui qui habite la région depuis 1954 a connu la belle époque de la pêche à la morue dans la baie des Sept Îles. "Dans le temps, les chalutiers arrivaient ici le matin et à midi, ils étaient déjà remplis de poissons", m'a-t-il expliqué en me montrant la mer longeant l'autoroute.
Or, plus les années passaient, plus il en fallait, du temps, pour remplir de poissons un chalutier. "Dans les années 80, ça leur prenait quasiment une semaine!"
Mon bonhomme a vu la dernière journée de pêche à la morue dans la baie. C'était au début des années 2000. "Les chalutiers sont venus. Ils n'ont à peu près rien pris. On ne les a jamais revus."
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Il y a un truc dans l'industrie de la pêche qui m'échappe. Une sorte de gros bon sens qui semble absent.
La pêche, c'est une forme de chasse, non? On prend des bêtes dans leur milieu naturel et on les mange.
Maintenant, disons que la population mondiale, tout à coup, développait une envie de manger de la viande de chevreuil deux ou trois fois par semaine. Et mettons qu'au lieu d'élever des chevreuils dans des enclos, on continuait à le chasser dans la forêt.
Sauf que pour suffire à la demande, imaginons qu'on invente des monstres mécaniques capables de racler un bois avec tout ce qu'il contient: les arbres, les plantes, les couleuvres et, bien sûr, les chevreuils.
Absurde? Depuis des années, c'est exactement ce que l'on fait avec la mer et ses poissons.
Louez le documentaire The End of the Line. Il porte sur le drame de la surpêche.
On y apprend, entre autres, que la flotte de bateaux de pêche qui sillonne actuellement les océans peut attraper 250 fois plus de poissons que ce que l'écosystème marin peut fournir sans dépérir.
Dans le film, des écologistes soutiennent qu'au rythme où vont les choses, la mer sera vide en 2048.
Je me méfie généralement de ce genre de prédictions alarmistes. Il y aura certainement encore de la vie dans l'océan en 2048. Mais laquelle?
Toucher le fond
Il n'y a à peu près plus de morue dans la baie des Sept Îles. Les pêcheurs se rabattent donc sur ce qui traîne au fond: des bestioles à dix pattes qui pullulent depuis que les gros poissons ne font plus la loi.
Aujourd'hui, à Sept-Îles, on pêche des crevettes de Matane. Oui, bon, elles sont transformées à Matane, mais elles viennent de Sept-Îles. C'est une des choses que le touriste apprend assez vite quand il débarque dans la région.
Jadis, les chalutiers jetaient les crevettes, les crabes et les homards par-dessus bord. Ça ne valait rien. C'était, pour ainsi dire, de la cochonnerie. Désormais, faute de belles grosses morues, on commercialise ces coquerelles de mer. Et parce que leur chair est délicieuse, on est tranquillement en train de vider l'océan de ses "fruits".
Mercredi dernier, l'indignation de mon bonhomme portait justement sur la pêche à la crevette de Matane (à Sept-Îles). "Ils prennent les crevettes alors qu'elles sont pleines d'oufs… Qu'est-ce que tu penses que ça laisse comme générations futures?"
Lorsqu'on aura pris toute la crevette, tout le crabe et tout le homard, quelle espèce y passera? Que restera-t-il à piller dans l'océan? De la méduse? Du plancton, peut-être? Pourquoi pas les algues?
Ne riez pas.
La province a depuis peu son premier Centre d'étude et de valorisation des algues marines du Québec.
Les chercheurs du Centre tentent de trouver des débouchés commerciaux aux plantes aquatiques. Selon L'Actualité, ils mènent actuellement une recherche sur les algues rouges qui, une fois séchées, "se consomment comme des croustilles".
Le marché mondial de l'algue est de sept milliards de dollars. Les algues, c'est l'avenir.
C'est peut-être même tout ce qu'on trouvera, dans quelques décennies, au rayon Poissonnerie.
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Mercredi dernier, sur la route entre Sept-Îles et Port-Cartier, mon bonhomme m'a montré des bandes de terrain défrichées à sa gauche. "Ça, c'est l'avenir", m'a-t-il dit.
Parce que la pêche n'est plus ce qu'elle était, il faut bien trouver autre chose pour faire rouler l'économie de la région. Alors, d'un côté du chemin, on a commencé à créer des bleuetières. "Des machines sont venues. Elles ont coupé tous les arbres et elles ont aplani le terrain." Maintenant, sur ce sol sablonneux, on cultivera des bleuets de Sept-Îles.
Chanceux comme ils sont, je suis sûr qu'on les appellera quand même "bleuets du Lac-Saint-Jean".
J’ai quitté la côte-nord en 1985 et déjà le déclin dans la pêche se faisait sentir; le crabe des neiges jouissait d’une popularité montante, pour ne pas dire galopante.
Les cris d’alarme nous rendent sourds s’ils sont trop légers…
La donnée de 2048 est tiré d’un article de »Nature » qui avait fait un tollé dans le monde scientifique en affirmant que seules les méduses et quelques autres espèces apparentés pourront survivre dans les océans au-delà de cette date, si on tient compte du rythme et des méthodes de pêche actuelles. L’article a déjà été publié il y a 8 ou 9 ans. Les pêcheurs, quant à eux, savaient ce qui se passaient sous les eaux bien avant.
Et voilà que certains journalistes, chroniqueurs et »people » commencent à tendre l’oreille et à s’y intéresser. On peut dire qu’il était plus que temps, pour ne pas dire autre chose. Le téléjournal a même passé un reportage, assez soft, mais un reportage quand même, sur l’effondrement des stocks de saumon de la côte ouest.
Ça démontre à quel point certains sujets pourtant fondamentaux (vous imaginez, presque plus de poissons dans 30 ans!!!) sont littéralement balayés du revers de la main par les grands médias. Ça me choque qu’on parle autant du hijab et du traffic sur le pont alors qu’on bouffe des OGM, qu’on s’aligne sur des guerres de l’eau et qu’on tente en douce de nous faire passer des nanotechnologies sur le dos.
@ Marc Donati
Vous avez absolument raison.
Cela dit, dans mon cas bien personnel, ce n’est pas la première fois que je parle des poissons en tant que journaliste. L’avenir de l’océan m’intéresse. Or, je sais que ce genre de chronique ne soulèvera pas les foules. Voir le nombre de commentaires laissés ici.
Oui, la faute est aux grands médias (en partie). Vous ne venez pas non plus d’inventer cette critique, si vous me le permettez.
Mais la société en général s’en sacre tout autant, croyez-moi. Ça fait tellement longtemps que je l’écris que j’ai l’impression d’être redondant.
Est-ce que la population aime les petits sujets people parce que c’est ce que les médias leur donnent, ou est-ce que les médias traitent de sujets people parce que c’est ce que les gens aiment? L’oeuf ou la poule? Je n’ai pas la réponse à cette question.
Mais dans un cas comme dans l’autre, c’est poche.
Très juste.
Continuer à en parler et à être redondant constitue peut-être un début de solution. À force de marteler les faits et à sonner l’alarme, certains sujets finissent par devenir populaires. Alors continuons à être plates et parlons-en. Que ce soit de la mort de nos océans ou de l’inertie des grands médias.
Déprimant.
Intéressant échange puisqu’il nous mène sur la voie de la dictature! Hitler disait que les masses étaient trop stupides pour comprendre. Mais asséner à répétition une Vérité, quand on est journaliste, et si intouchable ladite Vérité est, c’est faire œuvre de propagande. Et ça aussi c’est un problème.
Les médias de masse représentent la pire forme de communication qui soit… si on exclut toutes les autres.
On est bien parti pour vider les océans de tout ce qui peut se vendre. Il y a aussi les japonais quoi continuent à chasser les baleines même si elles sont en danger de disparaître. Selon eux ce serait pour faire avancer la science. Mon oeil ! On sait que la viande et l’huile de ces mammifères se vendent très bien.
L’homme est un prédateur. Pas loin de chez moi, le Club de Chasse et Pêche de Ste-Anne de la Rochelle invite ses membres à sa chasse annuelle à la marmotte. La plupart du temps ces petites bêtes ne sont que blessées par les balles des chasseurs et meurent au bout de leur sang dans leur terrier. S’amuser à tuer des animaux, tout un < < sport >>. Il y a quelque chose qui cloche dans la tête des chasseurs.
C’est triste à voir !
@ Sebastien Lavoie.
J’entends mal votre comparaison avec Hitler et la propagande nazie.
Premièrement, le dictateur d’Allemagne n’assenait pas des vérités vérifiables par la science mais des mensonges destinés à attiser la haine de son peuple. Je ne crois pas que ce soit le cas ici lorsque TVA décide de parler ou non de la surpêche. Le parallèle est plus que lourd.
De nos jours, dans notre société dominée par l’individualisme à outrance, j’ai l’impression que le mot »propagande » a le dos très large. Il sert à désigner l’ensemble des idées nouvelles qui viennent quelque peu contrebalancer notre conception du monde basé sur le la liberté individuelle, même s’ils vont dans le sens du bien commun. Tout est jugé comme intrusif et moralisateur.
Or, à force de respecter l’Autre dans ses choix les plus absurdes en évitant à tout prix de »choquer » et de »bousculer », notre société stagne.
Suivant votre raisonnement, je suggère qu’on abolisse tout simplement tous les médias présents sur cette Terre, de même que les écoles et toute forme d’éducation en général. Comme ça, personne ne nous dira quoi faire, on aura la paix et on sera enfin libres de faire et de penser ce qu’on veut.
@ Marc Donati
Propagande : « Action exercée sur l’opinion pour l’amener à avoir certaines idées politiques et sociales, à soutenir une politique, un gouvernement, un représentant » (Robert 1, 1993).
Ne confondons pas tout. Les médias informent, la propagande désinforme. Les médias ne travaillent que pour la Vérité. La propagande peut aussi utiliser des vérités, mais c’est alors pour masquer une autre Vérité…
Vous avez écrit qu’il faudrait marteler ces messages sur la surpêche (« Continuer à en parler et à être redondant constitue peut-être un début de solution. »)
Moi, je crois que les journalistes, des témoins, n’ont pas le droit de décider de masquer les autres sujets, que ce faisant ils cesseraient d’être témoins pour devenir des lobbyistes ou, si vous voulez, des propagandistes.
Je vois le journaliste comme un homme debout sur une butte qui ne fait que rapporter ce qu’il voit, qui tâche de voir d’où vient le vent. C’est parce qu’il ne fait que rapporter les faits qu’il est crédible et que (certains) l’écoute. Bien sûr, après, il dira souvent : « Je vous l’avais dit ».
Il n’a pas à se mêler outre mesure aux débats ou tenter de les dicter. Parce que ça, c’est le rôle de la politique, un monde complémentaire et trop négligé, ici et maintenant. On a un problème avec le monde de la politique, on l’a mis à mal, il ne faudrait pas corrompre le monde journalistique pour autant.
Est-ce que je m’égare, monsieur Proulx?
@ Sébastien Lavoie
En effet, on s’égare un peu du sujet de la chronique, mais bon… On parle de journalisme et c’est bien aussi.
Par contre, le journalisme est une profession plus multicolore que ce que vous voyez. Oui, il faut rapporter les événements.
Mais ce ne sont pas ce que font les chroniqueurs (ce que je suis). Nous offrons une perspective, un ton, une façon de présenter certains sujets qui peuvent toucher, choquer, faire réagir, etc.
Ce n’est pas inutile.
Le monde du journalisme est composé d’un paquet de gens qui présentent l’information d’un paquet de façon, avec un paquet de moyens ou d’angles différents.
C’est l’addition de ces points de vues, des différentes approches journalistiques qui forment une partie de ce que l’on nomme la compréhension du monde.
À mon avis, cette diversité est précieuse.
Bien sûr! cher monsieur Proulx,
J’aurais dû préciser que ceci était une généralisation… La chronique permet plus aisément aux journalistes d’exercer leur précieuse intelligence en ce sens qu’elle maximise (par la forme) la capacité de ceux-ci à faire des liens entre les faits exposés par les « simples » journalistes.
Mais toute la logique journalistique, me semble-t-il, découle de leurs impératifs à eux, les « simples » journalistes.
Je m’insurgeais simplement contre le « martèlement » prôné par un de vos lecteurs, idée qui me répugne. Je disais qu’un fait révélé une fois, c’est de l’information. Un fait révélé cinq fois, c’est de l’éducation. Un fait révélé dix fois, c’est de l’éducation de masses et que ce concept est dangereux… Et, au-delà de ça, peu importe le sujet, c’est de la propagande.
Je me souviens d’avoir remercié Denise Bombardier, la première fois que je l’ai entendu défendre l’importance de la bienséance. Puis, d’avoir été agacé de l’entendre une cinquième fois sur le même sujet (mais les nouveaux lecteurs ont des droits!, ai-je nuancé alors). La dixième fois que j’ai entendu les mêmes arguments, j’étais vraiment écoeuré et hostile envers la chroniqueuse, que j’ai fini par rejeter.
Si je lis le chroniqueur Steve Proulx, c’est que d’une semaine à l’autre, il m’amène à conceptualiser des problématiques qui me sont inconnus ou à voir certains sujets sous un angle inédit. S’il martelait toujours les mêmes messages, plutôt que de m’ouvrir sur le monde, j’aurais l’impression de me fermer sur celui-ci. Je ne veux pas lire un homme en mission, mais un éveilleur comme notre hôte…
C’était mes 2 cennes.
@ Sébastien Lavoie
Je vous suis à 100% dans votre raisonnement!
Je pense qu’un chroniqueur doit sans cesse cultiver sa curiosité, renouveler ses réflexions, au lieu de constamment brasser la même soupe.
C’est un travail. J’ai donc des doutes qu’on puisse être pertinent en tant que chroniqueur pendant plusieurs années. Peut-être. Je l’ignore.