Angle mort

Twitter ou téteux?

Vous vous souvenez des blogues?

À l'époque, il était in d'épiloguer sur l'anonymat et son corollaire: les commentaires haineux et vulgaires laissés en ligne par Chosebine1974 ou Tapon83.

Les intellectuels aimaient comparer cette prose à du chiendent virtuel.

Le débat a connu ses 15 minutes de gloire. Puis, de façon prévisible, le sujet est devenu redondant. On est finalement passé à autre chose. Il pleut toujours du fiel dans les blogues, mais ça n'intéresse plus personne. C'est comme les pluies acides. C'est fou à quel point on n'en parle plus.

La mode est maintenant aux réseaux sociaux. Bien sûr, les gourous dans le domaine me répondront que je suis en retard, que le Web est déjà ailleurs et que blablabla…

Disons seulement que, pour aujourd'hui et peut-être encore demain, un tas de monde et son voisin sont sur Facebook ou Twitter.

Ajoutons aussi qu'un tas de monde a, depuis, jeté sa vie privée avec l'eau du bain.

Oh oui, madame! On s'ouvre sur ces réseaux-là.

Ils sont plusieurs à offrir une couverture quotidienne de l'actualité de leur nombril.

Juste la semaine dernière, j'ai suivi jour après jour l'évolution de la peine d'amour de mon ado de cousine à travers ses statuts Facebook. En prime, un auteur célèbre a mangé des Cheerios, un gars que je n'ai jamais rencontré a confié avoir rêvé de son orthodontiste et un cheptel d'amis artistes/journalistes/créateurs a plogué ses affaires, moi y compris.

Son nom, sa date de naissance, son état civil, son orientation sexuelle, le nom de son partenaire, son cv et son album de photos de vacances font partie du lot d'informations de base révélées sur Facebook.

La vie privée? Tout le monde s'en fiche, désormais, ai-je lu dans un article attrapé sur un site d'info techno états-unien. "Les internautes se sont habitués à l'exhibitionnisme informationnel." D'ailleurs, 40 % des gens qui possèdent un profil en ligne ont désactivé les paramètres de confidentialité. N'importe qui peut suivre leur existence virtuelle.

Pourquoi fait-on si peu de cas de sa vie privée en ligne?

J'ai ma petite idée là-dessus: c'est que les gens, de toute façon, ne sont pas tout à fait eux-mêmes sur les réseaux sociaux.

Les miettes de notre quotidien que nous laissons traîner sur Facebook ou Twitter n'ont rien à voir avec notre vie privée. Elles servent à dorer notre image publique. On veut être vu comme fin, drôle, philosophe, engagé (mais pas enragé), heureux, empathique et sympathique. On veut être aimé.

Et voilà le résultat: si l'anonymat des blogues a engendré des diarrhées de commentaires venimeux, l'exhibitionnisme stratégique sur les réseaux sociaux a créé l'effet inverse. C'est la foire du jovialisme 2.0.

Le moindre de mes amis lâche sur son profil Facebook une pensée sur le bonheur de faire une sauce à spag en famille, et j'entends immédiatement le bouton "J'aime" cliquer.

On remarquera d'ailleurs que Facebook n'offre pas de bouton "Je n'aime pas". Le message est clair: "On encense ou on se tait."

Nous sommes ici au royaume de la tape dans le dos, du renforcement positif, du léchage d'ego. Dans les réseaux sociaux, tout le monde il est d'accord, tout le monde il est heureux, tout le monde il est beau, bon, gentil. Tout le monde, surtout, il est téteux.

On est solidaire de toutes les causes. On aime tout ce que font nos amis. On félicite en série. Et quand c'est l'anniversaire de quelqu'un, on beurre son babillard de fleurs.

Je me suis amusé la semaine dernière. J'ai laissé sur Facebook et Twitter quelques commentaires peu complaisants. Par exemple, j'ai dit que j'en avais marre qu'on interviewe la "papesse" du Web, Michelle Blanc, dans chaque article portant sur les réseaux sociaux. En privé, certains m'ont dit que j'avais eu du courage, de l'audace, un front de bouf. "Oser dire ça!"

Pourtant, la critique est tout à fait légitime. Plusieurs, d'ailleurs, pensent la même chose. Mais personne ne le dit. Dans ce cas comme dans d'autres, on n'ose pas vinaigrer ce bel oasis de bonheur et de plaisirs à partager.

Sur Facebook, le sarcasme, la remarque désobligeante, voire le simple débat, sont à peu près absents. Les gens s'expriment et attendent les bravos. Mais rarement ai-je été témoin d'un véritable débat avec des pour et des contre. Rarement.

Un chroniqueur du USA Today faisait récemment la même observation que moi. À son avis, nous nageons de plus en plus dans une sorte d'Internet "aseptisé", où le ton badin est utilisé à toutes les occasions. Du coup, pour lui, Facebook et Twitter, c'est la mort de l'authenticité…