Sous-culture catho
Je n'ai pas fait d'études poussées sur la jeunesse des années 2000. Or, j'ose affirmer que Léa Clermont-Dion n'est pas une jeune femme de 19 ans typique.
À moins qu'on me dise que c'est la nouvelle mode chez les jeunes de citer Kant, d'être nostalgique du cours classique ou de parler de géopolitique africaine.
Léa Clermont-Dion est un ovni.
À 14 ans, elle donnait des conférences sur l'hypersexualisation. Ex-anorexique, elle a milité pour que le gouvernement adopte la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée. Ce fut fait en octobre dernier. Et Léa Clermont-Dion était invitée à Tout le monde en parle pour en parler.
Ça commence bien un CV.
Léa s'est intéressée à la politique à l'âge de 12 ans. C'était en 2003. Jean Charest prenait le pouvoir… "et il est encore là", soupire la quasi-gamine aux cheveux coupés court, rencontrée au Atomic Café sur Ontario. "Je suis blasée par rapport à la société, ajoute-t-elle. La modernité a échoué."
Léa Clermont-Dion est le genre de fille qui dit ce genre de phrases.
Parenthèse: je me demande si les années Charest et Harper n'auront pas, au final, engendré une génération de jeunes cyniques. Ces deux incroyables leaders auront-ils découragé de la chose politique ceux qui ont le plus d'énergie et de fraîcheur pour inventer l'avenir? Je l'ignore.
Je n'ai pas fait d'études là-dessus non plus.
Cela dit, j'avais donné rendez-vous à Léa pour parler d'un tout autre sujet.
C'est que, voyez-vous, parmi les intérêts de cette curiosité de 19 ans, il y a le patrimoine religieux catholique.
Depuis quelque temps, Léa collectionne les rencontres avec des prêtres, des séminaristes, des sours, des moines, des laïques. Des gens qui ont donné leur existence au Seigneur. "Je suis consciente qu'il s'agit d'une espèce en voie de disparition", dit-elle.
Son projet intitulé Amen, qui est devenu une expo de photos au Collège de Bois-de-Boulogne, veut saisir ce qu'il reste des religieux au Québec (et ce que ces restes ont à raconter).
C'est moins le sujet d'étude que l'étudiante qui est significatif ici.
Léa Clermont-Dion est une jeune athée pas baptisée, née de parents non pratiquants, qui a eu le goût de s'intéresser aux employés du Bon Dieu.
Or, elle n'a ni la rancour ni la charge émotive des vieux vis-à-vis du clergé. Cela lui donne un regard vierge. "Les religieux, dit-elle, je les vois un peu comme s'ils faisaient partie d'une sous-culture."
La religion catholique, une sous-culture? On est rendus là.
Je l'écoute, et j'ai l'impression d'entendre un collègue journaliste me parler de son enquête étonnante sur les dessous de la communauté sado-maso. L'attrait pour l'étrange a été à l'origine de bien des reportages. Mais qu'une jeune femme, certes singulière, soit attirée par ces mystérieuses bibittes que sont les représentants de l'Église catholique au Québec, ça en dit long…
L'Église (et son personnel) est devenue marginale.
Là-dessus non plus, je n'ai pas fait d'études. D'autres s'en sont chargés.
Un article dans Le Devoir en avril dernier titrait: Est-ce la fin de l'Église catholique au Québec?
En 1957, 88 % de la population québécoise fréquentait la messe du dimanche, y lisait-on. En 2000, c'était 20 %. Imaginez en 2010.
Un récent sondage CROP a montré que 74 % de Québécois francophones croient en Dieu, mais que presque autant se disent non pratiquants (68 %).
On nous sort aujourd'hui la théorie du "catholicisme culturel" pour décrire ces gens qui se marient à l'église ou font baptiser leurs enfants, mais qui ne vivent pas la foi chrétienne au-delà de ces quelques "traditions".
Les jeunes, eux, c'est pire. Ils n'ont même plus cette "culture catholique".
Voilà comment une jeune femme comme Léa Clermont-Dion peut voir les religieux du Québec comme les membres d'un groupuscule d'originaux.
Au fil de ses entrevues, elle a rencontré des séminaristes qui étudient pour devenir prêtres. Ils sont rares, mais ils existent. Et ceux à qui elle a parlé semblaient fiers d'être à contre-courant.
Les prêtres, moines, sours qu'elle a aussi interviewés affichent à peu près tous le même fatalisme: le Québec ne redeviendra pas pratiquant. C'est irréversible. Après eux, qui prendra la relève?
En ce moment, on tente de préserver le patrimoine religieux physique du Québec. On lutte pour sauver les églises de la destruction (ou de la condoïsation).
Avec ses entrevues, Léa cherche à conserver des traces de notre patrimoine religieux humain.
Ce patrimoine-là est aujourd'hui beaucoup plus fragile que les cathédrales.
Elle va avoir un choc culturel si elle sort de Montréal.
Je suis enseignant au secondaire. Quinze années à enseigner le programme des catholiques, puis, depuis six ans, éthique et culture religieuse. Je suis aussi un religiologue (maîtrise en sciences des religions UQÀM) qui observe les individus et la société dans ses manifestations religieuses.
Depuis toujours, l’expérience du sacré est au cœur de la vie humaine. Individuellement et collectivement, les femmes et les hommes de toutes les époques, de toutes les contrées, ont exploré le mystère de la relation au sacré. Traditionnellement, les religions ont revendiqué la gestion de la vie spirituelle. À cet égard, l’étude du phénomène religieux nous révèle que le sacré peut prendre des formes différentes selon les peuples et les périodes de l’Histoire. Les religiologues nous disent que le sacré se déplace, qu’il possède une grande capacité à muter ou à redevenir sauvage lorsqu’il a été trop longtemps domestiqué. La réflexion philosophique du siècle des Lumières et le progrès scientifique ont largement contribué à l’éclatement du ciel religieux, ici comme ailleurs. Dans le monde moderne d’aujourd’hui, il peut être ardu de percevoir les nouvelles formes du sacré.
Au Québec, encore plus, peut-être, existe cette confusion entre religion et spiritualité, compte tenu de notre histoire d’amour/haine avec le clergé catholique.
Nous avons tous à réfléchir sur les nouvelles formes que prendra l’expérience du sacré dans notre société moderne. Ce que cette jeune fille fait est à mon sens très significatif: l’Homo Religiosus québécois est bien vivant et se cherche un nouveau corps.
Elle témoigne du point d’atterissage final du déclin de la religion…
http://nothingoutofnothing.wordpress.com/the-doom-of-religion/
Pourquoi non?
J’aimerais me permettre ce commentaire, puisqu’évidemment ce sujet me tient à coeur et qu’il est intéressant je crois de poursuivre le débat un peu plus loin.
@Paul Laurendeau
Je trouve particulièrement pertinent le texte que vous nous faites parvenir ayant comme thèse, si je ne me trompe, le fait que chaque société ayant un culte religieux atteindra inévitablement dans une forme d’évolution l’athéisme au final. Ceci dit, je n’avais jamais lu auparavant d’idées à cet égard et si d’autres philosophes partagent votre idée, j’aimerais en être informée.Le Québec serait l’une des sociétés premières à appuyer votre thèse?
J’aimerais également préciser ma pensée…puisque ce texte dépeint partiellement évidemment ce que je pense. Entendons-nous, je ne voue pas un quelconque culte de personnalités à des prêtres et des soeurs, bien que ces gens possèdent un parcours assez impressionnant. Je me questionne davantage, en fait, sur le rôle qu’occupera la société québécoise avec, comme l’a bien Steve Proulx, le patrimoine humain religieux qui reste.
Cette réflexion que je possède est peut-être représentative d’une génération plus jeune n’ayant pas été confrontée à un passé religieux aride et difficile. Considérer ce qui reste du patrimoine religieux, certes, mais toujours garder un certain esprit critique. Il faut considérer les faits historiques, ce que je fais dans ma démarche. Le fait religieux au Québec attire de nombreux débats, c’est évident. À la limite, le patrimoine architectural religieux aussi. Je m’inquiète davantage des communautés qui perdent peu à peu ce qui leur reste de membres…au fil de mes rencontres, c’est une partie de notre culture que j’ai vu disparaître. Est-ce bien ou mal? Je ne crois pas être bien placée pour en juger, mais je crois que ce constat appuie effectivement votre thèse Monsieur Laurendeau.
Notre société ne se questionne pas a posteriori sur ce sujet bien précis et c’est particulièrement navrant. Il m’apparaissait nécessaire de souligner encore davantage ce sujet singulier, car personne en parle.
L’Église catholique semble figée dans le temps. Ses principes fondamentaux et l’interprétation qu’elle fait des textes bibliques ne semblent pas évoluer au même rythme que la société dans laquelle elle se trouve.
C’est lorsque j’entends des propos comme ceux du Cardinal Ouellet que je ne peux m’empêcher de penser que les membres influents du clergé se tirent dans le pied. Comment espérer un nombre croissant de catholiques, si le propos tenu par l’Église ne rejoint aucunement les jeunes (et même les moins jeunes)?!
Même si vous n’avez pas fait d’études poussées sur la jeunesse des années 2000, ou sur son cynisme, je trouve très juste vos deux thèses. Faisant moi même parti de cette jeunesse, je crois pouvoir affirmé certaine chose ou au moins faire par de certaines observations.
Léa Clermont-Dion est effectivement une jeune fille atypique. Mais l’image générale qui nous est projeté des jeunes retiens, comme dans bien des choses, presque uniquement l’aspect négatif ou extrême. Je rencontre de plus en plus de jeune de mon âge qui s’intéressent à des sujets ou des auteurs plus classique.
A force de discussion avec mon père (qui a fait ses Humanités), je trouve que le cours classique avait beaucoup plus à apporter que le programme d’éducation que j’ai suivi (celui d’avant la réforme).
J’ai grandi dans une atmosphère politique peu réjouissante. Ce fait est bien illustré par ce qu’a dit Michel C. Auger lors de son apparition à « Tout le monde en parle » : de Jean Drapeau, René Lévesque et Pierre Trudeau à Gérald Tremblay, Jean Charest et Stephen Harper «Il a dû y avoir un manque dans le contrôle de qualité».
Il est louable de vouloir préserver notre patrimoine historique, architectural, ou humain. Il faut cependant vivre autrement que dans le passé, comme nous rappelle souvent notre devise national « je me souviens… ».
Mais nous souvenons- nous seulement de cette devise en entier? (Je me souviens que sous le lys je suis né et que sous la rose j’ai grandi…)