Montréal, le zoo
Angle mort

Montréal, le zoo

Au Zoo de Granby, on voulait des gorilles heureux. Sauf que le bonheur est une chose qui se complique avec la captivité. En 2006, on a donc conçu la Vallée des Gorilles, un habitat proche de l'ambiance de la brousse africaine. C'est un lieu pensé pour les singes, adapté à leurs besoins. Une oasis plus naturelle qui ne leur donne pas envie de garrocher leurs excréments aux visiteurs.

Il paraît que la santé mentale des primates a pris du mieux.

Des jardins zoologiques conçus pour le bien-être des bêtes, c'est la tendance.

Les urbanistes devraient peut-être s'en inspirer. Parce que j'ai l'impression qu'on ne conçoit pas toujours les villes en fonction du monde qui vit dedans, nous.

Il serait temps qu'on s'y penche sérieusement. Depuis 2007, plus de la moitié de la population mondiale vit dans une ville. Une première dans l'histoire de l'humanité. En 2050, on prévoit même que 75 % des humains seront urbains.

Or, les mégapoles ne sont pas l'habitat naturel de l'homo sapiens. Nos ancêtres vivaient en petits groupes, dans la savane, à deux pas des gorilles. Nous ne sommes pas génétiquement taillés pour nous entasser des millions dans des espaces bétonnés.

Des chercheurs de l'Université du Michigan ont récemment étudié les performances du cerveau lors d'une courte promenade dans un centre-ville bondé. Ils ont découvert qu'après quelques minutes, la ville avait "émoussé la capacité de penser" des sujets.

C'est que le grouillement urbain profite d'une des principales faiblesses de notre matière grise: sa difficulté à gérer plusieurs stimuli simultanément.

Entre l'enseigne au néon qui clignote, le cave en auto qui dépasse par la droite, le type qui hurle pour rien et le petit bonhomme du feu de circulation qui indique au piéton de traverser, le cerveau doit sans cesse recentrer son attention sur ce qui est nécessaire à sa survie. Le brouhaha de la ville, c'est trop pour lui.

Un des moyens proposés pour rendre les villes plus viables, c'est de planter des arbres. On a besoin de nature. C'est même prouvé.

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Copenhague fait rêver avec ses cafés, ses terrasses ouvertes même l'hiver, ses vélos partout, ses voies piétonnières. C'est peut-être, à l'heure actuelle, la ville qui ressemble le plus à un habitat pour humains.

On trouve dans la capitale danoise une influente firme d'experts-conseils en développement urbain, Gehl Architects. La philosophie de la boîte est simple: les buildings doivent s'adapter à l'humain, et non le contraire.

Les pros de la firme donnent des conférences partout dans le monde. Invité par le Centre d'écologie urbaine de Montréal en février dernier, l'expert de Gehl Kristian S. Villadsen a montré le genre d'erreur que l'on commet lorsqu'on développe un quartier sans trop penser aux gens qui auront à vivre dedans.

Un exemple: l'humain regarde devant lui à une hauteur de 160 centimètres, à un angle de 72 degrés. Cela signifie que ce qui se trouve au niveau du sol forme la majeure partie de sa vision du monde. Or, on aime construire des tours, des gratte-ciel, des monuments en hauteur. Et on néglige ce que l'on a quotidiennement sous les yeux.

Promenez-vous autour du Stade olympique, vous comprendrez de quoi je parle. Pour les autobus de touristes chinois, la soucoupe de Taillibert est une ouvre impressionnante. Celui qui habite dans le quartier, par contre, ne voit plus que le béton.

Depuis longtemps, à Copenhague, les autorités municipales mettent le piéton au cour des priorités. Et ce, pour une raison strictement mathématique: ils sont plus nombreux que les automobilistes. Point.

Un parking occupant la rive d'un cours d'eau pouvait jadis accueillir 42 voitures. On l'a remplacé par une promenade avec des cafés. Il est aujourd'hui fréquenté par des milliers de piétons. Appelez cela comme vous voulez, je trouve surtout que ça ressemble à du gros bon sens.

Ici, cela fait des années que des gens militent pour que l'avenue du Mont-Royal soit piétonnière. Et pourtant, même si les piétons s'entassent sur les trottoirs, on laisse encore l'essentiel de la voie publique à l'automobile. Pourquoi les chars gagnent-ils toujours?

Je pourrais allonger la liste des lieux de Montréal inhospitaliers. Les no man's land urbains sont nombreux. J'ai hâte qu'on s'inspire un peu plus de Copenhague, qu'on tente de recréer partout des milieux que les humains apprécient.

À la rigueur, qu'on s'inspire du Zoo de Granby…

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Pour ceux que ça intéresse, des experts de Gehl Architects seront à Montréal en juin prochain.

[http://www.ecologieurbaine.net]