J'ouvre le journal l'autre jour et je tombe sur la photo d'un pélican. Il avait la tête rentrée dans le corps, l'air bête. Il niaisait sur le bord d'une lagune, les plumes dégoulinantes de pétrole brut.
Il faisait partie d'un groupe de 29 pélicans de la Louisiane à avoir reçu une marée noire dans la gueule.
Au moment d'écrire ces lignes, on n'avait toujours pas réussi à colmater la fuite causée par l'explosion d'une plate-forme pétrolière dans le golfe du Mexique, le 20 avril dernier.
Pauvre pélican. Il avait à peu près l'air que j'ai lorsque je contemple l'actualité environnementale. C'est que les nouvelles pas particulièrement joyeuses s'empilent.
Tenez, Louis-Gilles Francour du Devoir rapportait jeudi dernier les résultats d'un rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement. L'agriculture est maintenant le deuxième plus gros responsable de la détérioration des écosystèmes, après la consommation de combustibles fossiles.
Faire bouffer l'humanité génère 19 % des émissions de gaz à effet de serre, consomme 70 % de l'eau douce et cause 30 % de la pollution toxique en Europe. Et la moitié des récoltes de la planète sert à nourrir le bétail.
Pendant qu'on détériore la Terre pour manger, on dérègle aussi son climat, on pille ses océans, on se reproduit comme si on avait trois planètes à notre disposition.
Or, le mur vers lequel nous fonçons est devenu si familier qu'on ne le voit plus. Ce qui m'amène à parler d'éco-fatigue.
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De plus en plus de gens en ont maintenant marre d'entendre parler d'environnement. Ils ont l'impression qu'ils en font déjà assez pour sauver la planète. Ils recyclent, ils compostent, ils ont un sac réutilisable et des ampoules fluocompactes. Ils ne voient pas comment être plus verts. Dans une certaine mesure, ils n'ont pas tort. Dans l'état actuel des choses, ce ne sont pas quelques niaiseries citoyennes qui changeront quoi que ce soit.
Ne pas manger de viande le lundi n'empêchera pas la fonte des glaciers. Et se rendre au bureau à bicyclette ne nous fera pas éviter l'explosion démographique. Quoique certains vêtements de vélo ne peuvent certainement pas nuire…
L'ampleur des problèmes environnementaux auxquels nous faisons face exige des changements draconiens de nos modes de vie. Pas d'amusantes initiatives du genre: "J'apporte ma tasse au bureau!"
Et, de grâce, épargnez-moi la vieille rengaine: "Mais si tout le monde arrêtait d'arroser son gazon, et si tout le monde achetait des carottes bio, et si tout le monde prenait le métro, alors ce serait plus mieux…"
Les bonnes idées qui ne fonctionnent que lorsque tout le monde y adhère ont d'excellentes chances d'échouer. En résumé: ça ne va pas bien, les amis.
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Au moins, attrapons les bonnes nouvelles lorsqu'elles passent.
En voilà une qui m'a fourni une bouffée d'espoir l'autre jour. Depuis le début de l'année, l'action du géant de l'agrochimie Monsanto dégringole. En janvier, elle se négociait autour de 80 $. La semaine dernière, elle ne valait plus que 50 $.
Quelle réjouissance!
Le produit-vedette de Monsanto est un herbicide nommé Roundup. Une potion chimique diablement efficace qui, une fois appliquée sur une terre, élimine les mauvaises herbes. En fait, plus rien ne pousse. Point. Étant donné qu'il y a tout de même le mot culture dans agriculture, Monsanto a donc eu l'idée géniale de commercialiser des semences transgéniques capables de résister au Roundup.
Ainsi, sur une terre traitée au Roundup, seules les semences de maïs, de canola, de soya compatibles avec l'herbicide pourront pousser.
Les agriculteurs séduits par l'efficacité de Roundup doivent s'approvisionner en semences auprès de Monsanto. Et c'est ainsi que la multinationale a réussi à tenir en laisse une bonne partie de l'industrie agricole.
Cela fait des années que des écologistes, des agriculteurs, des journalistes, des gens comme vous et moi s'indignent des pratiques de Monsanto. On a tourné des documentaires sur le sujet, publié des livres, organisé des manifs.
Et voilà qu'après des années de labeur, Monsanto perd des plumes en Bourse et annonce qu'elle réduira "de manière drastique" ses activités liées à Roundup.
De toute façon, elle en vendait de moins en moins.
Qui sait? Les déboires boursiers de Monsanto sont peut-être le signe que le visage de l'agriculture change. Un peu.
C'est quasiment rien, je sais, mais des nouvelles du genre, en pleine période d'éco-fatigue, ça me fait perdre un instant mon air bête de pélican plein de marée noire.
Parlerait-on de ces pélicans englués si cette marée noire n’avait pas touché les côtes européennes ou nord-américaines? Il y a des milliers de plateformes pétrolières en opération sur nos océans et les médias ne parlent que du dégât qui touche la Louisiane. Les industries pétrolières et minières n’ont pas bonne réputation pour ce qui est de leur impact environnemental. Pensez à tous ces pétroliers qui se fracassent sur les côtes et à tous ces gazoducs ou oléoducs qui explosent. Le Voir ne se préoccuperait pas d’une fuite pétrolière en Afrique.
Bizarrement cette écofatigue ne me préoccupe pas, car si on n’en parlait pas ce serait encore bien pire que d’en parler trop. La Louisiane est de nouveau touchée par un désastre. Katrina avait été un clou enfoncé dans le cercueil de la présidence de G.W. Bush et certains pensent que le dégât de la British Petroleum en sera un autre dans celui de B. Obama. Notre style de vie moderne est la cause de cet impact environnemental négatif, mais nous en sommes au moins conscients, ce qui n’était pas le cas il y a de cela plus de 50 ans.
Les épuisants problèmes écologiques resteront entiers, ou presque, tant et aussi longtemps que les entreprises de toutes sortes ne modifieront pas leurs comportements et aussi tant et aussi longtemps que des citoyens, en quantité significative et déterminante ne comprendront pas qu’il faut modifier la manière «occidentale» et «capitaliste» de vivre et de consommer.
Il y a tellement de personnes qui se donnent bonne conscience en posant de petits gestes du genre que ceux que Steve Proulx décrit au début de son texte.
En somme, à moins que la peur écologique soit injustifiée, ce qui est peu probable, il va falloir prendre le taureau (ou le pélican) par les cornes de la détermination féroce et déterminée.
JSB
Je suis assez d’accord avec votre analyse. J’ai l’intime conviction, moi aussi, qu’un changement de système radical est nécessaire. Cependant, je n’amoindrirais pas tant l’impact des »niaiseries citoyennes » qui, quoique insuffisantes et servant souvent de façade, sont utiles à certains niveaux.
Certes, il est bien vrai de dire que les petits gestes citoyens ne règleront pas le problème, et il est tout aussi décourageant de voir que le bon consommateur »responsable » troque ses sacs d’épicerie en plastique pour des caisses de 48 bouteilles d’eau.
Premièrement, si seulement dix pour cent de la population (j’invente un chiffre) se rend au travail à vélo, si ce n’est pas assez, disons-nous aussi que c’est déjà ça de gagné. Et penser que tout le monde le fera un jour n’est pas moins utopiste que de penser que la révolution aura lieu demain matin et intéressera tout le monde. C’est vrai et, en plus, c’est meilleur pour la santé mentale. N’oublions pas aussi que les »attitudes écolos » ont tendance à devenir des modes, pour ensuite s’intégrer dans la vie de tout les jours. Qui, il y a quinze ans, parlait de recyclage? (bon, d’accord, le recyclage n’est pas non plus LA solution). La question qu’il faut alors se poser est: dans 40 ans, lorsque l’auto sera tellement out-tendance et le vélo tellement in, branché et urbain, sera-t-il trop tard? Répondre par l’affirmative, c’est régler la question d’avance.
Mais au-delà des colonnes d’addition de gaz à effets de serre, je crois que l’incitation à des gestes de consommation responsable est en train d’avoir une influence capitale sur la façon dont les individus percevront le monde: le simple fait d’induire dans la tête des gens que ceux-ci ont un influence sur le monde qui les entoure est une sacrée marche à monter dans la société dans laquelle nous vivons. Certes, le consommateur consomme toujours et toujours autant, sinon plus, mais il se pose des questions; Pas toujours les bonnes, et il ne fait pas toujours les bons choix, mais au moins, il se questionne. Si le commun des mortels n’est pas prêt à remettre en question le système dans lequel il vit et dont il fait partie, il est de plus en plus réceptif à être guidé à travers ce qu’il achète. Voyons cela comme un pas dans la bonne direction. De comprendre que son café est une plante produite dans un pays tropical par des êtres humains sert parfois d’introduction à une éventuelle ouverture sur le monde.
Je crois également en terminant qu’un changement drastique de système ne se fera pas sans un »tout le monde le fait » comparable à ce qu’on essaie tant bien que mal d’instaurer au niveau de la consommation. L’histoire nous enseigne qu’il n’y a pas eu de révolution accomplie sans qu’une part non-négligeable de la population à la fois y adhère et soit prête à assumer les sacrifices nécessaires au changement. Faudra-t-il alors que nous soyons confrontés à une catastrophe pour que nous bougions? Encore une fois, répondre par l’affirmative, c’est régler la question d’avance.