Angle mort

C’est rien qu’un début

C'était jadis. Le début des années 2000. Le siècle commençait à peine et nous, chroniqueurs, avions déjà déniché un sujet délicieux sur lequel répandre nos humeurs.

La convergence.

Oh! qu'on en a fait couler de l'encre sur son dos!

C'était la première cuvée de Star Académie (qu'on a vite rebaptisée "Star Épidémie"). C'était aussi la première fois que l'empire Quebecor mobilisait ses troupes pour nous faire bouffer ses talents Catelli par tous les trous.

Ses magazines à veudettes beurrés de Wilfred, de jumelles Villeneuve et de Chosebine de Normétal. La chronique quotidienne dans Le Journal de Montréal. La grosse promo sale intégrée aux bulletins de nouvelles de TVA. Des plogues à la radio toutes les 15 minutes.

En 2003, le grossiste en opinions Richard Martineau s'était même permis, dans sa chronique de Voir, de comparer l'empire Quebecor à un cochon. "Rien ne se perd, tout se mange, on fait du gras avec la viande, de la sauce avec du gras, de l'eau avec de la sauce, tout est bon, tout peut servir, tout se recycle, tout se vend."

À l'époque, les amis, c'était ça, la convergence.

Le truc a marché à fond. C'est maintenant confirmé: quand le réseau de télé le plus regardé et le quotidien le plus lu marchent main dans la main; quand des magazines, des radios et des sites Web travaillent en équipe, on peut placer n'importe quel nobody de Tracadie-Sheila au sommet des palmarès.

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Avez-vous remarqué qu'on en parle beaucoup moins, de la convergence? C'est tellement 2003 comme sujet. Même Martineau n'en parle plus!

O.K., c'est un mauvais exemple…

Et pourtant, c'est aujourd'hui que la convergence devrait nous préoccuper.

Car elle ne tente plus seulement de nous vendre des repreneux de ballades. La convergence de Quebecor est de plus en plus idéologique. Elle veut nous vendre une vision, une logique, une grille d'analyse du monde actuel.

L'empire promeut de plus en plus les convictions de son patron, Pierre Karl Péladeau. Un chantre de la libre entreprise qui croit que les syndicats nuisent au développement économique du Québec, qui déteste que l'État vienne jouer dans ses plates-bandes.

Dans un texte de Rue Frontenac abondamment cité et "retweeté", la journaliste en lock-out du Journal de Montréal Valérie Dufour raconte le virage à droite entrepris par la direction du quotidien "qui choisit dorénavant des têtes d'affiche qui vont mousser ses idées conservatrices sur le plan économique, mais aussi moral".

Un exemple: l'Institut économique de Montréal (IÉM), un think tank néolibéral, jouit d'une belle tribune dans les pages du JdeM. Après Nathalie Elgrably, c'est maintenant Daniel Audet, vice-président du Conseil du patronat et administrateur de l'IÉM, qui signe une chronique dans la section Opinions.

Solliciter l'avis d'un représentant de cet organisme dans le cadre d'un reportage équilibré, c'est chercher la pluralité des points de vue. Mais confier à ce même représentant une chronique régulière, c'est commanditer une idéologie.

La droite s'incruste même dans le choix des sujets, selon Valérie Dufour. "Les pages du Journal font de plus en plus de place à certains types de reportages, écrit-elle. Les dépenses publiques sont ainsi passées au peigne fin. […] Le rôle de surveillance des médias est primordial dans une démocratie. Le problème est quand on en fait une religion et que chaque dépense publique est présentée comme scandaleuse et suspicieuse."

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La semaine dernière, Quebecor a annoncé qu'elle investirait 100 millions de dollars dans une chaîne télé anglophone d'information en continu. Sun TV News mariera "nouvelles brutes" et "franc-parler", selon sa bande-annonce.

Il ne manque plus que le "go" du CRTC et l'affaire est ketchup.

Or, Quebecor a mis à la tête de ce "Fox News du Nord" un certain Kory Teneycke. Le gars fut directeur des communications de Stephen Harper. Sa carrière jusqu'ici n'a pas été marquée par des années d'expérience en matière de journalisme ou dans le monde de l'information. Kory Teneycke a plutôt un C.V. rempli d'activités liées de près ou de loin à la promotion d'idées conservatrices.

Et Quebecor estime que cet homme a le boogie qu'il faut pour diriger sa nouvelle chaîne.

Je vous laisse là-dessus.

Mais permettez-moi tout de même de conclure avec une formule rétro, sortie tout droit d'une époque révolue où il faisait bon gloser sur la convergence à la sauce Star Académie.

Désormais, Quebecor et la droite conservatrice: "Et c'est pas fini… C'est rien qu'un début…"