Ce que vieux veut
Angle mort

Ce que vieux veut

"La société québécoise n'est pas prête aux grands changements. Et je ne souhaite pas qu'elle soit prête."

Ce fougueux appel aux armes vient d'une dame de 70 ans du nom de Monique Jérôme-Forget. Notre ex-ministre des Finances l'a pondu l'automne dernier lors d'une entrevue accordée aux Francs-tireurs.

Or, j'ai comme l'impression que sa déclaration aurait mérité quelques nuances. Quand Mme Jérôme-Forget parle de la "société québécoise", en fait, elle parle des vieux comme elle.

En effet, les vieux comme elle ne veulent rien savoir des grands changements.

Ils veulent des voyages organisés, des hôpitaux propres, des condos neufs près des services, des rues sécuritaires, des baignoires avec une porte latérale. Ils veulent aussi qu'on préserve des églises vides.

Bien sûr, je caricature. Mais si Monique Jérôme-Forget peut traiter d'indolente l'ensemble de la société québécoise, j'imagine que je peux mettre tous les vieux dans le même panier.

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Sur mon blogue la semaine dernière, un lecteur commentait ma chronique sur le virage à droite de l'empire Quebecor.

Selon lui, plus que d'une croisade idéologique, il s'agirait surtout de l'"initiative affairiste" d'une entreprise qui cherche à se trouver un public.

Et toujours selon lui, de l'information teintée de conservatisme a tout pour plaire aux vieux qui ne veulent pas de grands changements comme Monique Jérôme-Forget.

Ça se tient.

On pourrait même y voir une conséquence inattendue du vieillissement de la population.

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Les chiffres sont unanimes: les vieux se multiplient. En 2015, il y aura au Canada plus de gens de 65 ans et plus que de jeunes de 15 ans et moins. D'ici 2056, une personne sur quatre aura atteint l'âge d'or, selon Statistique Canada. Et même si le Canada quadruplait le nombre d'immigrants admis annuellement, cela ne nous empêcherait pas de nous ratatiner collectivement.

Un monde de vieux, c'est l'avenir.

Or, non seulement les vieux seront plus nombreux, mais il se trouve qu'ils exercent leur droit de vote dans une plus large proportion que les jeunes.

Du coup, nul besoin d'être un grand stratège politique pour imaginer dix mille bonnes raisons pour un politicien de séduire l'âge d'or avant tout autre segment de la population.

Mieux vaut se faire à l'idée: ce que vieux veut, vieux aura.

C'est ce que le magazine The Economist appelle le "vote gris". Il est désormais impossible à ignorer. Au Royaume-Uni, un puissant groupe de pression, Age UK, défend les intérêts des aînés avec un slogan on ne peut plus explicite: Our power is our number.

C'est pour attraper des vieux que l'ex-premier ministre britannique Tony Blair a donné la télé gratuite aux personnes de plus de 75 ans. Là-bas, tous les citoyens qui possèdent un téléviseur doivent verser une redevance audiovisuelle de 145,5 livres sterling par année (environ 225 $).

Le gouvernement Harper aussi a la passion des vieux. Il a créé le Conseil national des aînés. Il a doublé le crédit pour revenu de pension de 1000 $ à 2000 $. Il a aussi augmenté de plus de 30 % le crédit d'impôt pour frais médicaux remboursables.

Il y a quelques semaines, ce même gouvernement a inventé la Journée nationale des aînés (à mettre à l'agenda, c'est le 1er octobre prochain). Officiellement, cette célébration doit "souligner l'énorme contribution des aînés au tissu économique et social de notre société".

On n'attire pas les vieux avec du vinaigre et le gouvernement Harper l'a compris.

J'imagine qu'il s'attend à un retour d'ascenseur.

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La vieillesse est un phénomène relativement nouveau dans l'histoire de l'humanité.

En 1900, l'espérance de vie au Canada était de 50 ans. Elle est aujourd'hui de 80 ans.

On ignore encore à quoi ressemblera une démocratie façonnée par le vote gris.

Je m'avance ici, mais disons que ça ne sent tout de même pas la révolution à plein nez. Ce sont les jeunes qui veulent tout virer de bord. Les vieux préfèrent le calme et la continuité.

Ils sont comme Monique Jérôme-Forget: pas prêts pour les grands changements.

Remarquez, ce n'est pas toujours négatif.

Mark L. Haas, chercheur à l'Université Duquesne de Pittsburgh, a publié une étude qui prévoit que les zones les plus "chaudes" du globe (l'Iran, l'Irak, le Pakistan, l'Arabie saoudite) risquent d'être beaucoup plus pépères d'ici 2030, et ce, grâce au vieillissement de la population.

Parce que les vieux préféreraient passer leurs derniers moments à jardiner plutôt qu'à chercher la chicane pour des idées, des croyances.

Si un monde de vieux est trop fatigué pour se faire la guerre, c'est toujours ça de pris.