Je reviens tout juste d'une retraite de trois semaines dans une cité exotique qui s'appelle Vancouver. Oui, j'ai bien dit "exotique".
Par exemple, j'ai découvert dans cette ville à 3690 km de Montréal des passages piétonniers exotiques.
La chose m'a séduit dès mon arrivée: des intersections dépourvues de panneau d'arrêt et traversées par des lignes blanches à l'intérieur desquelles il suffit de poser le pied pour que les automobiles s'arrêtent et vous laissent passer.
La première fois, on n'y croit pas.
Cela donne aux automobilistes vancouvérois la possibilité d'exercer la "courtoisie" plusieurs fois par jour, ce qui, j'en suis sûr, contribue à l'ambiance tempérée de la ville. Et je ne parle pas seulement de la température.
Pour le Montréalais que je suis, ces passages piétonniers fonctionnels contribuent à l'exotisme de Vancouver.
Il est regrettable que le marketing ait pourri le sens du mot exotique. Dans l'esprit de plusieurs, l'exotisme est désormais associé aux ananas, aux perroquets, à la salsa et à tout ce qu'on peut retrouver dans un resort de la Riviera Maya.
J'ai fini par me lasser de cet exotisme de tout compris. Je préfère l'exotisme original. Celui qui étonne, qui sort de partout aussitôt qu'on met le pied en terrain inconnu. Ce bel exotisme que les voyageurs de jadis ramenaient dans leurs bagages et dont les plus beaux spécimens trouvaient leur place dans leur cabinet de curiosités.
De l'exotisme sans ananas, quoi.
À Vancouver, je suis entré dans un vidéoclub exotique. Il y avait à l'entrée un tableau où les clients pouvaient évaluer les nouveaux films, de "chef-d'ouvre" à "j'exige un remboursement".
Belle idée.
À Vancouver, les feux de circulation diffusent un chant d'oiseau pour indiquer aux aveugles le moment de traverser la rue. C'est ainsi que des gazouillis agrémentent le paysage sonore du centre-ville. Il fallait y penser.
À Vancouver, j'ai aussi trouvé des poubelles publiques exotiques.
Elles ressemblent aux nôtres, sauf qu'elles sont dotées de supports pour accueillir les bouteilles et canettes consignées.
De cette façon, au lieu de la jeter, le passant place là sa canette de Pepsi. Le binner, souvent un sans-abri, peut ainsi glaner dans la dignité, sans avoir à plonger les mains dans des récipients remplis de vieux fish'n'chips imbibés de fonds de café Starbucks.
La revente de bouteilles consignées est à Vancouver ce que le squeegisme est à Montréal.
Chaque jour, les binners écument les rues de la ville et poussent leurs chariots chargés de bouteilles jusqu'à la rue Hastings, dans le Downtown Eastside. Ce quartier porte le surnom sympathique de "code postal le plus pauvre du Canada".
Nos binners se rendent jusqu'à l'énorme centre de dépôt de bouteilles consignées United We Can, l'endroit le plus achalandé du Downtown Eastside. Cet organisme sans but lucratif échange les bouteilles contre des sous. Certains binners peuvent ainsi gagner jusqu'à 50 $ par jour, ce qui n'est pas énorme, mais suffisant pour sortir de la rue. S'il en trouve une, le binner peut louer une chambre dans un single room occupancy (SRO) hotel. On parle de trous, très souvent, mais ce sont des toits à prix abordable dans une ville où le coût du logement est épouvantablement cher.
Je ne dis pas que c'est mieux qu'ici.
Trois semaines à Vancouver ne m'autorisent pas à poser un regard critique sur la gestion de l'indigence dans cette ville.
Je dis par contre qu'il y a là quelque chose qui ressemble à une bonne idée, et qui commence tout bêtement par des supports à bouteilles sur les poubelles publiques.
Des Vancouvérois que je ne suis pas parvenu à duper avec mon accent de Louise Harel m'ont demandé d'un air dubitatif: "Mais que vient foutre un Montréalais à Vancouver en plein mois de juillet? Vous habitez la ville la plus hot au Canada!"
Un bonhomme en patins à roues alignées avait beaucoup d'éloges pour le quartier gai de Montréal, qu'on ferme à la circulation routière pendant l'été. Un jeune musicien gardait un souvenir ému de la Casa Corfu, giga-buffet indigeste sur la rue Masson. Un gars a vanté la beauté des parcs de Montréal. "You guys have amazing parks down there!" Et le gars habite à deux pas de Stanley Park, gigantesque oasis d'arbres géants au cour de la ville.
L'exotisme du touriste sonne toujours drôle à l'oreille de l'indigène.
J'imagine qu'eux aussi, à Vancouver, ils devaient trouver assez curieux que je m'excite devant leurs poubelles publiques.
Merci pour ce beau moment de lecture coloré d’exotisme.
Bon retour en ville, aussi.
J’ai eu l’occasion de vivre à Vancouver durant quelques mois, il y a de cela environ 30 ans. À cette époque de récession économique, ce qui m’avait le plus surpris était cette profusion d’ivrognes qui zigzaguaient sur les trottoirs me forçant à zigzaguer moi aussi pour éviter la collision. Ce problème urbain était plus sévère qu’à Montréal. La température était aussi problématique, car avec cette pluie incessante je me suis retrouvé avec des problèmes épidermiques qui se sont réglés lors de mon retour à Montréal. Cette ville est très étendue et on ne passe pas d’un quartier à un autre à pied comme à Montréal: New Westminster et Burnaby sont à une bonne distance.
Ben d’accord avec vous, Monsieur Proulx!
L’exotisme, c’est dans notre tête, dans notre capacité d’émerveillement.
On dit aussi que l’aventure est au coin de la rue; suffit de se dessiller les yeux.
Pour avoir traversé les États-Unis à vélo cet été, je confirme le jugement sur les automobilistes: ceux des États-Unis, comme ceux que tu as vu à Vancouver, sont courtois. C’est étonnant de voir à quel point les Québécois forment, sur ce point… une société distincte!