Kevin va au cinéma
Angle mort

Kevin va au cinéma

Revenons sur ce texte d'un critique de La Presse que 52 % de la population ne connaît pas (selon un sondage de l'émission Le Verdict).

Je parle de Marc Cassivi.

Le 31 juillet, celui-ci publiait un texte assassin sur le dernier long métrage de Patrick Huard, Filière 13.

Intitulé "Le principe de Patrick Huard", l'article contenait des mots tels que "pénible", "navrante", "four mal réalisé", "travail bâclé d'apprenti tâcheron" et "fabrique à saucisses".

En réponse à ce texte, M. Huard a qualifié M. Cassivi de "p'tit joufflu pas télégénique". Et c'est à cette altitude que s'est maintenu le débat.

En gros, le joufflu susmentionné déplore le fait que des fonds publics (ci-après nommés "l'argent de nos taxes") aient servi à financer la comédie censément affligeante d'un humoriste wannabe cinéaste.

"Pour un pays à la cinématographie fragile, qui parvient difficilement à soutenir des cinéastes compétents, c'est à mon avis un luxe qu'on ne peut pas se permettre", écrit-il.

Contrairement à ce que j'ai entendu, Cassivi n'a pas écrit un texte "courageux". Il a écrit ce qu'ont écrit bien des critiques avant lui, et pour qui l'argent de nos taxes devrait financer exclusivement des ouvres propres à élever l'âme d'un peuple.

Voilà pourquoi, bien humblement, j'aimerais tenter de brasser la soupe dans l'autre sens en défendant l'inverse de sa position. À savoir que Patrick Huard méritait l'argent de nos taxes.

Prenons le cas de Kevin (personnage fictif).

Kevin travaille dans un atelier d'usinage à Terrebonne. Il est capitaine de son équipe de softball et économise pour s'acheter une moto. Et comme Marc Cassivi, Kevin paie des taxes.

Quand il va au cinéma Guzzo, Kevin veut qu'on le divertisse. Il veut des cascades, des effets spéciaux, des blagues, ce genre de trucs. Les introspections de Xavier Dolan, Kevin s'en contre-crisse. Kevin veut voir Claude Legault dans la peau d'un flic. Et s'il n'obtient pas Claude Legault dans la peau d'un flic, Kevin va choisir pépé Stallone et ses Expendables.

C'est aussi simple que ça.

N'allez pas penser que je me moque des gens des régions. Des Kevin (ou des Nancy) existent aussi à Montréal.

En fait, ils forment la majorité de la population québécoise.

Lorsque, de temps à autre, les fonds publics financent une comédie légère qui ne réinvente pas la roue, je me dis que c'est l'argent des taxes de Kevin qui a payé. Parce que Kevin aussi a droit à son cinéma québécois.

N'en déplaise aux critiques, une cinématographie nationale doit être vue et aimée par l'ensemble de la population qu'elle dessert. Sinon, c'est une coquille vide.

Ce qui signifie qu'à l'occasion, l'argent des taxes de Kevin peut servir à financer des Filière 13, des Elvis Gratton III et des Cruising Bar 2.

Ce n'est pas la fin du monde. C'est nous. C'est le Québec. Et il est illusoire de penser que des fonds publics peuvent transformer des Kevin en fins cinéphiles.

Si Kevin n'a pas les films qu'il veut, il choisira le dernier blockbuster américain en 3D. Voilà pourquoi on a eu raison de subventionner le film de Patrick Huard.

Maintenant, tout est dans la dose. Nos fonds publics doivent aussi financer des cinéastes de talent, à la vision d'auteur originale. Ceux que paieront les taxes des Marc Cassivi de ce monde. C'est entendu.

Le cinéma québécois se porte mieux depuis quelques années, justement parce que le financement est mieux équilibré.

On finance aujourd'hui des ouvres commerciales, tout comme des films moins accessibles.

C'est pour cette raison que le grand public s'est réapproprié un cinéma qui, reculons quelques dizaines d'années dans le passé, n'attirait pas grand monde.

Aujourd'hui, on ne va plus voir des films québécois par pitié. C'est dans ce terreau que peuvent pousser des ouvres plus audacieuses.

Vous ne me verrez donc pas à la manifestation contre les subventions accordées à Patrick Huard.

Si vous cherchez une cause qui implique du gaspillage éhonté de fonds publics, je vous suggère de regarder ailleurs.

Québec va dépenser 700 millions de nos dollars pour grossir le lettrage des panneaux routiers. Voilà qui vaut une manif.

Le gouvernement Harper va dépenser notre argent pour mener un recensement "avec formulaire volontaire". Recensement qui, selon les experts, n'aura aucune valeur scientifique. Voilà ce qu'on appelle "jeter de l'argent par les fenêtres".

Alors, laissons Kevin aller au cinéma, et occupons-nous des vrais scandales.