Le baril sans fond
Angle mort

Le baril sans fond

C'est l'histoire d'un gars du Colorado. Il ouvre son robinet, laisse couler l'eau, approche son briquet et zwouf! L'eau flambe comme de la sambuca.

L'improbable phénomène figure dans le documentaire Gasland, un film de Josh Fox, qui recense aussi quelques autres désagréments environnementaux causés par l'exploitation du gaz de schiste aux États-Unis.

Dans mon livre à moi, l'eau du robinet ne devrait pas prendre en feu au contact d'une flamme. C'est juste mon opinion.

Ce genre de chose survient car le procédé pour extraire le gaz de schiste ne semble pas tout à fait au point. Il faut dire que c'est fichtrement compliqué.

D'abord, il faut forer un puits jusqu'à 300 mètres de profondeur. On bourre ensuite ce puits de millions de litres d'eau, de sable et de produits chimiques. La pression fracture les roches souterraines, ce qui permet au gaz naturel qui y est emprisonné de s'échapper par le puits. À l'occasion, au cours du procédé, du gaz emprunte une fissure et contamine des nappes phréatiques.

Et c'est ainsi qu'on peut se faire dorer des guimauves autour des robinets du Colorado. Je ne vous parle pas des problèmes de santé des gens qui ont bu de cette eau.

Aux États-Unis, on a déjà creusé un demi-million de trous. Au Québec, si tout va comme prévu, à partir de 2015, 300 puits de gaz de schiste pourraient être forés chaque année.

Mais je ne vous endormirai pas en parlant d'audiences du BAPE, de moratoire ou d'étude d'impact fournie par l'industrie. J'aimerais plutôt profiter de cet espace pour prendre un peu de recul face à l'état mondial de l'énergie.

L'énergie compliquée

Voilà 150 ans, un fermier du Texas pouvait creuser un puits pour faire boire son bétail et, oups!, découvrir une nappe de pétrole.

Avec les années, tous les gros puits de pétrole faciles d'accès ont été trouvés et pompés. Le jour où l'on a craint une pénurie de l'or noir, on s'est mis à en chercher ailleurs.

On a donc développé des technologies pour dénicher par satellite des nappes cachées. On a appris à forer horizontalement pour siphonner les nappes jusqu'à la dernière goutte. On a planté dans l'océan des plates-formes capables de forer toujours plus creux.

La plate-forme Deepwater Horizon, dont l'incendie a causé cette marée noire dont vous avez peut-être entendu parler cet été, était capable de forer jusqu'à 3000 mètres de profondeur.

En Alberta, on applique un procédé complexe pour séparer le pétrole du sable; procédé qui a comme fâcheux désagrément d'encrasser à jamais des milliards de litres d'eau chaque jour.

Et aujourd'hui, on suce le gaz de schiste dans la moelle de la croûte terrestre sans trop connaître les impacts de cette activité.

En résumé, plus les années filent, plus les moyens d'exploiter nos combustibles fossiles sont compliqués.

Hélas, il est encore plus simple de se casser le coco pour extraire tout ce qu'il reste d'énergie sale que de transformer le monde pour qu'il roule à l'énergie propre. Économiquement parlant, on s'entend.

Surtout que plus on trouve de pétrole – que ce soit à 10 000 lieues sous les mers ou dans les sables bitumineux -, plus le prix du combustible fossile se maintient. Ce qui repousse au lendemain une économie basée sur les énergies vertes.

Selon le rapport annuel sur l'énergie mondiale de l'Agence internationale de l'énergie (2009), si la tendance se maintient, 77 % de nos besoins énergétiques seront encore comblés par les combustibles fossiles en 2030. Dans 20 ans, on brûlera 24 % plus de pétrole par an qu'aujourd'hui. Et 42 % plus de gaz naturel.

Pendant ce temps, la part mondiale de l'électricité provenant de sources renouvelables passera de 18 % en 2007 à 22 % en 2030. Une augmentation de quatre points. Quatre.

Je vous épargne le genre de défis environnementaux auxquels nous devrons faire face alors. On parle d'un réchauffement global de 6 degrés si l'on ne change pas radicalement de cap.

On ne voit pas le début d'un changement de cap dans la mollesse dont font preuve nos dirigeants.

Bien sûr, on nous parle tout le temps d'éoliennes et d'énergie solaire et de géothermie et d'efficacité énergétique. Il reste qu'aucun de ces dirigeants n'ose encore dire NON au pétrole et NON au gaz naturel.

C'est pourtant ce qu'il faudra dire un jour ou l'autre.

Il y aura plus d'éoliennes dans 20 ans. Parfait. Mais on pompera aussi encore plus de pétrole. Et fiez-vous au génie humain, on sera loin d'avoir atteint le fond du baril.