N’écrivez pas votre vie, s.v.p.
Confidence. Ce livre, Le Phénomène RBO (Les Éditeurs Réunis), qui vient de paraître et que signe Louis Longpré, j'ai failli l'écrire.
C'était à la fin de 2007. J'avais signé un contrat avec l'éditeur. J'avais reçu une avance. J'avais accumulé dans un cartable quelques dizaines de coupures de journaux sur RBO. J'avais commencé à en parler autour de moi. J'avais même pondu quelques embryons de chapitres.
Puis, le 29 décembre 2007 à 17 h 31, j'ai tout sacré là. J'ai pour ainsi dire réalisé quelle épine au cul ce serait d'écrire ce bouquin sur l'histoire du célèbre quintette de comiques.
C'est qu'un peu avant ma décision, j'avais ouï entre les branches que les membres de RBO caressaient le projet éventuel d'écrire eux-mêmes leur biographie.
Par conséquent, ils n'allaient certainement pas s'ouvrir au premier gueux venu. Et je ne m'imaginais pas écrire ce livre sans leur participation.
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Pour une raison qui m'échappe, un tas de personnages publics se croient les mieux placés pour se raconter. Ce qui est faux. Ils sont les pires. Les moins neutres, les plus complaisants, les plus habiles censeurs, les plus en conflit d'intérêts.
C'est sans mentionner qu'une fois sur deux, ils écrivent comme des pieds. Il faut lire la biographie de "Mad Dog" Vachon pour constater dans quelle mesure il est possible de faire subir à la langue française la prise du cochon qui tousse.
Les acheteurs de livres tombent aussi dans le panneau. Ils croient à tort que cette opération de marketing nombriliste qu'est l'autobiographie vaut plus qu'une biographie indépendante qu'un biographe a suée avec soin.
Encore une fois, je m'objecte.
Le plus souvent, l'autobiographie est un collage d'anecdotes entrecoupé de clichés sur la vie si courte, sur le bonheur qu'on apprend à saisir au quotidien, sur les épreuves qui font grandir et sur les regrets qu'on n'a pas parce que si tout était à refaire, on referait exactement la même chose.
Tout autobiographe qui se respecte tente, bien entendu, de dégager un sens de sa gibelotte de souvenirs. Dans certains cas, il manipule carrément la réalité afin d'insuffler à son existence une trame pseudo-romanesque.
Est-ce que je vous ai dit que je haïssais les autobiographies?
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La biographie, en revanche, est un genre noble. Un genre qui prend tout son sens lorsque le biographe n'est pas le sujet de la biographie.
Le biographe est un auteur, un artiste qui, pour toutes sortes de raisons, choisit de consacrer des mois, parfois des années, à immortaliser la vie d'un notable sous la forme d'un livre.
C'est déjà un gros plus que ne possède pas l'autobiographie. À l'origine de la biographie, quelqu'un a décidé que telle vie méritait d'être racontée.
Mon message aux personnages publics: si personne n'a manifesté l'intention d'écrire votre biographie, c'est que personne n'a cru bon d'investir SON temps et SON talent dans cet exercice qui consiste à vous intégrer à la mémoire collective. Si ce constat est dur, n'empirez pas votre cas en prenant les choses en main.
Cela dit, il reste le contenu. Certains biographes sont nuls, oui. D'autres, par contre, s'imprègnent tellement de leur sujet qu'ils parviennent à en saisir la Vérité.
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Je n'irais pas jusqu'à dire que Le Phénomène RBO de Louis Longpré devrait être ajouté à la liste des biographies incontournables. Ce n'est pas une biographie, de toute façon, mais une étude.
Longpré, qui a pris le relais du projet que j'ai sacré là le 29 décembre 2007 (à 17 h 31), n'a pas eu accès aux membres de RBO. Tel que prévu, ceux-là ont préféré garder leurs meilleures anecdotes pour leur future autobiographie.
Comme le souligne Longpré en conclusion de son livre, "l'appellation politburo va à RBO comme un gant: le groupe travaille dans une farouche autarcie, et l'information qu'il laisse circuler doit forcément emprunter ses canaux officiels".
Toujours est-il que Le Phénomène RBO souffre de l'absence du point de vue des personnages principaux. On l'oublie vite, cependant. Car Louis Longpré est parvenu à suer un ouvrage rempli d'analyses fines sur l'industrie de l'humour, sur l'impact de cet humour décapant sur la société québécoise, sur les jeux de coulisses dans l'univers de la télévision…
En somme, on trouve dans ce livre nombre de faits pertinents et d'intérêt public qu'on ne retrouve pas dans cette orchestration de souvenirs autocongratulatoires qu'on nomme l'autobiographie.
Au fond, je plains surtout RBO d'avoir refusé l'invitation à participer à cette étude résolument significative… les concernant.
Et je leur souhaite bonne chance avec leur autobiographie.
Plutôt d’accord dans l’ensemble, cependant j’ajouterais quelques bémols. S’il est vrai que pour des vedettes dont le succès s’est bâti autour d’une carrière qui n’avait rien de littéraire ou d’intellectuel, le risque de produire une autobiographie de piètre qualité pour les raisons que vous avez exposées est grand, en revanche pour d’autres célébrités issues davantage du monde littéraire ou intellectuel, l’exercice peut s’avérer très positif. Je pense entre autres aux mémoires de Simone de Beavoir, Pablo Neruda ou Pierre Vallières, dont la lecture m’a profondément séduit. Il est certain qu’il s’agit là de regards très subjectifs et que le résultat est très éloigné d’un véritable ouvrage biographique sérieux. Mais en revanche, on a droit à une introspection d’une richesse incomparable. En fait, je crois qu’il s’agit là de deux formes narratives tout à fait distinctes. Cependant, s’il est possible de produire des biographies de qualité d’à peu près n’importe quelle célébrité, ce n’est qu’une infime minorité qui est en mesure de produire des mémoires réussies. Mais lorsque certains y parviennent, on a alors droit à de véritables bijoux!
Je crois que les deux types peuvent co-exister, car ils se complètent d’une certaine manière. Le problème que vous soulevez est davantage dans le fait que le biographe non-autorisé n’a pas accès aux principaux intéressés, qui veulent garder les bouts croustillants pour leur version des faits.
En ce qui me concerne, je préfère un troisième type de biographie, celle qui est une compilation de morceaux d’entrevues avec les témoins directs, une sorte de documentaire « Talking Heads » sur papier, comme l’Anthologie des Beatles. Monty Python et Saturday Night Live ont aussi publié un ouvrage équivalent, que j’ai trouvés beaucoup plus instructifs que l’essai traditionnel ou l’auto-biographie standard.
Comme disait les French B. : il y a des gens qui sont critiques des vedettes et qui deviennent des vedettes de la critique.
Dommage.
N’empêche que presque aucun sketch diffusé a l’époque TVA pourrait être diffusé aujourd’hui sur les ondes d’aucun réseau, d’après moi, tellement le climat est au PC extrême dans le domaine des médias et de la politique au Québec.
La chose la plus difficile qui soit, c’est d’écrire à propos de soi-même. C’est un exercice terriblement malcommode, surtout lorsque l’on est bien conscient que c’est ce que l’on fait.
Par contre, nombre d’auteurs, qu’il s’agisse de paroliers ou d’écrivains, y parviennent aisément et avec beaucoup d’à-propos. Parce qu’alors, ces paroliers et écrivains ne se rendent pas vraiment compte qu’ils sont en train de se raconter.
Je le sais pertinemment pour avoir écrit quelques centaines de chansons depuis la fin des années soixante. Et plusieurs de celles-ci, lorsque je les écoute à présent, sont rien de moins que des tranches de vie, de ce que je pensais, de qui j’étais.
Les choses se racontent mal après coup. On en a oublié des bouts et on en enjolive malgré soi quelques pans.
Une autobiographie qui tienne vraiment la route, c’est une mission presque impossible car trop subjective et personnellement censurée, même inconsciemment. Et une biographie rédigée par un tiers, c’est un pari très risqué côté acuité véritable.
Cela dit, je vous laisse sur quelques mots du critique littéraire français Albert Thibaudet (1874-1936):
« L’autobiographie qui paraît au premier abord le plus sincère de tous les genres, en est peut-être le plus faux. »
Vaut mieux écrire des chansons…
Je crois que peu importe que ce soit une autobiographie ou une biographie faut-il encore que la vie racontée ait été hors du commun ou ait servi à l’histoire de l’humanité. Malheureusement, il y a sur le marché trop d’autobiographies ou de biographies qui se révèlent d’aucun intérêt. Vous ne devriez pas regretter de ne pas avoir écrit cette biographie car pour ma part la vie de RBO, bien que ce soit un groupe d’humoriste que j’ai aimé à l’époque, ne m’intéresse aucunement. Que pouvons-nous apprendre de plus que tous les « spécial vedettes » ne nous aient pas déjà appris ? On ne parle quand même pas de personnages légendaires qui ont changé la face du monde et dont le parcours de vie peut nous amener à réfléchir et parfois forcer notre admiration. Savoir qu’en mille neuf cent tranquille RBO est allé en Europe ou qu’ils ont eu un accident de char encore une fois on en a rien de plus à cirer. Si ça peut vous faire un petit baume à l’âme, je préfère vous suivre et vous lire dans le Voir.
suggetion de lecture d’un biographe réputé et célèbre:
Qui dit « je » en nous .
de claude Arnaud
@Lise Cyr
Le livre de Louis Longpré va pas mal plus point que les anecdotes. C’est plus une étude sociologique de l’humour au Québec des années 80. Pourquoi RBO a-t-il autant eu de succès? Et comment cette « business » s’est-elle construite.
C’est un livre qui intéressera ceux qui s’intéressent à l’étude de la culture populaire au Québec.
C’est un intérêt un peu pointu, certes. C’est le cas d’un paquet de livres.
Ça pourrait aussi s’appliquer à tellement de BDs autobiographiques.
Ouf ! votre réponse me rassure. Mais pourquoi diable avoir misé sur ce titre ? ça porte à confusion … Non ? D’autant plus que les témoignages de RBO sont complètement absents de cet ouvrage comme vous le mentionnez . L’auteur avait-il peur de nommer son bouquin comme il aurait dû ? J’avoue que ce n’aurait pas été très vendeur d’appeler ça : Les Années 80: « Étude sociologique de l’humour au Québec ». Merci de m’avoir remis la pendule à l’heure ça m’apprendra à vous lire avec attention jusqu’au bout. Pourtant vous êtes toujours le premier dont je lis la chronique religieusement chaque jeudi. Je devais être dans le coma…