Le vouloir et le pouvoir
Angle mort

Le vouloir et le pouvoir

Il y a quelque chose d'éminemment politique dans cette fièvre entourant l'hypothétique retour des Nordiques.

Le vouloir est là. Explicite. Bruyant. Samedi dernier sur les plaines d'Abraham à l'occasion de la Marche bleue, il a fait bouger le cul de plus de 50 000 fans en délire.

Le maire Labeaume, grand ami des kodaks, juge que sa ville mérite une équipe de la LNH. Le plus tôt possible.

On veut les Nordiques, et on le hurle assez fort pour qu'on finisse par croire que vouloir, c'est pouvoir.

Hélas, le pouvoir de réaliser ce beau grand projet rassembleur demeure bien incertain. Le pouvoir, c'est ce qui m'intéresse dans toute l'affaire.

Cette fièvre sent fort la politique, mais tellement.

Ironiquement, le berceau de la Nordiques Nation se trouve dans l'un des seuls coins du Québec où les électeurs ont envoyé à Ottawa des députés d'un parti qui prône une moins grande intervention de l'État dans l'économie.

La ville de Québec a contribué à mettre Stephen Harper au pouvoir, et aujourd'hui elle lui demande de ne plus être Stephen Harper. Elle lui demande d'investir l'argent de nos impôts dans la construction d'un amphithéâtre qui servira d'abord des intérêts privés.

Harper a devant lui un beau dilemme. S'il s'entête à défendre une idéologie qu'il a toujours défendue, il risque de mettre en beau fusil ses seuls partisans au Québec. Ceux-là sont précieux.

En revanche, s'il pile sur ses idéaux et signe un chèque au maire Labeaume, il se mettra à dos ses électeurs du rest of Canada. Ceux-là y verront une forme de favoritisme, et ils auront raison.

Notre premier ministre Jean Charest, de son côté, ravi d'avoir une bonne nouvelle à annoncer pour faire oublier sa commission Bastarache et les soupçons de corruption qui lui pendent au bout du nez, n'a pas hésité à promettre que le gouvernement provincial payerait 45 % de la facture du nouvel amphithéâtre des hypothétiques Nordiques.

Pour que sa "générosité" n'ait pas trop l'air de ce qu'elle est – de l'opportunisme politique -, il s'est empressé de dire que Québec méritait des infrastructures sportives de haut niveau pour accueillir – peut-être, qui sait? – les Jeux olympiques d'hiver de 2022.

Parlons-en. Les chances que Québec les décroche sont elles aussi très minces. Il faut être irrationnellement optimiste pour y croire.

On voudrait bien les obtenir, mais on ne pourra pas de sitôt. Tout simplement parce que Vancouver vient de les organiser.

Pour le Comité international olympique, Vancouver et Québec sont deux villes canadiennes. Aussi enneigée et accueillante soit la Vieille Capitale, il est clair que le CIO portera son choix sur une ville non canadienne.

De plus, en matière de grands rassemblements sportifs, la tendance est à nommer comme hôte un pays "émergent". On trouve que ça rapproche les peuples; les pauvres et les riches, le Nord et le Sud.

C'est ainsi qu'on a aimé (au début) donner les Jeux olympiques d'été à Pékin. On a aussi aimé donner la Coupe du monde de foot à Johannesburg, en Afrique du Sud.

Toujours est-il qu'une ville riche d'un pays développé qui a déjà accueilli deux Jeux olympiques d'hiver dans un passé récent a assez peu de chances de gagner le gros lot une troisième fois. En tout cas, pas en 2022.

L'urgence de construire un aréna pour d'éventuels Jeux olympiques est donc inexistante. Ce qui rend le financement public de la chose plus périlleux à justifier.

Plus j'y pense, plus je me dis que la façon la plus simple de marier le "pouvoir" et le vouloir des partisans des Nordiques, ce serait de faire la souveraineté du Québec. Eh oui.

Un Québec souverain ne laisserait pas patiner sur son territoire une seule équipe de la LNH nommée les Canadiens. On payerait pour un nouvel amphithéâtre, on payerait pour les Nordiques. Et avec le sourire, en plus.

D'autant plus que, dans un Québec souverain, notre capitale nationale aurait de bien meilleures chances de décrocher des Jeux olympiques d'hiver. Le Québec entrerait dans la catégorie des pays émergents. Confier à sa capitale l'organisation des Jeux d'hiver serait une belle façon de nous inviter officiellement dans le grand concert des nations.

C'est ainsi qu'au lieu des marches bleues, les gens de Québec devraient profiter des prochaines élections pour congédier leurs députés conservateurs. Pour obtenir les Nordiques, c'est la marche vers la souveraineté qu'ils devraient rejoindre.

L'autre option: que les gens de Québec convainquent Pierre Karl Péladeau et d'autres entreprises privées d'investir dans leur fichu aréna, et qu'ils laissent le pouvoir en dehors de tout ça…