L'avenir est derrière nous
Angle mort

L’avenir est derrière nous

Le vieux se vend bien.

En reproduisant à la note près des succès des années 70, Sylvain Cossette n'a jamais autant vendu d'albums. D'ici peu, le répertoire musical québécois s'enrichira d'ailleurs du troisième volume de ses imitations.

Phil Collins est sorti de sa retraite pour faire un Cossette de lui-même, version Motown dans son cas. Était-ce nécessaire? Je m'interroge.

À la télé, Fidèles au poste (TVA) et Les Enfants de la télé (SRC) sont deux nouveautés automnales qui carburent aux clips délavés d'Allo Boubou en pattes d'éléphant. Les deux émissions sont millionnaires.

Et je ne parle pas du cinéma. Le blogue Den of Geek a relevé 75 projets de remake actuellement dans les fourneaux.

On travaille sur un nouveau Footloose, un nouveau Ghostbusters, un nouveau Tron, un nouveau Police Académie, un nouveau Robocop, un nouveau Barbarella, un nouveau Conan, le barbare. Et Robert Zemeckis (Forrest Gump) bosse sur une version 3D de Yellow Submarine.

Bref, Hollywood n'en finit plus de rajeunir ses vieilleries.

Non seulement reprend-on des films, mais le cinéma s'inspire maintenant des séries télévisées du bon vieux temps. On a fait Miami Vice, Mission: Impossible, The A-Team. Une version filmique des Joyeux Naufragés sortirait sous peu.

C'est drôle, personne encore au Québec n'a eu l'idée de tourner une version cinématographique de Symphorien.

Nostalgie? Absolument. Économie? Surtout. Refaire un film est moins coûteux que de proposer une nouveauté. D'autant plus qu'un nouveau film part à zéro public, alors que la résurrection d'un "classique" peut au moins compter sur quelques fans indécrottables avant même d'arriver en salle.

Ce qui marche pour la musique et le cinéma marche pour autre chose.

J'ai trouvé dans une boutique de jouets tout un rayon de marionnettes à l'effigie de Fraggle Rock, émission de Jim Henson diffusée dans les années 80.

Entendons-nous, pour les enfants des années 2000, ces marionnettes ne signifient foutrement rien. Ces jouets visent la fibre nostalgique des parents. Et ceux-là n'hésitent pas à imposer les icônes de leur jeunesse à leur progéniture, et probablement avec beaucoup plus d'allant que lorsqu'ils achètent des bébelles à l'image de Dora ou de cet insupportable Caillou.

La nostalgie, le flash-back, les souvenirs, le goût du rétro… Voilà probablement ce qui définit le mieux la culture actuelle.

La fin des années 70 a connu l'époque disco. Le grunge de Nirvana a marqué les années 90. Nous avons aujourd'hui des revenants. Nous vivons bien emmitouflés dans les draps des fantômes du passé. Pourquoi?

Les raisons sont peut-être technologiques. À l'ère de Youtube, le passé n'a jamais été aussi accessible. Il suffit d'un clic pour revoir le clip psychotronique Danser pour danser de Martine Chevrier. On l'avait oubliée, celle-là. On ne l'oublie plus désormais. Parce qu'en 2010, on nage dans les boules à mites électroniques.

Les raisons sont peut-être psychologiques. Selon Krystine Batcho, professeure en psychologie au collège LeMoyne (Syracuse), la nostalgie fournit "une impression de stabilité dans un monde en perpétuel changement". Pour des chercheurs chinois, être nostalgique serait même thérapeutique. Car on aimerait retrouver l'époque où l'on était "socialement plus actif". On parle ici de ses jeunes années, au temps des nuits folles dans les discothèques. Se rejouer des tubes disco en boucle permettrait donc aux personnes seules de se sentir mieux.

Les raisons sont peut-être aussi philosophiques. Reprenons la formule de Francis Fukuyama selon laquelle nous serions parvenus à la "fin de l'Histoire".

La fin de l'Histoire, c'est la fin des grandes idées politiques, des rêves d'un monde nouveau. C'est la fin de l'avenir. Culturellement, peut-être avons-nous atteint une sorte de cul-de-sac. Aussi bien virer de bord.

Comme un vinyle rendu au bout de ses sillons: il tourne sur lui-même un moment jusqu'à ce que le petit bras revienne au début. Et la musique recommence.

Le philosophe français Jacques Derrida avait inventé le concept de l'hantologie, qu'on a fini par associer à un genre musical "hanté" par son passé, par ce qui l'a précédé. On remixe des sons d'hier, de vieux jingles publicitaires, de la musique pleine de friture.

L'hantologie est tournée vers le suranné, vers ce qui n'existe plus. Parce que le présent est décevant. Une philosophie qui, à certains égards, a des airs de famille avec le "no future" du mouvement punk.

La culture punk et Sylvain Cossette, même combat?