Tuer son père
Je vais vous parler de quelqu'un que vous aimez bien. Il s'appelle Pierre Karl Péladeau.
Si j'en crois ce sondage CROP paru dans le dernier numéro de L'Actualité, vous (les Québécois) êtes 72 % avoir une opinion très ou plutôt positive du patron de Quebecor. Coudonc.
Ce Pierre Karl Péladeau a donc daigné accorder une entrevue au magazine susmentionné. Un beau coup, car PKP se fait rare hors des limites de son empire. Parlez-en aux recherchistes de Tout le monde en parle.
Toujours est-il que le portrait que signe Jonathan Trudel est parvenu à me faire croire que PKP pourrait être quelque chose comme un grand homme d'affaires. Peut-être même un grand homme tout court.
Exception faite du vidage de cour qu'une ex-rédactrice en chef du JdeM publie dans le même numéro, c'est le souvenir qu'on garde de cet article sur ce "bulldozer nommé PKP".
Que retient-on de ce portrait de "l'homme le plus redoutable du Québec"? Qu'il est quelqu'un d'une grande culture, selon Richard Martineau. Qu'il fait du vélo avec le vent dans la face. Qu'il fait son gros possible pour rentrer le soir juste à temps pour raconter une histoire à ses enfants. Qu'il "est né avec une cuillère d'argent dans la bouche, mais personne ne la tenait, la cuillère", selon sa conjointe Julie Snyder.
On retient aussi qu'il est un "bulldog", qu'il "gère par instinct mathématique", qu'il "est moins habile avec les personnes". Sauf qu'ici, ce n'est pas une primeur. Cela fait 21 mois que les 253 employés en lock-out du Journal de Montréal le crient par la bouche de leurs crayons, entre autres.
Pierre Karl Péladeau est aussi un fils. Celui d'un des plus célèbres personnages du Québec inc., Pierre Péladeau.
C'est drôle, j'ai toujours perçu chez le fils une sorte de complexe d'Odipe. Un homme mû par le désir, comme l'a dit Freud, de tuer son père pour prendre sa place auprès de sa mère.
Bon. Pour sa mère, je n'en sais rien, mais en ce qui concerne son père… il y a des signes qui rendent la psychanalyse tentante. Voyons voir.
Côté personnel, le père a collectionné les femmes. Toujours absent, il a placé Pierre Karl dans une famille d'accueil après le suicide de la mère de celui-ci.
Aujourd'hui, le fils veut tout le contraire pour ses enfants. C'est tout à son honneur. Quand il le peut, il va quérir son petit à la garderie… en vélo.
Côté business, le vaisseau amiral de l'empire Quebecor-père était Le Journal de Montréal. Ce bon vieux Péladeau a aimé son journal et ceux qui y travaillaient. Pour préserver la paix syndicale, il a fini par faire d'eux les journalistes les plus gâtés de l'industrie.
Aujourd'hui, le vaisseau amiral de Quebecor-fils est Vidéotron. Le câblodistributeur acquis en 2000, grâce à 3,2 milliards de $ puisés à même le bas de laine des Québécois, offre tout un bouquet de services allant d'Internet au câble, en passant par la téléphonie résidentielle et maintenant mobile. Vidéotron fournit plus de la moitié du chiffre d'affaires de Quebecor-fils.
Pierre Péladeau avait Le Journal de Montréal tatoué sur le cour (et le cour sur la main). Sur ce point très précis, son fils a su démontrer qu'il ne suivait pas les traces de son père.
Pierre Péladeau était, dit-on, un homme "de gens". Voyons comment il a laissé son empire à sa mort, le 24 décembre 1997. Quebecor-père, tel que présenté dans le rapport annuel de l'entreprise en 1998, est une multinationale de 39 000 employés. Elle a des revenus de 8,4 milliards de $ et se dégage un bénéfice net de 172,7 millions de $. Personnellement, je saurais quoi faire avec un tel montant dans mes poches à la fin de l'année fiscale, mais pour une multinationale, on peut faire mieux.
Pierre Karl Péladeau est, dit-on, un homme de chiffres. Voyons comment il a remodelé l'empire de son père. Selon le plus récent rapport annuel de l'entreprise, Quebecor-fils ne compte plus que 15 800 employés. Il ne reste plus rien des imprimeries du temps de Quebecor-père. Les revenus de Quebecor-fils totalisent 3,8 milliards de $ et le bénéfice net est de 277,7 millions de $.
Résumons. En 2009, avec plus de la moitié moins d'employés qu'il y a 11 ans, avec un peu plus de la moitié des revenus qu'il y a 11 ans, Quebecor-fils est parvenu à ajouter 105 millions de $ de plus que Quebecor-père dans la colonne des bénéfices nets. Le père était fort en "personnes", le fils est fort en chiffres.
On peut apprécier ou pas ce que Pierre Karl Péladeau a fait de son héritage. Mais une chose est claire: aujourd'hui, on peut dire qu'il a tué son père.
Excellent article, partout on voit la mort des journaux, peut-être P.-C. a-t-il vu ça venir de loin.
Très intéressant.
Josée Blanchette du Devoir a signé une lettre ouverte à PKP la semaine dernière. Elle donne son avis sur le conflit du JdeM, sur la façon dont le traite PKP et sur la façon dont l’aurait traité Pierre Péladeau. Elle parle aussi du jeune homme qu’il était, de l’étudiant qu’il était. Texte également très intéressant.
C’est une définitivement une personne complexe ce PKP.
Pour mieux démoniser Pierre-Karl, voilà qu’on se livre à la canonisation du papa, un homme d’une si grande vertu. Amusant.
Un peu comme pour décrier la mauvaise conduite du PQ, on nous ressort René Levesque à tout bout de champs pour nous dire que, lui, c’était un vrai. Que, lui, il aurait agit autrement aujourd’hui. Ben kin.
Papa Péladeau vivaient dans un tout autre contexte que PKP, et il était loin d’être toujours angélique en affaires, loin d’avoir toujours le coeur sur la main avec ses partenaires et employés, et tout et tout. Faudrait peut-être arreter de charrier en lui prêtant une conduite passé dans un contexte présent.
Papa Péladeau était un homme d’affaires pas mal plus rude, avec beaucoup plus de mordant que le fiston. Bien sur qu’il aimait son journal et ceux qui travaillaient pour son entreprise…. parce que ça prenait beaucoup de gens pour faire tourner un journal… dans le temps. Tant qu’à délirer, on pourrait aussi prétendre que PKP aurait été copain-copain avec ses employés… dans le bon temps… ou les profits entraient… jadis. Ben kin. :)
Le papa et le fiston n’ont pas la même personnalité, mais aucun des deux n’aiment la contrariété en affaires. Et encore moins le père.
Vouloir nous faire croire que papa Péladeau, en 2010, transformerait Quebecor en une fonction publique en payant de généreux salaires à 200 employés alors qu’il n’en a besoin que de la moitié pour faire la job… là on tombe dans l’angélisme. À mon avis.
Bonjour Steve,
Ta chronique m’a fait sourire. Depuis la publication de mon article, plusieurs personnes m’ont accusé d’avoir voulu ternir l’image de PKP, dans une opération commandée par Rogers, (propriétaire de L’actualité) pour attaquer Quebecor au moment où Vidéotron se lance dans le sans fil…
Ils ont plutôt remarqué, eux, les passages du portrait qui portent sur…
– l’omerta qui règne autour de PKP
– le contrôle qu’il exerce sur l’information véhiculée dans certains médias de son empire
– ses liens avec Stephen Harper
– les critiques acerbes des syndicats (qui l’accusent d’avoir des méthodes du 19e siècle)
– son style de gestion autoritaire, et j’en passe.
Quand des lecteurs tirent des conclusions différentes d’un portrait et le critiquent pour des raisons parfois opposées… c’est généralement bon signe.
Salutations,
Jonathan Trudel
@Jonathan
En effet. J’ai entendu « portrait équilibré » à C’est bien meilleur le matin.
Le soir même je croisais une lock-outée dans un lancement qui, elle aussi, partageait mon impression concernant le portrait.
Enfin, qu’en en tire ce qu’on veut, c’est un beau coup pour L’actu!