Dehors, les intellos!
Angle mort

Dehors, les intellos!

À quelles sources d'information Éric Duhaime, du Réseau Liberté-Québec, s'abreuve-t-il pour déclarer sans rire que les idées de droite sont absentes du débat public?

Il lit uniquement la page Idées du Devoir? Il n'allume sa radio que pour écouter Par quatre chemins avec Jacques Languirand? J'essaie de comprendre.

La droite jouit d'une tribune privilégiée au Québec, non seulement dans le plus grand quotidien francophone d'Amérique du Nord, mais aussi dans les pages de son plus proche rival. La droite est partout dans la presse affaires. La droite a ses porte-voix, qu'on entend partout, qui chroniquent, bloguent, twittent, qu'on invite aux émissions d'affaires publiques. La droite est au pouvoir à Québec et encore plus à Ottawa.

Malgré tout, M. Duhaime est venu dire à Tout le monde en parle que la droite était pratiquement muselée au Québec. Il l'a dit à Tout le monde en parle. Devant 1,3 million de téléspectateurs. C'est ce qu'on appelle avoir du tape gris sur la bouche.

Cessons donc tout de suite ce débat stérile.

La droite et la gauche ont droit de cité au Québec. Les deux possèdent leurs tribunes. Les idées circulent et souvent s'entrechoquent. C'est sain.

Par contre, au-delà de la gauche, de la droite ou du centre, un groupe a manifestement du mal à se faire entendre. Ceux-là sont boudés, méprisés, ridiculisés. J'ai nommé: les intellectuels.

Une note d'abord: hormis Denise Bombardier, rares sont les personnalités publiques qui s'avoueront ouvertement intellectuelles. C'est évidemment suicidaire. La plupart du temps, un simple faux pas leur aura valu l'abominable étiquette.

Par exemple, citez Tocqueville dans une déclaration publique et paf! Vous êtes marqué au fer rouge. Saupoudrez d'un peu de latin vos discours et vous êtes foutu. Intervenez à titre de "lologue" ou de docteur (dans un domaine non relié à la médecine) et brûlez en enfer.

En politique, c'est pire. Être catalogué "intellectuel" est l'équivalent de la lèpre.

Hélas, Michael Ignatieff aura beau "flipper" toutes les boulettes de bouf haché dans tous les barbecues de Whitehorse à St. John's, il ne se débarrassera jamais de son brassard d'intellectuel.

On votera pour n'importe qui, sauf pour un intellectuel.

Tenez, la semaine dernière, Toronto a élu comme maire un collectionneur de propos racistes, homophobes, démagogiques et/ou carrément idiots.

Les citoyens de la métropole économique du pays ont élu un méchant "toto", mais au moins ils n'ont pas élu un intellectuel. Ça, jamais.

La pire tare de l'intellectuel n'est ni son savoir ni ses diplômes. C'est l'impression de condescendance qu'il dégage chaque fois qu'il ouvre la bouche.

Parce qu'il s'exprime autrement qu'à coups de clips racoleurs et simplistes, il fait chier tout le monde. Et plus particulièrement le "vrai" monde.

Le vrai monde est cette secte de gens convaincus d'être plus vrais que les autres. Parce qu'eux, ils ont de vraies jobs, paient de vrais impôts et ont de vrais problèmes. Par conséquent, ils exigent de leurs élus de vraies solutions.

Et ce qu'ils réclament, c'est rien de moins que le gros bon sens.

La Révolution du gros bon sens

Au Québec, dans le reste du pays et aux États-Unis, cet insaisissable gros bon sens est plus que jamais l'idéal politique du vrai monde.

Or, même le plus légèrement intello des politiciens aura du mal à naviguer dans ces eaux troubles, dans ce contexte où le vrai monde vote pour une ou deux idées simplistes, mais jamais pour une idéologie.

Parce qu'entendons-nous: on peut être de gauche ou de droite, mais politiquement parlant, il est impossible d'être "de gros bon sens". C'est juste n'importe quoi.

N'importe quel intellectuel vous le dira. Mais personne ne l'écoutera.

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L'anti-intellectualisme est une forme de rejet d'une élite qu'on a depuis longtemps associée au pouvoir.

Il y a 50 ans, le Québec a mis dehors son élite religieuse et l'a remplacée par des intellectuels. C'est ce qu'on a appelé la Révolution tranquille.

On a créé des universités et toutes sortes de structures pour que s'épanouissent ces philosophes, "lologues" et autres penseurs. On les a laissés parler. On a écouté leurs grandes idées humanistes. On s'est fié à leur science. On les a élus et ils ont bâti une société bourrée de nobles principes, comme celui voulant que tous les citoyens, pauvres ou riches, soient égaux devant la maladie.

C'est fini tout ça. Dehors, les intellos! Il semble que nous soyons maintenant prêts pour une nouvelle révolution. La Révolution du gros bon sens.

J'ai quasiment hâte de voir où elle nous mènera, cette révolution. Quasiment.