Angle mort

Mon amie Facebook

L'amitié est un domaine fascinant.

On posséderait en moyenne 150 amis. Par "amis", on entend "personnes qui occupent une place dans notre cercle social, et réciproquement".

On inclut dans cette définition le meilleur ami, les camarades de classe jamais perdus de vue, les collègues de bureau, les couples d'amis, le gars du dépanneur, les membres de votre club échangiste (je ne suis pas ici pour juger).

Tout au long d'une vie, on glane des complicités partout où l'on passe. Certains amis sont éphémères, d'autres collent plus longtemps.

Selon les experts, l'amitié apparaît souvent lorsque deux personnes partagent une "histoire commune".

Les amis sont ceux dont on prend des nouvelles sur une base régulière, ceux que l'on côtoie. Chaque fois qu'on partage un café ou une partie de poker, chaque fois qu'on ramasse un pote à la petite cuillère, le lien d'amitié se renforce.

Bien sûr, un bon trousseau d'amis fait partie des éléments essentiels à une bonne santé mentale.

Or, on aurait moins d'amis qu'avant.

En 2006, une étude de l'Université de Chicago a démontré que les Américains comptaient en moyenne le tiers moins d'amis proches que 20 ans auparavant. On possède deux amis à qui se confier au lieu de trois en 1985. Pire, un Américain sur quatre n'en a aucun.

Les médias électroniques (télé, Internet) qu'on consomme en compagnie de soi-même auraient eu en partie raison d'une amitié solide. L'éloignement aussi. Les banlieusards qui passent trois heures par jour dans le trafic auraient moins de temps à consacrer à leurs amis. Et puisqu'on déménage ou qu'on change d'emploi plus fréquemment qu'autrefois, on laisserait parfois en chantier des amitiés naissantes. Loin des yeux, loin du cour.

Lueur d'espoir: au moment de cette étude, on prédisait que les réseaux sociaux contribueraient à changer les statistiques.

Le 8 novembre 2010, je comptais 956 amis Facebook.

Voilà plus de trois ans que je fais partie des 500 millions d'utilisateurs du plus important réseau social au monde.

Au Canada, selon plusieurs études, les utilisateurs de Facebook passeraient près de 6 heures par semaine sur Facebook. Seulement sur Facebook. J'en suis.

Cela dit, j'ai beau compter presque un millier de personnes dans mon portefeuille d'amis, j'échange régulièrement avec une trentaine d'entre eux, pas plus.

Les statuts de ces 30 surgissent systématiquement dans mon fil de nouvelles. Sur Facebook, ils sont toujours là et pourtant, je les connais à peine dans la vraie vie. C'est le cas notamment de Marie-Soleil Michon, animatrice de télévision.

Je l'aime bien, Marie-Soleil. Mais je l'ai rencontrée peut-être deux fois, maximum. Je ne me rappelle pas avoir eu avec elle une conversation digne de ce nom. Et jamais il ne me viendrait à l'esprit de l'appeler Marie-So. Nous n'en sommes pas à ces familiarités.

Malgré tout, je reçois des nouvelles d'elle tous les jours. Elle commente l'actualité, diffuse ses états d'âme, nous annonce qu'elle passera à Pyramide cette semaine. Parfois je commente ses statuts.

Avec le temps, Marie-Soleil Michon est devenue la Madame Bourette de mon voisinage virtuel (pardonnez la référence obscure).

Elle représente à merveille l'amie Facebook. Une personne constamment dans mon champ de vision, mais avec qui il ne me viendrait jamais à l'esprit d'aller prendre un café pour rien, comme le font les vrais amis.

En ce qui me concerne, hors Facebook, Marie-Soleil Michon n'existe pas. Sommes-nous amis? Et pourquoi est-elle plus mon amie Facebook que les 955 autres de ma liste?

Thomas Weber, du site The Daily Beast, a percé le secret du fil de nouvelles de Facebook. Lui aussi s'est demandé pourquoi certains profils faisaient "pop" sur la page d'accueil de son profil plus souvent que d'autres.

C'est ainsi qu'il a découvert qu'un profil Facebook créé il y a longtemps, et dont les statuts sont commentés, a plus de chances d'atterrir dans le fil de nouvelles. Aussi, afficher un hyperlien ou un clip vidéo est une façon d'augmenter la visibilité d'un statut.

Mais surtout, Facebook est un concours de popularité.

Pour arriver à être vu par ses "amis Facebook", Weber souligne qu'il vaut mieux s'entourer de gens moins populaires que soi et tout faire pour susciter leurs réactions.

Sans s'en rendre compte, c'est probablement ce que Marie-Soleil Michon a fait avec moi.

Résumons-nous. On a moins de temps à consacrer à ses vrais amis, mais on passe en moyenne presque 6 heures par semaine à s'agglutiner superficiellement à des gens plus populaires que soi.

L'amitié est un domaine fascinant, mais dans le cas des amis Facebook, quelque chose m'échappe encore.

Rappelez-moi d'en glisser un mot à Marie-So.