Aux petits maux…
Angle mort

Aux petits maux…

Jusqu'ici, ma santé et moi, on s'est toujours bien entendus. Je croise les doigts et il m'en reste assez sur une main pour compter mes contacts avec la médecine moderne.

Mon premier souvenir remonte à l'adolescence. J'avais 13 ans et je me suis retrouvé à la clinique du Dr Mailloux, car mon corps s'était mystérieusement recouvert de plaques roses.

Le bonhomme a sorti son encyclopédie médicale et m'a montré l'article concernant mon bobo: pityriasis rosé. "C'est le stress", qu'il m'a dit. Il m'a conseillé du repos, puis il m'a dit de rentrer chez moi.

Mon deuxième souvenir est plus récent. Une crise d'hypocondrie m'était tombée dessus à l'approche de la trentaine. Je me suis dit qu'il valait mieux prévenir que guérir, et que si un cancer du testicule était en train de me pousser ailleurs que dans la tête, je devais le savoir maintenant. Je souhaitais un bilan de santé pour me rassurer. Et c'est ce que j'ai demandé à ce médecin de la clinique du complexe Desjardins.

"As-tu mal quelque part?" m'a-t-il répondu. "Non, mais je veux prévenir, t'sais…"

Pressé d'en finir avec le non-malade que je suis, il m'a tâté pour la forme, m'a déclaré en parfaite santé, puis il m'a dit de rentrer chez moi.

Toujours est-il que jusqu'ici, dans mon cas, un médecin, c'est quelqu'un qui me dit de rentrer chez moi.

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Ma blonde et moi sommes parents depuis treize mois. Du coup, nos contacts avec la médecine moderne sont devenus plus réguliers.

Après quelques semaines à la garderie, ma fille s'est mise à souffrir de la guédille au nez. Un petit rhume, presque rien. Dans l'univers des services de garde, en revanche, la guédille est une des nombreuses raisons de renvoyer un enfant à la maison.

En tant que parent, il faut donc prendre une journée de congé et "agir en conséquence" afin de soigner ladite guédille.

Toujours en tant que bon parent, on compose alors le numéro d'Info-Santé. Au bout du fil, une diligente infirmière nous pose un demi-milliard de questions au sujet de l'enfant. Son âge, sa température, sa toux, le son de sa respiration, son humeur, son degré d'hydratation, son appétit. Elle nous fournit ensuite maints détails sur la façon dont pourrait ou ne pourrait pas évoluer ce rhume.

Puis, elle conclut en nous spécifiant qu'en cas de doute, il vaut mieux consulter un médecin.

Puisque le nouveau parent est justement une boule de doutes sur deux pattes, où croyez-vous que cette guédille nous a menés? À la polyclinique, bien sûr. Avec un numéro en main, un bébé renifleur dans la poussette et beaucoup de temps à tuer.

En passant, camper dans une salle d'attente avec un enfant en bas âge n'est pas ce qu'on pourrait appeler "du temps libre pour se rattraper dans ses lectures". Il faut prévoir des collations, des repas, des biberons, des couches, des jeux. Il faut dégourdir les jambes de la progéniture, l'occuper, la consoler, la moucher.

En résumé, huit heures dans une salle d'attente avec un bébé, c'est une journée de cul.

Alors, on est un tout petit peu dans l'expectative lorsque notre numéro sort enfin, qu'on parvient à voir ce médecin qu'on a attendu à peu près aussi longtemps que le père Noël.

Celui-ci a regardé ma fille. Il l'a tâtée pour la forme. Il nous a prodigué quelques conseils. Boire beaucoup d'eau. Un peu de Tempra en cas de fièvre. Rentrez chez vous.

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J'ai comme la vague impression que les médecins sont surqualifiés pour un paquet de bobos qu'on leur soumet. Ce n'est pas normal, et encore moins productif, d'avoir à poireauter huit heures pour se faire dire de rentrer chez soi.

Les salles d'attente sont remplies de gens qui n'ont pas d'affaire là, de nouveaux parents inquiets, de petits vieux qui se sont trouvé un nouveau rhumatisme et d'hypocondriaques qui se croient à l'article de la mort.

À Tout le monde en parle l'autre soir, j'entendais le vrai Jean Coutu plaider pour un élargissement du rôle des pharmaciens. Ceux-ci devraient pouvoir poser des gestes médicaux simples. J'étais on ne peut plus d'accord avec lui.

Oui, mon pharmacien du coin devrait être celui qui me vend des essuie-tout, des cartes de souhaits, des magazines à potins et des bains de pieds. Et c'est aussi lui qui devrait gérer les bobos du quotidien.

"Aux grands maux les grands moyens", dit le proverbe. "Aux petits maux les petits moyens", ai-je envie de rétorquer.

Confions les maladies compliquées aux médecins et laissons les pharmaciens (ou encore les infirmières spécialisées) se charger des guédilles au nez.