Écrire est une job de jour
Angle mort

Écrire est une job de jour

D'emblée, je félicite Gil Courtemanche pour son geste. Fidèle à ses paroles, il a refusé d'être finaliste à des prix commandités par une filiale de Quebecor, et ce, afin de soutenir la cause des employés en lock-out d'une autre filiale de Quebecor. Bravo.

C'est tout ce que j'aurais eu à dire si l'auteur de Je ne veux pas mourir seul s'était contenté d'un simple coup d'éclat n'impliquant que lui-même. Or, il a décidé d'inviter les autres finalistes aux Grands Prix littéraires Archambault à imiter son doigt d'honneur envers l'empire Quebecor.

Il aura ainsi forcé ses collègues écrivains à prendre position sur un sujet qui ne les concerne pas. Ces derniers n'ont d'ailleurs pas apprécié, et Nathalie Petrowski s'est empressée de conclure que le donquichottisme au sein de la faune littéraire était en déroute.

Une semaine plus tard, l'auteur de La Canicule des pauvres, Jean-Simon Desrochers, après avoir déploré "les dommages collatéraux de la vertu" de Courtemanche, s'engageait (s'il gagnait) à verser sa bourse de 10 000 $ aux lock-outés du Journal de Montréal.

J'aimerais ne pas y voir de l'opportunisme; je n'y arrive pas. On l'invitera probablement à Christiane Charette, et peut-être à Tout le monde en parle (qui sait?). Son geste lui vaudra une deuxième tournée médiatique pour un roman paru il y a un an. Tant mieux pour lui.

D'autant plus que s'il advenait qu'il gagne, je n'imagine pas un puissant syndicat en lock-out accepter son don. Ce serait comme un fumeur qui accepterait du feu de la petite fille aux allumettes.

Mais revenons à Gil Courtemanche.

Dans le communiqué annonçant son refus d'être associé aux prix Archambault, il nous faisait grâce d'une de ces vertueuses phrases dont les écrivains ont le secret. Une phrase à ajouter immédiatement au répertoire déjà vaste des citations sur la noblesse de l'écriture.

Oui, car les auteurs aiment mettre l'écriture sur un piédestal. L'écriture est à l'origine de l'Histoire, de la justice, de la solidarité. L'écriture est sacrée. Écrire. "C'est hurler sans bruit", disait Marguerite Duras. "Écrire, ce n'est pas vivre. C'est peut-être survivre", pensait de son côté Cendrars. À la question "Pourquoi écrivez-vous?", le poète répond "Pour mieux vivre". "Il faut vivre pour écrire et non pas écrire pour vivre", soutenait d'ailleurs Jules Renard.

Or, pour Gil Courtemanche, "écrire est essentiellement un geste de liberté". "Je ne peux accepter que mon nom ou un de mes livres soient associés à des gens qui foulent cette liberté au pied", écrivait-il pour justifier son auto-flushage des prix Archambault.

C'est beau, n'est-ce pas?

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J'aimerais ajouter un peu de mon cru à cette collection de grandes citations sur l'écriture. La mienne, j'en conviens humblement, n'est porteuse d'aucun grand projet de société. Elle est moins angélique et certainement moins inspirante que celle de Courtemanche et consorts.

Ma citation a cependant le mérite de s'appliquer au quotidien d'un paquet d'écrivains. La voici: "Pour certains, écrire est une job de jour."

Et j'ajouterais qu'il n'y a aucune honte à ce que c'en soit ainsi.

La majorité des écrivains n'ont pas l'ambition de changer le monde une page à la fois. Ils écrivent parce que c'est le métier qu'ils ont choisi. Ils inventent des histoires, des personnages, peaufinent un style. Ils publient tout ceci dans des livres et espèrent en vendre deux ou trois. Écrire est aussi un métier.

Or, chez les écrivains de métier, le fait de remporter une bourse de 10 000 $ signifie parfois, comme l'ont fait remarquer certains la semaine dernière, le coup de pouce nécessaire pour vivre de leurs mots. Pour un roman de plus.

Que ce prix soit remis par une filiale de Quebecor ou par ce restant de l'ère coloniale qu'est le gouverneur général du Canada, cela leur importe peu.

Ces préoccupations prosaïques ne concernent pas Gil Courtemanche. Il a publié son premier roman vers la fin de la cinquantaine. Avant cela, il a été journaliste, animateur de télé, chroniqueur, documentariste. Pendant la majeure partie de sa carrière, romancier n'a pas été sa job de jour.

Écrire, pour lui, est peut-être aujourd'hui un geste de liberté. J'y vois surtout la liberté d'un homme qui en est à sa deuxième carrière, qui n'a rien à perdre, ni rien à gagner. Prix ou pas, il publiera son prochain roman. Tant mieux pour lui.

Or, qu'il laisse aux autres écrivains la liberté de choisir leurs combats. Avoir l'écriture comme job de jour, au Québec, en est déjà un de taille.