Payer pour les cons
Angle mort

Payer pour les cons

Quelle folie m'a pris de vouloir écrire une chronique sur le projet de loi C-32, censé moderniser le cadre réglementaire entourant le droit d'auteur?

D'abord, il est impensable de vouloir caser tout ce qu'il y aurait à dire sur le sujet dans un texte de 750 mots. Ensuite, il est glissant, ce foutu sujet.

Les artistes ont l'émotion à vif, eux qui voient dans ce projet de loi la quasi-mort du droit d'auteur. D'autant plus qu'avec cette sortie d'un organisateur conservateur qui a cavalièrement envoyé chier les artistes sur Facebook, la question est en train de sombrer dans une pitoyable foire d'empoigne.

Je n'embarquerai pas là-dedans. J'aimerais plutôt humblement commenter UN aspect de ce projet de loi. Probablement celui qui attire le plus les foudres de la classe artistique. Je parle de la question des redevances aux artistes, qualifiées de iTaxe par le gouvernement conservateur.

En ce moment, le prix d'un CD ou d'une cassette audio vierges inclut une redevance de quelques sous, laquelle est versée à l'industrie de la musique.

Depuis dix ans, cette mesure créée pour compenser les pertes en droits d'auteur liées à la copie illégale aurait fourni plus de 180 millions $ aux artistes.

Puisqu'on n'utilise pratiquement plus de CD et que le World Trade Center était encore debout la dernière fois qu'on a vu passer une cassette audio, les artistes ont pensé qu'une modernisation de la loi sur le droit d'auteur transférerait cette redevance aux bidules permettant de lire de la musique au 21e siècle, soit le iPod et ses cousins.

Le ministre du Patrimoine James Moore ne voit pas les choses ainsi. Il refuse d'imposer une nouvelle iTaxe aux consommateurs.

Au risque de me faire tirer des roches, je suis d'accord avec lui. Réparer une injustice en en commettant une autre n'est pas l'idée du siècle, les amis.

Je n'achète plus de CD depuis au moins cinq ans. Mon fournisseur de musique s'appelle iTunes. Je lui ai acheté 444 chansons à un coût variant entre 0,99 $ et 1,29 $.

Comme des millions d'autres consommateurs, j'écoute ces chansons téléchargées légalement de façon privée. Je les transfère dans mon vieux iPod Shuffle. J'ai gravé certaines d'entre elles sur quelques CD pour les écouter dans l'auto. Par ailleurs, je n'ai jamais tenté, par quelque moyen que ce soit, de contourner les mesures de protection des chansons téléchargées (nommées "verrous numériques").

Les artistes ont raison de dire qu'un iPod vide ne vaut rien. Sauf que le mien, avec ses tounes téléchargées légalement, vaut plus de 500 $. Est-ce que les musiciens reçoivent leur juste part des pièces achetées sur iTunes? C'est un autre dossier.

Cela dit, en exigeant une redevance à l'achat d'un lecteur numérique, on ferait payer tout le monde, y compris les consommateurs respectueux du travail des artistes, pour les crimes des pirates.

C'est injuste.

Le projet de loi C-32 interdit le piratage ainsi que le contournement (sauf dans certains cas précis) des verrous numériques. Ceux qui violent les ouvres protégées par un droit d'auteur peuvent être traduits en justice.

L'os est là, car les artistes disent ne pas avoir les moyens de poursuivre les pirates.

Ainsi, la redevance sur les CD et les cassettes représentait (et représente encore) une forme d'abdication. Une façon de dire: "Puisqu'il n'y a aucun moyen efficace d'empêcher les pirates de pirater, que tout le monde paie!"

Dans une armée, un général peut forcer tout son régiment à faire cent pompes parce que trois recrues ont mal ciré leurs bottines.

Dans un État de droit, par contre, la majorité des zouaves n'a pas à payer pour les actes répréhensibles d'une minorité de cons.

Le vrai problème se nomme le piratage. Au lieu de pénaliser tout le monde, on doit inventer des moyens de l'éradiquer. Voilà.

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Cela dit, dans les débats entourant le projet de loi C-32, on a assez peu parlé d'une nouvelle disposition qui m'apparaît importante. Je parle de celle qui prévoit une révision de la loi tous les cinq ans.

En effet, le projet de loi C-32 souhaite que le gouvernement réexamine l'application de la loi sur le droit d'auteur à intervalles de cinq ans.

L'an prochain, un nouveau bidule pourrait complètement changer la façon dont nous consommons la musique, les livres numériques, les films.

Lorsque la loi C-32 entrera en vigueur, les prochains gouvernements (qui ne seront peut-être pas conservateurs) ne pourront plus laisser la question du droit d'auteur roupiller pendant que passe le TGV des technologies.

C'est bien, non?