L’arythmie du système scolaire
J'en ai une bonne. En octobre dernier, notre ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, se rendait dans une école primaire de Québec pour "prendre le pouls du réseau scolaire".
Attendez, ce n'est pas la meilleure. Voici ce qu'elle a déclaré à cette occasion: "Je tiens à m'imprégner de la réalité du milieu scolaire pour avoir une idée plus juste de la situation."
Oui, après une (1) visite guidée dans une école, la ministre pense qu'elle "s'imprègne de la réalité du milieu scolaire".
Selon le communiqué du ministère suivant l'événement, la ministre était censée poursuivre son "immersion" au cours des prochaines semaines. Elle allait visiter une école secondaire, un cégep et une école anglophone.
Quelle idée "plus juste de la situation" aura-t-elle après avoir visité quatre établissements d'un système qui compte presque 3000 écoles qui éduquent 1,8 million de "clients"?
Rions en chour.
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Je vais vous faire une confidence. Lorsque je ne joue pas les gérants d'estrade dans ma tour d'ivoire, il m'arrive d'aller "sur le terrain". Et justement, depuis un an, il se trouve que j'ai visité 16 écoles (primaires et secondaires). Je suis allé jaser d'écriture et de journalisme dans pas moins de 53 classes.
Le pouls du système scolaire, je l'ai pris plus que notre ministre de l'Éducation.
J'ai vu des écoles de la Côte-Nord, du Lac-Saint-Jean, de l'Estrie, de la Montérégie, de Québec, de Montréal. J'ai vu des petites écoles rurales et de grosses polyvalentes. J'ai vu des écoles privées, semi-privées, publiques. J'ai vu des écoles de filles, des classes de gars, des classes "internationales", des classes de cheminement, des classes de Blancs francophones, des classes multiethniques, des classes de riches, des classes de pauvres.
J'ai rencontré des jeunes de sixième année qui s'intéressaient à la visite du président chinois à Washington. J'ai aussi rencontré des jeunes du secondaire incapables d'aligner deux mots pour former une idée.
J'ai dîné dans des salles de profs. J'ai discuté avec des directrices d'école, des conseillers pédagogiques, des bibliothécaires scolaires, des enseignantes.
J'ai vu des profs qui n'avaient qu'à compter jusqu'à cinq pour imposer le silence à un groupe. J'en ai vu d'autres, démunis, dans des classes totalement indisciplinées.
J'ai vu des classes équipées de tableaux électroniques branchés sur Internet. J'ai aussi vu des bibliothèques aux allures de tiers-monde.
Après un an de visites scolaires, j'ose affirmer que l'arythmie est le mot qui décrit le mieux le pouls de notre système d'éducation.
"Arythmie", comme dans la définition: "Trouble du rythme cardiaque se manifestant par une irrégularité et une inégalité des battements."
Au Québec, les écoles ont chacune leur rythme. Certaines sentent la curiosité et le plaisir d'apprendre. D'autres sont de vrais éteignoirs. Chaque fois que j'entre dans une nouvelle école, je découvre une microsociété avec ses codes, sa culture propre, son atmosphère particulière.
Chercher à comprendre notre système scolaire en ne visitant que quatre écoles serait donc aussi farfelu que de vouloir comprendre une forêt en regardant la photo d'un arbre.
L'école québécoise est plurielle. Son arythmie est normale. Du coup, les manouvres globalisantes visant à imposer partout les mêmes dogmes pédagogiques sont vouées à l'échec.
C'est d'ailleurs l'un des grands problèmes de notre système scolaire, selon plusieurs intervenants interrogés dans les clips de la webtélé La Déséducation [ladeseducation.ca].
Parce que le ministère ne se contente plus d'imposer un programme, il exige maintenant des enseignants qu'ils enseignent de telle façon. On appelle cela la "méthodologie".
Dans ce système, les profs sont transformés en techniciens dont la tâche consiste à faire fonctionner une machine à fabriquer des citoyens dotés de certaines compétences-clés.
Je n'adhère pas à cette vision de l'enseignant.
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Pour moi, le prof est un humain à qui la société a confié une trentaine de jeunes, cinq jours par semaine, presque huit heures par jour.
Il connaît son groupe. Il connaît ses tannants. Il a sans doute rencontré les parents de ces jeunes. Il a une idée du milieu dans lequel ils grandissent. Il sait comment leur parler, comment les influencer.
Un ministère de l'Éducation soucieux d'offrir aux jeunes un milieu scolaire plus stimulant devrait avoir l'humilité de laisser les profs s'occuper de leurs trente vies. Déresponsabiliser l'enseignant est le meilleur moyen de le démotiver. C'est ce qui se passe à l'heure actuelle.
Les grandes réformes pédagogiques mises en place par l'État n'ont pas donné des résultats encourageants. Il est temps de décentraliser le pouvoir.
Parce que le seul "pouls" qu'on puisse prendre du système scolaire québécois, c'est le pouls de chaque classe.
Et l'unique personne capable de s'adapter à chaque pouls de chaque classe, c'est l'enseignant.
Donnons-lui le stéthoscope.
Effectivement, la tâche des enseignants ne cesse de s’alourdir. Si seulement j’avais des cours à donner , mes cours à préparer et mes corrections à faire ce serait formidable! Maintenant, nous les profs, sommes de plus en plus sollicités à faire du travail administratif: plans de cours, documents X à remettre, rapports de… et j’en passe! Ne parlons pas des surveillances de corridors… Certains profs ont des tâches plus ingrates que d’autres (plusieurs niveaux différents+tant de groupes) et donc ont plus de préparation.. Heureusement que le plaisir d’enseigner est là! Mais pour combien de temps?
Bonjour Steve,
« Arythmie »: vous ne croyez pas si bien dire. Mais le problème majeur est évidemment cette monstruosité que l’on appelle couramment le « Ministère de l’Éducation » et dont il faudrait sérieusement restreindre le rayon d’action désormais. Et encore, pourquoi ne pas faire disparaître carrément ce lourdeau dépassé afin d’instaurer une entité nouvelle, un peu plus légère sur le plan de l’administration générale et, de ce fait, soucieuse de donner plus de latitude aux écoles elles-mêmes, plus de « pouvoir de faire » pour le bien de leurs populations étudiantes respectives.
Les besoins varient considérablement d’une école à l’autre, d’une région à l’autre, d’une mentalité humaine à l’autre. Le circuit scolaire québécois est une immense mozaïque de situations académiques différentes qui se transforment au gré de la bonne ou mauvaise fortune des municipalités ou des régions. Vouloir insérer cette variété dans un édifice de règles figé dans un système centralisé jusqu’à l’aberration est absurde.
Un ménage extraordinaire doit être fait, de la cave au grenier, dans notre système d’éducation et ce, tant au niveau primaire, qu’au niveau secondaire ou collégial. Serait-il prétentieux d’estimer que notre avenir, en tant que nation, en dépend ?
@ Marc Blondin
« Serait-il prétentieux d’estimer que notre avenir, en tant que nation, en dépend ? »
Depuis quand la vérité la plus claire est-elle prétentieuse?
Merci pour ce bel article!
Mon attention s’est vite transformée en enthousiasme en lisant votre excellent papier paru dans le Voir de Jeudi dernier.
La société commence t-elle à comprendre à quel point on hypothèque l’avenir des enfants en annihilant en eux toute inspiration créative, toute forme d’individualisme et de respect de soi-même (de ses compétences, de ses intérêts, de son rythme d’apprentissage)?
Je suis parent à l’École Rudolf Steiner de Montréal. Certains la connaisse pour les énormes défis qu’elle rencontre en tant qu’école privée alternative, d’autres en ont entendu parler à travers la pédagogie Waldorf, le plus gros mouvement d’éducation indépendant à travers le monde avec presque 1000 écoles dans 60 pays et travaillant pour un but commun:
Respecter le rythme d’apprentissage de l’enfant afin de lui donner le goût d’apprendre.
Respecter l’individualité de l’enfant afin de le mener à savoir être, savoir faire… autrement dit: Savoir.
Il s’agit d’une éducation interdisciplinaire où le pratique et les arts sont profondément intégrés. Savoir des choses c’est bien. Savoir les faire c’est mieux.
À l’École Rudolf Steiner de Montréal, on ébauche le monde de demain en préparant les jeunes d’aujourd’hui à y contribuer de façon positive.
Ici l’histoire est active, on ne leur demande pas de régurgiter des connaissances, on leur demande de penser à des solutions parallèles qui engendreraient des conséquences parallèles. C’est une école en vie, une école vivante. La matière est la source d’inspiration du travail de l’enseignant. Celui-ci n’inculque rien à l’enfant sans le soucis premier de faire vivre le sujet qui est à l’étude.
On prépare les jeunes à devenir des êtres libres et moralement responsables. Je vous assure que l’idée que vous suggérez et qui sonne un peu comme de l’utopie au sein de la grande machine gouvernementale de l’éducation est pourtant une réalité vécue au quotidien dans notre école. L’enseignant est au coeur même du curriculum de sa classe, c’est tout simplement une partie intégrante de cette pédagogie. Il prépare ses cours à partir de ses propres objectifs. Ici, peu ou pas de livres de cours.
Mais ce qui a de plus remarquable c’est que le professeur accueille ses élèves à leur première année au primaire et les suit jusqu’à la 8e. Vous imaginez-vous la connaissance approfondie que l’enseignant a de ses élèves? Leur processus d’assimilation individuel, les faiblesses et les points forts de chacun? Pouvez-vous imaginer ce que l’enseignant peut accomplir quand il connait à ce point leurs intérêts et leurs talents?
À Montréal, nous sommes une petite école qui existe depuis 3o ans. Mais le mouvement Waldorf, créé par Rudolf Steiner, aura bientot 90 ans. Il est encore considéré comme la source d’inspiration éducative la plus en vue, la plus crédible et la plus holistique et est une source d’inspiration majeure pour de nombreuses écoles alternatives à travers le monde. Le Ministère de l’éducation allemand a largement emprunté les principes de Waldorf et integré ceux-ci dans ses écoles publiques.
Ici la réalité est tout autre. Nous n’avons pas le support du gouvernement dans notre projet éducatif et celui-ci le perçoit souvent comme une pédagogie qui ralenti le succès scolaire de l’enfant plutôt que d’en faire un individu cultivé.
Mais qu’est-ce que la connaissance? Qu’est-ce que l’Education?
Est-ce un système dont l’unique objectif est de faire mémoriser des faits passés que rien ne pourra changer ou est-ce que l’éducation n’est pas plutôt d’équiper les jeunes cerveaux à revisiter-repenser les vieux schémas afin de créer un futur moins déplorablement prévisible (et répétitif de nos erreurs!)?
Il est curieux selon notre patron de l’Education que les enfants de l’Ecole Steiner s’exercent au tricot (excellent pour l’apprentissage des mathématiques et la motricité fine) plutôt que d’utiliser leurs doigts à manipuler la souris d’un ordinateur à 6 ans. Il est considéré comme bizarre que nos enfants apprennent à lire bien après 5 ou 6 ans parce qu’on les y invitent naturellement, évitant ainsi de les faire sauter dans le train des écoles qui misent sur la performance et les résultats académiques et qui le font bien plus tôt. Tous les ergothérapeutes spécialisés dans les difficultés d’apprentissage à l’école vous diront que l’idée de pousser les enfants à apprendre à lire ou écrire trop tôt va à l’encontre même de leur développement naturel. On nous qualifie de « weird » parce que nos cours d’éducation physique ne sont pas basés sur la compétition ou l’agressivité mais plutôt sur l’expression corporelle et la croissance de l’énergie physique.
Et quelle est cette idée bien originale que nos enfants ne passent pas 2 heures devant leurs devoirs tous les soirs… Que leur retour à la maison se fait dans le détente et que leurs devoirs est un projet qui grandit avec eux et qu’ils font l’expérience d’une grande fierté à le présenter à leur parents et leur camarades de classe. Ces jeunes AIMENT l’école.
Evidemment que dire de l’idée farfelue qui veut qu’on reconnaît la vie en toute chose, que nous sommes liés et que nous devons avoir une certaine gratitude pour la nature qui nous entoure. Notre école n’est pas une secte. D’ailleurs j’ignore les détails de l’anthroposophie si ce n’est que c’est une vision très humaniste de la vie et la société et qu’elle n’est pas enseignée à l’école. Je suis directrice d’une agence de location saisonnière à Paris et à Londres. Je n’ai pas de ressemblance avec une hippy urbaine mangeuse d’alfalfa…
Ma fille est a la maternelle. Sa cour d’école consiste en un jardin de terre, avec des arbres, un petit plan d’eau, des branches, des roches… Les jouets? Un arrosoir, une pelle.
Ma fille construit des maisons pour les lutins, les souris et les fées tous les jours. Elle bâtit des maisons de branches de sapin avec ses amis. Elle lance des cailloux dans l’eau pour y voir s’épanouir les ronds. Et elle dit merci à ce beau terrain de jeu que la nature lui offre quotidiennement.
Je pourrais aussi vous parler de l’implication des parents au sein de l’école. Toutes les histoires de décrochage et le peu d’intérêt que montre certains parents pour l’éducation de leurs enfants n’est pas un fait vécu ici. La contribution extrêmement active des parents au sein de l’école est non seulement souhaitée, mais constamment sollicitée. Le bénéfice est que nous, parents, nous intégrons à la vie scolaire de nos enfants dans un projet commun et attachant.
Ultimement nous travaillons à moins dépendre de l’appui financier du gouvernement pour nous permettre de continuer à développer un projet qui dit non à la globalisation de l’éducation, irrespectueusement inconsciente des enfants dans leurs différences et de leurs histoires propres, non aux usines d’enseignement où le professeur n’a d’autre choix que de traiter tous les enfants sur le même pied.
Nous serions heureux de vous inviter à venir découvrir ce petit monde simple et magique. Les enfants ont tellement de choses à vous dire! Et quelle belle deuxième partie cela ferait à votre super article!
Encore merci