La voix de ma génération
Angle mort

La voix de ma génération

Vous ne le croirez pas, mais trois ou quatre lecteurs m'ont déjà dit que j'étais "la voix de ma génération".

Flatteur, certes, quoique complètement à côté de la plaque. Merci beaucoup, mais je ne suis pas cette voix. Et ce, pour deux excellentes raisons:

1) Je m'habille à L'Aubainerie. Imagine-t-on "la voix de sa génération" s'habiller à L'Aubainerie? Je ne pense pas.

2) Je n'ai pas longuement réfléchi à ma génération. Globalement, en fait, j'ai surtout passé les sept dernières années à peu réfléchir sur un grand nombre de sujets. Sachez-le: la chronique est une guillotine. Après 750 mots, shlak! C'est plus que les 140 caractères de Twitter, mais ce n'est pas la mer à boire non plus. Bref. Un type qui s'exprime sur tout et sur rien, mais jamais en long et en large, mérite-t-il le titre de "voix d'une génération"? Je ne pense pas.

Cela dit, si certains ont pu, dans un moment d'égarement, me prendre pour la voix de ma génération, c'est peut-être le signe que ma génération s'en cherche une, voix.

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En passant, ma génération est à ce point sans voix que personne n'a encore cru bon de la baptiser officiellement. Il faut dire que le statut de ma génération est encore irrégulier.

Les mi-trentenaires de ma race sont tantôt casés dans le coffre arrière de la génération X, tantôt catapultés aux premières loges de la génération Y.

Parce que nous ne sommes ni tout à fait X, ni tout à fait Y (et que l'alphabet n'a rien prévu entre ces deux lettres), on nous a parfois nommés la "génération Passe-Partout".

Désolé, mais ma gang mérite mieux que le titre d'une demi-heure de télé éducative que le ministère de l'Éducation nous a servie à l'heure du souper dans les années 80.

Passe-Partout n'est pas la voix de ma génération.

Alors, qui?

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Humblement, j'aimerais suggérer un candidat parfait pour le poste. Il s'appelle Nicolas Langelier.

Je le considère pour deux excellentes raisons:

1) Nicolas a l'élégance qui convient au prestige de la fonction. C'est vrai. J'ignore où il achète ses chemises (toujours propres, bien pressées, jamais criardes), mais ce n'est certainement pas à L'Aubainerie.

2) Nicolas a mûrement réfléchi à ma génération. Et pas dans une chronique de 750 mots, mais dans un roman au titre interminable: Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles (Boréal, 2010).

En plus, son livre est finaliste aux Prix des libraires du Québec. Il ne gagnera pas, mais peu importe. Il est prévu que l'élite dominante ne reconnaisse pas immédiatement la voix de ma génération. Ça viendra.

Le roman de Nicolas, vaguement autobiographique, raconte la déroute d'un gars de 35 ans après la mort de son père.

Sa grande trouvaille, par contre, c'est d'avoir écrit son histoire comme on écrirait un livre de croissance personnelle. C'est drôle. Or, le pastiche fait digérer plus facilement ce qui constitue l'essence du roman, soit une critique plutôt noire de ma génération de jeunes-urbains-pseudo-intellos-hipsters.

Cette génération nostalgique, "qui fait du vide avec du vieux". Cette génération nombriliste, désengagée, hédoniste, saoulée à l'infodivertissement, obsédée par la peur de "manquer quelque chose".

Cette génération qui se vautre dans l'ironie en portant des chemises rétro de pompiste, même si elle rêve (sans y croire) d'un monde sans pétrole.

Cette génération en panne d'idéal. Dans son roman, Nicolas pose d'ailleurs la question: "Que gardera-t-on de ma génération sur le plan social, politique, culturel?"

Pour toute réponse, il n'offre qu'un espace à remplir soi-même. Un blanc qui en dit long.

Des nouvelles de Nicolas

Nicolas Langelier est aussi journaliste. À la pige. Je l'ai croisé la semaine dernière dans un 6 à 8 où il affichait, comme toujours, une élégance sans prétention.

Je lui ai demandé s'il écrivait toujours pour des magazines. "Presque plus", qu'il m'a répondu.

C'est que Nicolas s'est lassé des magazines québécois. Il n'a plus rien à offrir à ces publications frileuses, prévisibles, qui ne publient que des confidences de vedettes oubliables et des textes pratico-pratiques rédigés sur le ton de la complicité. La plupart, de toute façon, ne parlent plus qu'à leurs annonceurs.

"Il n'y a pas de magazine pour notre génération", m'a-t-il dit l'autre soir. Vrai. Entre L'actualité (qui endort les moins de 50 ans) et Urbania (qui n'a toujours pas quitté sa phase anale), c'est le vide.

Toujours est-il que la voix de ma génération rêve maintenant de fonder un magazine pour ses semblables. J'ai l'impression qu'on s'en reparlera.