Le Livre Guinness des records et la Bible se ressemblent étrangement.
Les deux ouvrages se vendent comme des petits pains chauds, partout dans le monde.
L'un comme l'autre présente des gens ayant accompli des exploits exceptionnels. Un type qui déchire des bottins téléphoniques. Un autre qui sépare les eaux de la mer Rouge.
Le Guinness et la Bible sont enfin des livres de réponses.
Rappelons-nous qu'à l'origine de la première édition du Guinness des records, il y eut une chicane de taverne. En 1951, dans une brasserie anglaise, un vif débat éclata autour d'une question majeure: "Quel est le plus rapide gibier d'Europe, le pluvier doré ou le tétras?" C'est à cette occasion que le tenancier du bar, sir Hugh Beaver, eut l'idée d'un livre qui permettrait d'éviter ce genre de bisbille.
Le Guinness des records est donc un ouvrage ayant pour premier but d'apporter la Vérité là où règnent le doute, l'incertitude, le chaos. Assez biblique comme ambition, non?
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Stephen Harper a-t-il déjà lu la Bible? Sans doute, étant donné ses convictions religieuses, sur lesquelles il reste (très) discret.
En revanche, il a déclaré lors de la campagne électorale de 2004 que le Guinness des records était son livre préféré. Pour un homme qui aime avoir le dernier mot, ce n'est pas un choix qui étonne.
Sauf qu'évidemment, pour un chef d'État, avouer préférer le Guinness des records d'entre tous les livres ne peut être qu'une boutade.
Cet homme, détenteur d'une maîtrise en économie, a forcément dû mettre le nez dans quelques autres bouquins. Certains ont dû le marquer, l'influencer. Mais il n'en parle jamais.
Pourquoi?
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L'auteur de L'histoire de Pi, Yann Martel, s'est posé cette question.
"En autant qu'une personne n'a aucune autorité sur moi, je ne me soucie pas de ce qu'elle lit, écrit-il en introduction de son livre Mais que lit Stephen Harper? (XYZ, 2009). Mais une fois que quelqu'un a autorité sur moi, alors oui, ses lectures m'importent, car dans ses choix de lecture on trouvera ce qu'il ou elle pense, et ce qu'il ou elle va faire."
Martel part du principe que nos lectures nous définissent en tant qu'humains. Ce n'est pas LA SEULE chose, mais il est vrai qu'on en apprend beaucoup sur quelqu'un en regardant le contenu de sa bibliothèque.
Yann Martel a donc voulu demander à Stephen Harper de rendre compte de ses habitudes de lecture. Il l'a fait de façon cordiale. Toutes les deux semaines, il lui a envoyé un livre. Chaque fois, il a joint à son colis une lettre justifiant son choix.
Entre le 16 avril 2007 et le 31 janvier 2011, l'auteur aura muni notre premier ministre d'une bibliothèque personnalisée comptant cent bons livres, de La mort d'Ivan Ilitch de Tolstoï à Incendies de Wajdi Mouawad.
Hélas, jamais Stephen Harper n'a daigné répondre à cet insignifiant écrivain canadien, lauréat d'un Man Booker Prize de rien du tout.
J'exagère. Son personnel a tout de même fait parvenir à l'auteur quelques accusés de réception laconiques.
Au bout de cent lettres mortes, Yann Martel a fini par se lasser. Il a tiré la plogue de cette correspondance à sens unique la semaine dernière.
De toute façon, il avait prouvé son raisonnement: Stephen Harper a peur des livres.
Son silence en est la triste démonstration.
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Pourquoi l'énigmatique Stephen Harper a-t-il peur des livres? On ne peut que spéculer.
Il a peut-être peur des critiques que pourraient susciter ses habitudes de lecture.
Par exemple, imaginons-le confier aux journalistes que la Bible est son livre de chevet. Pour le premier ministre d'un pays où le quart de la population est non croyante, c'est périlleux.
Et s'il disait qu'il a lu des traités d'économie, de philosophie et de sciences politiques? Dans ce cas, on le traiterait d'intellectuel. C'est bien connu, les gens qui ont la curiosité qu'il faut pour ouvrir un livre, s'y plonger et (peut-être) en ressortir moins cons sont dangereux. Regardez Michael Ignatieff.
Stephen Harper (et ses faiseurs d'image) a sans doute calculé que pour ne pas froisser le vieux fond anti-intellectuel de sa base électorale, il serait préférable pour lui de cultiver l'image d'un homme qui ne se cultive pas.
Alors il nous fait croire à tous qu'on peut diriger un pays du G8 en n'ayant que le Guinness des records parmi ses lectures favorites.
Cela dit, je le soupçonne d'entretenir cette fiction autour de lui pour une autre bonne raison.
Un jour, il espère sans doute lire son nom dans son livre préféré sous une rubrique plus honorable que "Premier ministre du Canada ayant dirigé le plus longtemps un gouvernement minoritaire".
Tout ce que fait Harper est toujours stratégique. Il fait du « Wedge Politics ». En 2000, son idole G.W.Bush avait utilisé cet art machiavélique en s’en prenant aux noirs des états du sud. Il a perdu leur vote, qu’il n’avait pas de toute façon, mais s’est gagné plein de votes chez ses semblables. Lorsque Harper boude Yann Martel, Luc Plamondon & les artistes ou lorsqu’il s’en va chez Tim Horton au lieu d’assister au discours important de Obama, ce n’est pas un geste étourdi, c’est planifié…il perdra des votes au Québec et chez les intellectuels, qu’il n’avait pas de toutes façon, mais gagnera tellement de sympathies, donc de votes, dans sa base politique dans l’ouest et chez les créditistes (ils s’appellent des libertariens) de la région de Québec.
C’est toujours du « Wedge Politics » lorsqu’il demande à Dimitri et sa gang de monter les régions contre Montréal ou lorsque Max la Menace s’en prend à la loi 101. Tout est réfléchi et stratégique et à chaque coups les sondages pour les Torries sont à la hausse.
Pierre Elliot Trudeau, lui, aimait danser avec les loups. Il aimait bien jouer avec les représentants des médias – en fait, il aimait surtout jouer avec les médias. Il aimait bien leur donner de la « matière » même si celle-ci était souvent de peu de substance; une idylle, un « fuddle-duddle » bien mis, une lien entre un premier ministre quebecois et des hot dogs. Un long shot pour la caméra, en canoë avec la veste de franges sur le dos… Trudeau etait cabotin mais il s’avait s’en servir… Et les medias en redemandaient, et étaient même vâchement complaisants. Parfois, comme avec les Bleus Poudres, cela pouvait glisser hors de son contrôle, mais c’était rarissime. Il aimait danser avec les loups parce qu’il dansait bien, et comme la complaisance était dans l’air du temps, pourquoi s’en priver?
Harper, lui, n’est pas très doué pour le cha-cha média, et à
a annoncé très tôt ses couleurs lors de ses mandats. Cette approche de profil bas sied bien son caractère, puisque le bonhomme semble avoir tout le charme et carisme d’une pelle a neige en ete.
Mais il est conséquent de lui-même; il ne clame pas être autre chose que l’image qu’il présente… Et qu’il l’a élu. Donc, il se cantonne dans la recette qui est bonne pour lui.
Et cette image n’est certainement pas cohérente avec celle du critique litéraire.
Est-ce que la démarche de de Martel était autre chose que de la provoc’? Bien sur que non – et Harper a été futé pour s’en rendre compte. De toutes façons, son électorat (i.e. ceux qu’il courtise) s’ en contre-foutent. Et je ne parle pas des illuminés qui veulent émuler le parti républicain américain, mais du canadien moyen.Faudrait pas oublier qu’il a été élu parce que ceux-ci en avaient marre des libéraux, pas par idéologie profonde…
Et le vrai drame, ici, n’est pas que Monsieur Harper soit inculte. C’est qu’il n’y a pas d’alternative présente, maintenant, si des élections sont déclenchées à court terme.
Et ça, c’est vraiment moche.
Un écrivain (j’ai oublié qui) a déjà affirmé:
*****«Le gros problème avec les livres, c’est que pour savoir ce qu’il y a dedans, il faut les lire.»*****
JSB
Je ne sais pas si Harper a peur des livres mais on est nombreux à avoir peur de lui surtout s’il devient majoritaire ;-)
Ceci dit pour répondre à votre question et par ricochet à M. Yann Martel, se pourrait-il qu’il n’ait tout simplement plus le temps de lire. Et ce en supposant qu’il aime la lecture… ce qui est loin d’être sûr! Prenons mon modeste cas, lire a toujours été une de mes plus grandes passions. Malgré cela, depuis quelques mois je ne trouve plus le temps d’assouvir celle-ci. Ma charge de travail a littéralement explosé, et dès que j’arrête, ne serait-ce qu’une heure après le souper, je me jette dans les bras de mes jeunes enfants à qui je manque terriblement (et croyez-moi c’est réciproque)
Alors bien que je n’ai pas en haute estime nos dirigeants en général, je pense que le peu de vrai temps libre qu’ils « grabent » à leur quotidien, ils doivent le passer dans le giron familial plutôt que dans les pages d’un bouqin… histoire de rattraper le temps perdu.
Ça m’a toujours fasciné de voir ces chefs d’état entrer en poste les cheveux de bébé sur la tête et devenir gris en un ou deux mandat.
JD
Tout comme Jacques Desmarais j’ai peur de Harper, surtout s’il devient majoritaire.
Je ne pense pas que Harper soit un imbécile, un sous-doué ou un inculte radical. Harper est intelligent et dans certains cercles il est considéré comme un intellectuel assez «coté».
Harper est une intellectuel de droite assez extrémiste et il a mis son intelligence, laquelle n’est pas négligeable, au service d’une idéologie étroite et bornée. Ce n’est pas la première fois que cela arrive dans l’histoire occidentale.
En fait j’aimerais asseoir Harper sur les genoux de quelqu’un de plus fort que moi et j’aimerais lire avec lui une oeuvre marquante que j’ai fait lire à quelques milliers d’étudiants lorsque j’enseignais la sociologie. Il s’agit du merveilleux roman de Ray Bradbury, intitulé FAHRENHEIT 451, roman prémonitoire, écrit dans les années 50 (si je ne m’abuse).
Le roman raconte l’histoire d’un pompier dissident qui vit dans une société dans laquelle les pompiers ont comme tâche de brûler les livres, tous les livres.
Je n’en dis pas plus mais j’aimerais bien que de très nombreuses personnes lisent ou aient déjà lu ce roman passionnant et révélateur.
JSB, sociologue des médias
J’avais arrêté de lire les chroniques de Steve Proulx quand il s’était mis à prôner l’élimination de l’écriture comme mode d’expression et de communication, rien de moins (quoiqu’à l’époque je savais qu’il avait écrit un livre sur Passe-Partout, ce qui aurait déjà dû m’alerter sur la faible estime qu’il avait pour ce medium…). Et voilà que je tombe sur ce titre, et puis sur cet article. C’est ridicule.
Cette démarche de Yann Martel témoigne d’une arrogance sans nom. Je me demande ce que Yann Martel aurait fait si Stephen avait voulu « faire son éducation » en lui envoyant ses livres préférés, qui n’auraient sûrement pas été dans le goût de Yann Martel.Je suis loin d’être un fan de Harper, mais un premier ministre a mieux à faire que répondre aux lubies des citoyens individuels qui le piègent pour se conforter dans leurs propres préjugés.