Angle mort

Quelque chose qui a de l’allure

Un gros morceau de l'électorat a du mal à se reconnaître parmi ses représentants à l'Assemblée nationale. C'est clair comme de l'eau de roche.

Pour toute une frange de la population, le Parti libéral de Jean Charest n'a tout simplement pas d'allure.

Et si plusieurs Québécois penchent à droite, peu penchent autant dans cette direction que l'ADQ.

Québec solidaire vit le même problème à l'autre bout du spectre politique: trop à gauche pour l'homo quebecensis moyen.

Il reste la social-démocratie du PQ. Le problème, c'est que le parti traîne toujours dans son baluchon son fichu projet de souveraineté. Oui, c'est un problème. C'est précisément sur celui-ci que la Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ) vient de braquer le spotlight.

Car au-delà des idées vagues du "manifeste" de messieurs Legault et Sirois, le seul bout sans équivoque du document concerne le refus d'engager le Québec sur la voie de la souveraineté.

On a accusé ce manifeste d'être plein de bons sentiments, tout juste bons à séduire ceux qui sont pour la tarte aux pommes.

Précisons que les réflexions de la CAQ séduisent ceux qui sont pour la tarte aux pommes ET qui croient que l'avenir du Québec peut se passer de la souveraineté. Nuance.

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René Lévesque a déjà traité les Québécois de "quelque chose comme un grand peuple".

En 2011, une bonne partie de ce "quelque chose comme un grand peuple" croit qu'un projet flou de centre droit évacuant le projet de pays ressemble à quelque chose qui a de l'allure.

C'est quelque chose.

Et quand on dit "une bonne partie" du peuple québécois, on ne parle pas de trois pingouins. On parle d'un paquet de monde.

Un sondage Léger Marketing, mené après la publication des idées de la CAQ, a montré qu'un nouveau parti dirigé par François Legault obtiendrait 30 % des intentions de vote. Il planterait le PQ, le PLQ, l'ADQ et Québec solidaire.

Et d'où viendraient 30 % des nouveaux sympathisants de François Legault? Directement de l'électorat du PQ.

Ça aussi, c'est quelque chose.

Le déclin du PQ

La popularité de l'option "caquiste" n'a rien d'étonnant.

La Coalition donne un visage à ces Québécois qui s'identifient d'abord au Québec sans toutefois souhaiter sa séparation du Canada. Oui, on peut être aux deux.

Paradoxalement, le PQ a largement contribué à fabriquer ce "nationalisme sans la souveraineté".

C'est le PQ qui, depuis les 40 dernières années, a rendu les Québécois fiers de ce qu'ils sont. C'est le PQ qui a fait s'affirmer le Québec, qui a contribué à le sortir de la Grande Noirceur.

Les Québécois sont aujourd'hui plus éduqués. Ils sont à la tête de nos grandes entreprises. Ils ne naissent plus "pour un petit pain". Ils sont plus forts et ne se voient plus "menacés" par les "maudits Anglais".

C'est en constatant les progrès des dernières décennies que bien des Québécois ne considèrent plus l'indépendance du Québec comme urgente, voire nécessaire.

La vaste majorité des Québécois ont à cour l'avenir de cette nation. Ils veulent, bien sûr, préserver son fait français, sa culture distincte. Mais plusieurs d'entre eux commencent à trouver que la souveraineté n'est pas le moyen qui a le plus d'allure pour "sauver" une chose qui n'a pas été perdue depuis que le Québec existe.

Est-ce de la "lâcheté" que d'abandonner le projet de pays… ou une évolution naturelle?

"Ils sont nombreux les indépendantistes honnêtes et convaincus qui ne croient plus que la poursuite de cet objectif [l'indépendance] est essentielle au développement et au progrès d'un Québec résolument et fièrement francophone", écrivait Gil Courtemanche dans Le Devoir, samedi dernier.

Et comment.

Maintenant, si un François Legault dirigeant l'ADQ (parti qui en ce moment ne parvient pas à récolter le cinquième des intentions de vote) gagnerait les élections… que penser d'un Parti québécois qui laisserait tomber la souveraineté?

Il ferait un malheur.

Mais les chances que ça se produise sont aussi minces que le manifeste de la Coalition pour l'avenir du Québec.

Attendons donc la suite. Et aux Nostradamus qui clament qu'un éventuel parti dirigé par François Legault devrait attendre plusieurs années avant d'accéder au pouvoir… je ne serais pas aussi convaincu si j'étais à leur place.

Le monde moderne bouge vite en titi. Et n'oublions pas qu'il y a une trentaine d'années, avec un projet assez radical merci, il n'aura fallu que huit petites années au PQ pour former un gouvernement.

Si le projet de François Legault continue d'avoir de l'allure pour un gros morceau de l'électorat, il pourrait se retrouver assez vite avec les deux mains sur le volant.