Angle mort

Les émissions culturelles

Radio-Canada coupera le magazine Six dans la cité, seule émission de la télé d'État consacrée à la critique culturelle.

Logée le dimanche à 16 h, l'émission animée par Catherine Perrin aura survécu deux saisons.

La directrice générale de la télévision de Radio-Canada, Louise Lantagne, confiait à La Presse son désir de trouver une formule plus pertinente que celle des chroniqueurs assis autour d'une table. "En 2011, à l'heure des réseaux sociaux, y aurait-il quelque chose de plus pertinent à inventer?" se demandait-elle.

Chaque fois que Radio-Canada passe à la tronçonneuse l'espace alloué aux arts, les chefs du service public nous rappellent au passage que la culture est bien représentée à l'antenne. À Tout le monde en parle, notamment.

Laissez-moi rire.

Douze auteurs sont passés sur le plateau de Guy A. depuis le début de l'actuelle saison. Parmi ceux-ci: Anne-Marie Losique pour son livre de photos cochonnes, Lise Dion pour son roman sur la vie de sa mère et le vrai Jean Coutu pour sa biographie.

Combien d'auteurs de métier? Trois. Marie Laberge, Alain Mabanckou et Michel Rabagliati (auteur de BD).

Le théâtre, c'est pire. On en a parlé quatre fois, et toujours à travers un comédien populaire qui s'adonnait à jouer dans une pièce (Sylvie Léonard, Guy Nadon, Benoît Brière et Karine Vanasse).

Les arts visuels? Deux artistes ont partagé leurs ouvres à la messe dominicale: Tex Lecor et Elisabetta Fantone (qu'on n'aurait jamais invitée si elle n'avait pas eu l'excellente idée d'aller se montrer à Loft Story en 2006).

Tout le monde en parle n'est pas une émission culturelle. C'est un show de potins qui se prend parfois au sérieux en demandant à des quidams de raconter leur histoire bouleversante. En passant, c'est cette combinaison "vedettes + cas vécus" qui a fait le succès du magazine Le Lundi.

Tout le monde en parle, c'est souvent Le Lundi, mais le dimanche (et à la télé).

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Revenons à Six dans la cité.

Mme Lantagne a raison de croire qu'il y a de meilleures façons de faire parler de culture au petit écran. En 2011, la télé ne peut plus se contenter d'un magazine pépère.

À l'ère de la multiplication du choix, la télé doit se démarquer en créant l'événement.

Elle doit fabriquer des rendez-vous que le public infidèle ne voudra pas rater. Elle doit fournir les sujets qui feront jaser autour de la machine à café.

Le banquier est un événement. Tout le monde en parle est un événement. Les matchs des Canadiens sont des événements.

Dans le contexte, Nathalie Petrowski et René Homier-Roy qui se crêpent le chignon, ce n'est plus un événement. C'est du déjà vu.

L'absence d'un volet "événementiel" n'était pas le seul défaut de Six dans la cité. Comme d'autres magazines culturels, le côté "multidisciplinaire" de l'émission aura exigé du public trop de curiosité.

En 2001, Bernard Pivot faisait le même constat à la fin de Bouillon de culture.

Ce magazine, qui s'abreuvait à toutes les formes d'art, n'aura pas marqué la télé française autant qu'Apostrophes, grande émission littéraire que Pivot mena de 1975 à 1990.

Bouillon de culture aura connu les périls du fourre-tout. "Le multiculturel n'entraîne pas la fidélité", écrivait Pivot dans ses "mémoires" (Le métier de lire, Gallimard, 2001). "L'émission paraissait flotter, manquer d'assise et de cambrure."

Ces paroles viennent d'un homme qui a réussi à faire d'une émission qui n'invitait que des écrivains un authentique phénomène télévisuel. Apostrophes, selon Pivot, était "une émission qui a raconté, toujours à travers les livres, les passions, les interrogations, les émotions et les ridicules de son époque".

Pendant 15 ans, Pivot a passé 10 heures par jour, tous les jours, à lire les écrivains qu'il invitait dans son studio le vendredi.

En "faisant" Apostrophes, les auteurs savaient qu'ils n'allaient pas simplement ploguer leur plus récent bouquin. Ils allaient débattre avec des auteurs qui ne partageraient pas leur point de vue. Ils allaient livrer leurs tripes.

Surtout, ils savaient qu'ils participeraient à un événement. L'événement de leur carrière, pour plusieurs.

Étant donné le succès qu'a obtenu Apostrophes à son époque, je m'étonne qu'aucune émission culturelle au Québec n'ait été tentée de la copier. On a préféré s'inspirer du demi-échec qu'a été Bouillon de culture. Ah bon.

Pourquoi continuer à pelleter toute la culture dans une seule émission d'une heure? Vouloir plaire à tous est la meilleure façon de ne plaire à personne.

Il y aurait certainement moyen de créer des événements télévisuels autour des livres, comme l'a fait Apostrophes jadis. Et, tant qu'à y être, pourquoi ne pas innover et tenter un Apostrophes pour le théâtre, pour le cinéma, pour la musique?

J'y rêve déjà.