Comment ne pas être "sua coche"
Angle mort

Comment ne pas être "sua coche"

Dans la cargaison normale d'un métro bondé, on compte une bonne part de non-propriétaires d'auto et de non-détenteurs de permis de conduire.

Ces gens-là, la STM n'a pas besoin de les bichonner. Beau temps, mauvais temps, ils répondent présent. Parce qu'ils n'ont souvent pas les moyens de se transporter par d'autres moyens.

Dans un métro bondé, on trouve aussi des gens qui pourraient se déplacer en auto, mais qui choisissent la boîte à sardines. Leurs raisons sont multiples et ne concernent pas toujours le prix de l'essence.

Ceux-là, la STM doit non seulement les garder, mais tout faire pour en recruter de nouveaux. Ce qui est un moyen contrat.

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Voici quelques chiffres sur l'achalandage du métro tirés de divers documents de la Société de transport de Montréal.

En 1981, le métro enregistrait 191,9 millions de déplacements (alors que le réseau comptait une vingtaine de stations de moins qu'aujourd'hui). En 2009, il revendiquait 235,2 millions de déplacements.

Depuis trois décennies, notre métro a donc connu une croissance moyenne de son achalandage de 0,6 % par année (avec tout de même des niveaux au-dessus de la moyenne au cours des dernières années, une tendance encourageante).

Néanmoins, de façon globale, l'achalandage du métro augmente à peu près au même rythme que la population montréalaise (qui croît d'environ 0,5 % par an).

On est plus nombreux à prendre le métro parce qu'il y a plus de monde en ville.

En revanche, la STM semble avoir du mal à recruter de nouveaux clients. Je parle des automobilistes.

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Convaincre l'homo automobilis à se déplacer en troupeau, c'est le nerf de la guerre dans le monde du transport collectif.

Concrètement, l'offre est plus ou moins tentante. On l'invite à échanger un mode de transport individuel, confortable et efficace contre un mode de transport collectif, inconfortable et à l'efficacité fluctuante.

On demande à cet habitué du carrosse climatisé d'aller se geler le cul sous un panneau d'autobus, d'attendre un véhicule ballottant, de s'y entasser et de jouer du coude parmi des étrangers pour agripper la dernière sangle disponible.

On a beau faire valoir à l'automobiliste que le transport collectif, c'est économique, les bouchons de circulation prouvent chaque jour à quel point l'argument ne pèse pas lourd dans la balance.

Alors, comment convaincre l'homo automobilis de se joindre au "mouvement collectif"?

Ces temps-ci, la STM fait preuve d'une touchante naïveté en misant sur l'aspect écolo de ses services.

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La nouvelle campagne "Chaque passager compte pour la planète" vise les usagers occasionnels et pas du tout occasionnels.

Elle comprend de la pub en ligne, de l'affichage et des messages télé.

Sur l'affiche, on peut lire qu'en transport collectif, on émet "20 fois moins de CO2 qu'en auto". À la fin de la pub télé bourrée d'une morale verte à deux sous, on entend un ado lancer: "Le métro, c'est sua coche."

Le pire, c'est que les experts derrière cette campagne s'imaginent que la rhétorique du "petit geste pour l'environnement" aura un effet incitatif sur la gent motorisée.

Je crains, hélas, qu'ils ne soient point "sua coche".

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L'automobiliste représente le summum de l'individualisme moderne.

En conséquence, tenter de le convaincre avec des arguments collectivistes est à peu près aussi improductif que d'inciter un enfant de cinq ans à manger son brocoli en lui faisant valoir les vertus anticancer de l'aliment. N'essayez pas cela à la maison.

À l'égard des individualistes, mieux vaut tabler sur les bénéfices individualistes du transport collectif.

Par exemple, on peut lire en métro. Pourquoi n'a-t-on jamais fait campagne sur le fait qu'une heure en métro par jour permet de lire enfin les romans que vous vous promettez de lire depuis des années?

Le métro, c'est aussi la santé. Une étude de l'Université de la Colombie-Britannique a démontré que les gens qui voyageaient en transport en commun avaient trois fois plus de chances d'atteindre le seuil minimum quotidien d'activité physique recommandé par la Fondation des maladies du cour du Canada.

Et pour séduire l'homo automobilis, pourquoi la STM n'investit-elle pas pour améliorer l'expérience sensorielle de son service? À quand des abribus chauffés, mettons?

Être "sua coche" pour le transport collectif, c'est tenter de faire d'un trajet en métro un moment aussi plaisant qu'un déplacement en auto. Et c'est un incroyable défi.

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La STM a l'ambition d'augmenter d'environ 28 % son achalandage d'ici 2020. Ça ne se fera pas sans une vaste opération de type "grande séduction" auprès de la communauté motorisée.

Et la grande séduction, elle ne se fera pas en parlant d'écologie.