Les gars ont faim
Angle mort

Les gars ont faim

L'autre samedi chez Loblaws, un produit à l'emballage criard m'interpelle au rayon des surgelés.

Un mets préparé (un steak/patates) qui s'appelle Hungry-Man. Un logo sur le dessus promet 1 livre de nourriture à réchauffer au micro-ondes. À côté du steak, je rencontre d'autres Hungry-Man: du poulet frit, du poulet pop-corn format jumbo et une "fiesta mexicaine" qui semble surtout célébrer le gras et les glucides.

Manifestement, Hungry-Man s'adresse au marché des vrais gars, qui ont vraiment faim, et qui ne mangent pas de la bouffe de tapette.

Le genre de clientèle que semble aussi viser cette pub de La Cage aux sports. On y voit un jeune couple souper en tête-à-tête dans une ambiance de salon mortuaire. Le gars, piteux pitou devant sa blonde, mastique son repas sans joie. Mais dans sa tête, il est ailleurs. À La Cage, bien sûr, entouré de ses chums, des ailes de poulet plein les bajoues, à hurler comme un débile chaque fois que le Tricolore marque un but sur l'écran géant.

Le message est limpide. Ton couple est une prison. Viens te libérer à La Cage.

La liberté… Celle de mal manger. Celle d'avoir du gros fun sale. Partout, de vrais gars en ont assez du carcan bien-pensant que leur impose cette société de moumounes.

Ils veulent être des hommes à 100%, sans trop savoir ce que c'est, exactement, être un homme. En revanche, ils savent ce que ce n'est pas.

Un homme, ce n'est pas une madame.

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Dans Le Devoir, Stéphane Baillargeon déplorait récemment la "madamisation" des médias. Poursuivons sur cette lancée: le bruyant coming out du vrai gars est peut-être un sous-produit d'une "madamisation" plus globale de la société.

Tentons de saisir l'origine de son mal-être en adoptant sa vision du monde…

Le vrai gars aura sans doute passé son enfance à se faire dire de rester assis jusqu'à la cloche par une succession de "madames" du système scolaire.

La première institution qu'il aura côtoyée dans sa vie aura donc brimé sa liberté. Il en conservera des séquelles durables.

Sur les bancs d'école, il rêvera à un job payant pour s'acheter ce qu'il désire, à un char pour aller n'importe où. Il ne nourrira aucune autre ambition que celle de faire ce qu'il veut, sans trop savoir encore ce qu'il veut.

L'âge adulte refroidira très vite ces ambitions. Il découvrira que l'école avait des airs de Club Med à côté des institutions qui pollueront désormais son existence.

Un syndicat auquel on l'aura forcé à adhérer viendra piger des cotisations chaque semaine dans ses poches.

Le fédéral et le provincial n'auront pas plus de scrupules à gruger son salaire, tout ça pour payer des hôpitaux qu'il ne fréquente jamais et des artistes qu'il n'ira jamais voir sur scène. Le municipal, quant à lui, lui enverra chaque année une facture pour financer les siestes d'après-midi des cols bleus et le non-remplissage des nids-de-poule.

Du coup, une fois qu'il aura payé toutes ces institutions, le budget "liberté" de notre vrai gars aura passablement fondu.

Le vendredi, il lui restera à peine de quoi se remplir les bajoues d'ailes de poulet de La Cage.

Sauf que voilà, à la maison, une madame viendra l'emmerder avec un article qu'elle a découpé dans un magazine de madame, et qui prétend fournir dix moyens de raviver la flamme dans leur couple.

Des moyens qui n'incluront ni La Cage aux sports, ni les playoffs.

Les vrais gars s'organisent

Un sondage du mouvement de droite Réseau Liberté-Québec (RLQ) mené auprès de ses membres nous apprend que près de 9 membres sur 10 sont des hommes, que les deux tiers ont moins de 45 ans et qu'ils éprouvent à peu près tous cette obsession pour la liberté individuelle.

Le RLQ n'est pas représentatif de la société québécoise. Par contre, il semble bien parti pour représenter les vrais gars du Québec.

Il y a une colère brute qui s'exprime à travers ce mouvement.

Une colère qui, curieusement, me fait penser à celle d'une femme, Denise Boucher. Il y a 33 ans, cette colère l'avait poussée à écrire la pièce Les fées ont soif, que l'on reconnaît aujourd'hui comme un grand moment des luttes féministes au Québec. Il s'agissait d'un cri du cour pour sortir les femmes de cet étau écrasant, d'un côté par l'Église, de l'autre par le pouvoir masculin.

Les fées avaient soif en 1978. Aujourd'hui, les vrais gars ont faim.