Comment aimer sa cage
Il est né avec une cuillère d'argent dans la bouche, le prince William de Cambridge, mais aussi avec le scénario de sa vie entre les mains.
Dès son premier souffle, tout était prévu.
Il allait avoir une jeunesse exemplaire, fréquenter les meilleures écoles comme son père, puis devenir prince, se marier, engendrer une descendance, devenir roi, faire des tatas au monde, puis mourir.
Jusqu'ici dans sa biographie, son seul input créatif aura été de choisir une roturière pour légitime épouse.
J'exagère, mais quand même… il reste que l'existence du prince William a, jusqu'à présent, à peu près respecté le planning.
Je le regardais se marier l'autre jour en me demandant si, derrière ce futur roi à la calvitie naissante, se cachait un homme traversé de questionnements existentiels.
Est-il satisfait de son état de prince? Se réalise-t-il dans ce domaine-là? Lui qui rêvait de devenir agent de police à l'âge de sept ans, a-t-il l'impression d'être passé à côté de quelque chose? Se sent-il utile à la société ou se voit-il surtout comme une attraction touristique? Trouve-t-il absurde d'être glorifié par autant de gens, alors que sa seule réalisation consiste à être né dans la bonne famille?
J'aime penser que ces tourments agitent le sommeil du prince charmant. Au moins, cela prouverait qu'il n'est pas tellement différent de nous tous ici-bas.
Car la recherche d'un sens à sa vie semble préoccuper les masses roturières.
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La chaîne de journaux Métro vient de publier les résultats d'un vaste sondage mené parmi les populations de 30 villes du monde. On apprend notamment que 9 citadins sur 10 ne sont pas totalement satisfaits par leur travail.
Dans le monde, ce serait même 60% des gens dans la vingtaine et la trentaine qui seraient "sans cesse à l'affût de nouvelles possibilités d'emploi".
Selon un philosophe interrogé par Métro, ces résultats seraient liés à cette insatiable quête de sens, grande obsession de nos sociétés contemporaines. "Savoir que l'on fait une différence, que l'on rend […] la planète plus forte, plus propre, plus saine, est une grande source de satisfaction."
À voir la quantité de gens insatisfaits de leur rôle dans la société, il est tentant de tirer une conclusion: plusieurs cherchent un sens à leur vie, bien peu le trouvent.
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Ce qui me fait penser au dernier roman de Michel Houellebecq, le goncourtisé La carte et le territoire.
Le héros, Jed Martin, est un artiste peintre qui, tout au long du récit, ne semble nourrir aucune réelle ambition. Ses ouvres, par ailleurs, ne sont pas l'expression d'une intense réflexion de la part de l'artiste. Malgré tout, on se les arrache.
On voit dans ses photographies de cartes Michelin "le point de vue d'un Dieu coparticipant, aux côtés de l'homme, à la reconstruction du monde". Et Jed Martin de répondre à cette critique un "Pas bête!" presque naïf.
Plus tard, il devient un des peintres les plus cotés au monde grâce à ses portraits de gens "saisis dans l'exercice de leur profession".
Cela dit, Jed Martin atteint une notoriété internationale avec un détachement frôlant l'autisme. Ça ne lui monte pas à la tête, il ne surfe pas sur la vague. Son vieux chauffe-eau le préoccupe bien davantage.
Au faîte de sa gloire, il abandonne tout pour s'isoler dans la France profonde et l'on n'entend plus parler de lui pendant plusieurs années.
La carte et le territoire raconte l'histoire d'un antihéros imperméable à toute forme de quête existentielle.
Jed Martin n'est ni heureux ni malheureux, ni particulièrement tourmenté, ni plus vertueux que la moyenne des ours. Et si les critiques et les amateurs d'art l'ont traité de génie, ça le laisse plutôt indifférent.
On pourrait le croire antisocial. Il est surtout libre. Il n'entre dans aucun moule, aucune catégorie, aucune mouvance et n'a pas le moindre plan de carrière.
En deux mots, contrairement à tous ces gens prisonniers d'un job insatisfaisant – et à tous ces princes coincés dans des protocoles étouffants -, la vie de Jed Martin ne respecte quant à elle aucun scénario.
C'est peut-être ce qui rend ce personnage aussi fascinant.
J'ai vu dans La carte et le territoire le triomphe de la liberté sur la vaine et décevante "quête de sens".
En ne laissant rien, pas même l'admiration du public, entraver sa liberté d'être, Jed Martin semble n'avoir jamais ressenti le besoin de chercher un sens à sa vie.
Comme si, en étant libre, il était inutile de tenter de trouver de bonnes raisons d'apprécier sa cage.
Le seul problème c’est que pour être vraiment libre, il ne faut jamais avoir à se demander ce qu’on mangera demain. Quand nos parents sont riches, qu’on a un talent extraordinaire aux yeux des d’autres sans le réaliser et que ça nous libère de toute contrainte financière, les choses sont plus faciles. On peut se permettre d’être existentiel. Ça ressemble à de nombreux films américains où la vedette malgré des origines modestes, possède un talent extraordinaire qui fera de lui ou d’elle une personne qui se démarque formidablement. Ça fait rêver au cinéma, mais ça n’est pas le reflet de la réalité des gens ordinaire.