Comment gérer la mort d'Oussama Ben Laden? Je veux dire, médiatiquement?
Quel casse-tête ce doit être pour les stratèges du président Obama.
Doit-on tout raconter de l'opération des Navy Seals? Et le président, doit-il se réjouir de l'exécution de l'ennemi public no 1 ou faire preuve de retenue? Comment ne pas faire d'Oussama Ben Laden un martyr? Mais surtout, doit-on diffuser la fameuse photo de sa carcasse?
Au moment d'écrire ces lignes, on n'avait encore vu que de piètres montages Photoshop.
Je suppose qu'un jour, il y aura un film pour nous raconter ce qui se trame en ce moment dans les couloirs de la Maison-Blanche.
J'anticipe un thriller politique hypercomplexe, avec Will Smith dans le rôle d'Obama et Rachid Badouri dans celui de Ben Laden. On jase. En tout cas, ça donnerait un sérieux coup de pouce à sa carrière internationale…
J'imagine un film puissant sur la gestion de l'opinion publique, sur le contrôle de l'image. D'une image en particulier dans le cas présent. Ça pourrait s'appeler The Picture, d'ailleurs. C'est ma suggestion.
J'ai hâte.
Mais en attendant, faut-il la montrer ou pas cette photo, prétendument atroce, de Ben Laden avec des coups de feu dans le visage?
Pourquoi la montrer, d'abord? Une sorte de trophée de chasse?
Les Américains ont amorcé cette tradition de montrer les cadavres de leurs ennemis notoires avec Che Guevara, assassiné par la CIA en 1967.
Avec le recul, c'était peut-être une erreur.
Un expert interrogé par le journal Le Monde rappelait que cela "avait créé un mouvement d'opinion international extrêmement fort".
Choqués par cette image du Che troué de partout, on peut supposer que des sympathisants mous de la révolution socialiste cubaine se sont transformés en sympathisants durs.
Le même risque existe en ce qui concerne Ben Laden.
Dans Libération, l'historien et chercheur en culture visuelle André Gunthert croit malgré tout que la photo du corps d'Oussama doit être montrée pour "casser le mythe".
Il soutient qu'une partie du "mythe" entourant Ben Laden vient justement du fait qu'il n'existe de lui que très peu d'images. "C'est un personnage traqué depuis 15 ans, qui est devenu un symbole, dit M. Gunthert. Or, depuis plusieurs années, il n'y a plus de portraits de lui pour des raisons évidentes. Il y a eu un phénomène de disparition."
L'absence de photos de Ben Laden était flagrante au lendemain de son élimination.
Sans se consulter, des dizaines de journaux dans le monde ont publié en une le même portrait du terroriste. Un Ben Laden au turban blanc qui regarde à côté de l'objectif. Une photo datant d'au moins dix ans, qu'on avait vue sur une affiche de propagande pour Al-Qaida diffusée après les attaques du 11 septembre 2001.
LA photo de Ben Laden.
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Andy Warhol a déjà dit: "Vous ne pouvez voir une aura que chez les personnes que vous ne connaissez pas tellement, ou pas du tout."
Jusqu'à sa mort, Oussama Ben Laden aura bien joué cette carte.
La pauvreté de son iconographie explique une partie de son "mystère".
Aussi, il faudra des images – beaucoup d'images – pour démythifier Ben Laden. Mais pas nécessairement l'image de son cadavre.
Il faudra surtout des images de l'homme dans toute son insignifiance. Dans son quotidien. Il faudra le montrer dans les moments les moins pertinents de son existence. Divulguer ses tics nerveux, ses manies. Oussama dans tous ses états.
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C'est d'ailleurs la stratégie que semblent préconiser les autorités américaines.
Le week-end dernier, cinq nouveaux clips (récupérés lors du raid du 1er mai) ont été rendus publics.
Ceux-ci ont sans doute été soigneusement sélectionnés.
L'un d'entre eux, par exemple, nous montre un blooper de Ben Laden lors du tournage d'une vidéo de propagande. Y a-t-il quelque chose de plus banal qu'un terroriste international qui doit reprendre une scène pour cause d'ennui technique?
Mais le plus éloquent des cinq clips montre Ben Laden en train de regarder Ben Laden à la télé.
On le voit vieux, assis par terre, enroulé dans une couverture brune, tenant une télécommande et se balançant. L'image fait penser à une version islamique des derniers jours de Howard Hughes.
On ne voit certainement plus dans ces images le cerveau du 11 septembre 2001. On voit un vieil homme dans son trou à rat, obsédé par sa propre image.
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Curieusement, en cette ère de l'image, UNE photo marquante peut faire d'un homme une icône. Mais mille photos anodines risquent davantage de le rapprocher du simple mortel.
Il me semble difficile de mettre Ernesto CHE Guevara et Oussama Ben Laden sur le même pied, médiatiquement parlant. Avec le CHE, c’est d’économie communiste dont il faut parler: la lutte des classes et la possession des moyens de production. Avec Ben Laden c’est de fanatisme religieux dont il faudrait parler: il faisait la guerre aux infidèles.
Il aura toutefois réussi à faire plus de victimes chez ses coreligionnaires que chez les infidèles (non-musulmans). Le « mythe » de Ben Laden ne lui survivra pas. Je suis convaincu qu’un chef terroriste ne peut espérer mourir de mort naturelle: celui qui vivra par le glaive périra par le glaive (ça, ce n’est pas de moi!).
Les photos de son cadavre ne changeraient rien, car avec le printemps arabe qui provoque des changements en Afrique du Nord, la cause de Al Qaeda était dépassée et obscurantiste. La photo de la pendaison de Saddam Hussein ne fera jamais une icône de ce tyran irakien aux mains pleines du sang de son peuple et des peuples voisins, pas plus que celle du cadavre de Ben Laden.
Rappelez-vous de quoi avait l’air ce tyran irakien quand il est sorti de son trou: rien de plus qu’un clochard. Le président Obama avait besoin de cette victoire militaire, car son étoile pâlissait auprès de ses électeurs insatisfaits de la situation économique. C’est comme faire un calcul politique pour tirer le meilleur de cette situation. Avec ou sans photos, Ben Laden ne sera jamais un martyr.
Cher Steve Proulx, vous aurez éventuellement l’impression que j’esquive vos questions et que je passe à côté du sujet épineux: les images «photographiques» (ou «caricaturées», ou «dessinées», ou peintes?) de cet homme «charmant» qu’était SMILEY Ben Laden.
J’ai devant moi, sous mes yeux, un livre datant de 1986. L’auteur: Alain Jaubert. Titre: «LE COMMISSARIAT AUX ARCHIVES: les photos qui falsifient l’histoire». Éditions: Barrault.
L’auteur nous explique comment, dans le cours de l’histoire humaine, des milliers de photos ont été falsifiées, truquées et substantiellement modifiées. Les exemples présentées concernent surtout les sociétés totalitaires comme l’Allemagne nazie et les pays communistes.
Pour ne donner qu’un exemple, si Léon Trotski figurait sur une vieille photo des années 10 ou 20, et si Staline désirait l’escamotage «historique» de Trotski, on recourait alors à l’intervention de spécialistes du «grattage» et des «modifications» des photos. En Chine il y a même un de ces spécialistes qui a été exécuté parce qu’il avait tout supprimé sauf un morceau de pied et la cheville d’un «ennemi du peuple» dont on souhaitait la «néantisation» complète. Le brave homme a échappé au néant pour lui planifié, grâce à l’erreur d’un «technicien» qui s’est mal acquitté de son boulot.
Maintenant, nous le savons tous, de nombreux magazines «people» peuvent modifier des photos d’une manière qui peut être assez significative.
Alors, sans être «complotiste» ou parano, je me demande combien de bureaucrates des bureaux états-unien du «commissariat aux archives» sont susceptibles de prendre les décision concernant une ou des photos de Ben Laden. Doit-on publier? Si la réponse est NON, il faut justifier «politiquement» et «brillamment» ladite réponse. Si la réponse est OUI, quelle sorte de brute «ladenesque» faut-il présenter? Aussi, quelles «retouches » ou «grattages» faut-il réaliser pour que l’image (ou les images) serve les intérêts états-unien et satanise ou diabolise l’horrible monstre?
Pour che Guevara ce fut un tantinet différent. L’image que nous voyons le plus souvent a été l’oeuvre d’un photographe relativement indépendant. Et le tout a été «travaillé» de manière telle que la photo et l’affiche (vendues à des dizaines me millions d’exemplaires) accentuent l’aura de sainteté et de romantisme qui ne cessait de planer autour de l’image sublimée et poétisée d’un des personnages les plus mythifiées ou mystifiées de la deuxième partie du vingtième siècle.
La question est donc: comment rendre odieuses et rebutantes les «images» d’Oussama ben Laden, même aux yeux de nombreux partisans potentiels (si cela s’avère possible)?
Il y aurait une pléthore de questions à se poser en ce au concerne les photos (bien ou mal utilisées?) de Saddam Hussein.
On dit souvent, et c’est devenu un cliché un peu benêt, qu’une image vaut mille mots. Mais il arrive assez souvent que quelques mots bien lancés et pertinents valent plus que de nombreuses images (ou photos plus ou moins «photoshoppisés).
Je termine en citant l’écrivain québécois Claude Jasmin, lequel, sauf erreur, a aussi été photographe à ses heures:
*****«Une photo vaut mille mensonges.»*****
J’ajoute qu’un autre livre se penche aussi sur le «jeu» avec les images. Auteur: Gérard Le Marec. Titre: »LES PHOTOS TRUQUÉES un siècle de propagande par l’image».
Au plaisir!
JSB, sociologue des médias
À présent que l’Illuminé en chef a été zigouillé, vaudrait probablement mieux en parler ou le montrer le moins possible. Et préférablement pas du tout.
Comme c’est depuis longtemps le cas de ses hommes de main, ces pirates de l’air du 11 septembre 2001.
Reléguer tous ces cinglés sans foi ni loi à l’obscurité la plus opaque.
Et puis, si je viens tout juste d’écrire ci-dessus «sans foi», ce n’est aucunement un lapsus. Parce que le fanatisme religieux n’a vraiment rien à voir avec une foi quelconque. Le fanatisme religieux, c’est l’emportement tyrannique d’égocentriques incapables de s’affirmer autrement qu’en tapant sur les autres.
Aux oubliettes, donc.