Rien à déclarer
Ma future carrière politique est foutue.
Ma candidature n'aura pas encore été annoncée officiellement que les journalistes politiques seront déjà en train de chercher des poux dans mes archives.
Ils en trouveront. On ne produit pas 319 chroniques, des centaines de billets de blogue, 11 bouquins et un nombre incalculable de statuts Facebook sans échapper quelques passages douteux.
À ma première conférence de presse en tant qu'homme politique, je risque d'en manger une solide.
J'entends déjà ce journaliste de La Presse canadienne, au fond de la salle: "M. Proulx, une question! En 2006, vous laissiez entendre dans un article que la démocratie se porterait mieux sans partis politiques. Êtes-vous toujours de cet avis?"
J'aurai à peine eu le temps de tricoter une réponse qu'un autre journaliste, de l'Agence QMI, renchérira: "En 2009, vous écriviez que notre système politique n'était pas conçu pour attirer la crème de la société. Est-ce l'opinion que vous avez de vos collègues (et de vous-même)?"
Je sortirai sans doute mes notions de patinage artistique jusqu'à ce qu'Antoine Robitaille, du Devoir, abrège mes souffrances. "M. Proulx, dira-t-il, vous souteniez en 2010 que l'offre culturelle au Québec dépassait largement la demande, que des subventions supplémentaires ne régleraient pas ce problème. Souhaitez-vous des coupures en culture?"
J'aurai alors une petite pensée pour mon chef. Lui qui sera sans doute en train de se maudire de m'avoir confié une circonscription. Dire qu'il aurait pu éviter ces emmerdes en plantant un poteau à ma place.
Un beau poteau. Un droit sur lequel s'appuyer. Un qui n'a jamais rien dit de travers – qui n'a jamais rien dit tout court -, mais qui remplit parfaitement son rôle de poteau. Celui de faire tenir le chapiteau du cirque électoral.
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Non, vraiment, mieux vaut ne pas avoir eu la prise de parole fréquente pour espérer survivre en politique.
Parlez-en à Richard Bergeron. Le chef de Projet Montréal a passé sa dernière campagne à tenter de faire oublier cette phrase qu'on a trouvée à la page 104 de son essai Les Québécois au volant, c'est criminel (Les Intouchables, 2005). Une phrase aussi laide qu'une crotte de nez dans laquelle, tel un sinistre théoricien du complot, il se demandait si nous n'avions pas assisté, le 11 septembre 2001, à un "acte de banditisme d'État aux proportions titanesques".
Parlez-en à Robin Philpot. Ce candidat pour le PQ en 2007 en a bavé lorsque La Presse a révélé des passages de son livre qui pouvaient laisser croire qu'il "niait le génocide rwandais".
Les écrits restent, dit-on. C'est particulièrement vrai pour les écrits douteux.
Au fond, Stephen Harper a bien raison de refuser de répondre aux questions des maudits journalistes. Ne rien avoir à déclarer est la meilleure façon d'éviter la fouille rectale.
Désolé pour l'image.
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Voilà un peu ce qui m'a traversé l'esprit en lisant la chronique de Nathalie Elgrably-Lévy dans Le Journal de Montréal.
Une chronique qu'à peu près tout le monde (hors de l'empire Quebecor) s'est empressé de démolir.
Une chronique où l'économiste s'oppose au "mécénat public" en comparant la culture à n'importe quelle autre industrie soumise à l'offre et à la demande.
Une chronique dont on a surtout retenu ce passage malheureux: "Il n'existe que deux raisons pour lesquelles un artiste vit dans la misère. La première est que son talent n'est peut-être pas en demande. La deuxième est qu'il est peut-être tout simplement dépourvu de talent."
Une chronique, cependant, qui à certains égards reprenait des idées élaborées ici même, il y a un an, par votre humble serviteur, dans un texte intitulé Noyade culturelle. Eh oui. J'y avais présenté quelques faits concernant la "saturation du marché de la culture". J'avais même commis une déclaration qu'Antoine Robitaille n'hésiterait pas à me remettre sous le nez si jamais je me lançais en politique (voir plus haut).
Or, hormis quelques commentaires haineux sur Twitter, mon texte n'avait pas fait tellement de vagues. Tenez, même moi je l'avais oublié.
J'imagine que la grosse différence entre Nathalie Elgrably-Lévy et moi, c'est que dans son cas, on sent très bien ce désir de promouvoir une certaine idéologie libertarienne. Le contenant est douteux. Le contenu en est forcément contaminé.
Cela dit, Mme Elgrably-Lévy et moi sommes tout de même dans le même bain. En prenant la parole de façon hebdomadaire sur tous les sujets imaginables, nous devenons (pour un parti politique quelconque) beaucoup moins intéressants qu'un poteau.
Non, vraiment, avec sa riche collection de propos discutables, la chroniqueuse du Journal de Montréal ne ferait pas plus long feu que moi en politique.
Nathalie Elgrably-Lévy au pouvoir, c'est foutu.
Si ça peut en rassurer quelques-uns…
Une idéologie libertarienne?
Humm. En voilà de bien grands mots. Donc si je ne veux pas qu’une partie de mes impots serve à entretenir les délires nombrilistes des artistes quand, par exemple, des chercheurs pourraient utiliser ces fonds pour des projets sur le cancer ou le developpement d’energie renouvelable, je véhicule une idéologie libertarienne?
Coller systématiquement des étiquettes haineuses sur toutes les opinions contraires à la ligne éditoriale du Voir, c’est ca, de l’idéologie.
En quoi dire que quelqu’un est d’idéologie « libertarienne » est-il un propos haineux?
Et quelle est la « ligne éditoriale » du Voir? Parce qu’en 7 ans que je chronique ici, personne ne m’en a encore parlé.
C’est clair qu’en coupant toutes les subventions à la culture en général (à peu près 1% du budget fédéral), on trouverait immédiatement un remède contre le cancer ou la clé pour se débarrasser de notre dépendance au pétrole.
C’était si simple au fond comme solution. Comment se fait-il qu’on n’y ait pas pensé plus tôt.
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La culture n’est pas votre priorité. Bravo. Vous avez des partis politiques qui partagent votre opinion et j’espère que vous avez bien voté le 2 mai dernier.
Pour ma part, je pense qu’une société moderne peut mâcher de la gomme et marcher en même temps.
On peut chercher un remède contre le cancer tout en subventionnant des « délires nombrilistes » comme le magazine L’Actualité, l’Orchestre symphonique de Montréal et Radio-Canada… qui reçoivent tous de l’argent de vos impôts sous la rubrique « culture ».
La ligne editoriale du voir est comme le mythe de la clique du plateau: ca n’existe pas, mais tout le monde sait de quoi il s’agit.
La haine provient de la simple utilisation du mot « libertarien », a son association a une ideologie d’extreme droite, ce qui releve vos lecteurs de la difficile corvee de reflexion. Il est tellement plus facile de detester quelque chose que d’argumenter son antagoniste.
Ca fait combien, 1% de rien?
A 102% et 96% de dette Vs PIB, la Grece et l’islande, respectivement, sont devenu recemment des societes moribondes. Si ce n’etait de prets de l’allemagne, ce serait la guerre civile.
L’Irlande est devenu insolvable recemment. L’espagne et l’italie sont les prochains. L’italie a deja soumis une demande a l’ONU pour des fonds afin de preserver son capital historique et culturel: ils ne peuvent plus les prendres en charge.
Le Quebec est a 94% de dette, et nous sommes meme incapable de la plus simple des prises de conscience a cause de pete-clapet comme vous qui ont des tribunes pour je ne sais quelles raisons obscures.
Mais bon, tout ca n’est que delires libertariens et une conspiration d’extreme droite, right?
Les subventions en culture sont comme un pustule sur un membre gangraine: c’est pas vraiment ca le plus gros probleme.
Libertarien : « Le libertarianisme est une philosophie politique issue du libéralisme prônant, au sein d’un système de propriété et de marché universel, la liberté individuelle en tant que droit naturel. La liberté est conçue par le libertarianisme comme une valeur fondamentale des rapports sociaux, des échanges économiques et du système politique.
Le mot « libertarien » est l’adaptation en français de l’anglais « libertarian », lui-même traduction anglaise du français « libertaire ». Ce néologisme a été inventé afin de distinguer les libertariens des libéraux des États-Unis (lesquels sont estimés à gauche de l’échiquier politique des États-Unis), le libertarianisme se faisant le promoteur d’un marché sans entrave (voir libre marché) au nom de la liberté individuelle. »
(wikipédia)
Bref, un libertarien considère que de collecter des impôts pour financer la culture est une forme d’entrave à la liberté individuelle. Selon M. Proulx, les propos de Mme Elgrably-Lévy nous permettent de croire qu’elle adhère à cette philosophie politique. Pas de quoi fouetter un chat.
Dette publique:
D’après le site suivant, la dette publique des États-Unis augmente de 4 milliards de dollars par jour. Pour l’année 2011, elle correspondait à 99% du PIB du pays, et d’après le FMI, elle atteindrait 115% d’ici à 2016. Une dette publique « hors de contrôle ».
Donc on peut bien parler de la Grèce, de l’Irlande, de l’Italie…
http://www.planetoscope.com/comptes-publics/1332-le-compteur-de-la-dette-publique-americaine-le-deficit-budgetaire-cumule-des-etats-unis.html
Le problème avec les propos de Mme Elgrably-Lévy, c’est qu’ils sont écrits dans une chronique qu’elle tient à titre d’expert. Elle est en effet présentée (et se présente elle-même) comme économiste professeur au HEC (si je ne me trompe pas, il s’agirait d’un poste de chargé de cours). À ce titre, on est en droit d’attendre que ses propos s’appuient sur des faits et des exemples rigoureusement choisis (chiffres ($), comparaison, statistiques) issus de recherches tout aussi sérieuses, les siennes ou celles de ses pairs, comme c’est le devoir de tout professeur d’Université. Sinon, qu’on en fasse une chroniqueuse d’humeur.
En tant que scientifique amatrice d’art et de culture, j’ai la ferme conviction que les arts, les sciences et la philosophie sont les moteurs du progrès humain. La politique et l’économie ne sont que le reflet de l’état du monde à un moment donné de son histoire. Est-ce que ça veut dire que tous les artistes, tous les scientifiques et tous les philosophes sont des acteurs de changement? Bien sûr que non. Souvent, seul le temps permettra de le savoir et je crois que ça vaut le « coût ».
Après avoir relu votre chronique traitant de la saturation du marché culturel, il me semble qu’il y avait une différence entre celle-ci et celle de Nathalie Elgrably-Lévy : le ton. Alors que vous abordez ce sujet fort peu politically correct en développant une logique suivie, Mme Elgrably-Lévy y va de l’arrogance et de la condescendance.
Je pense que vous aviez aussi un atout : écrire sur la saturation du marché culturelle dans un journal culturel vous donne une certaine immunité. Comment pourrait-on croire que vous méprisez les artistes?
Avec toute mon objectivité subjective, je me demande où Nathali Elgrably, avec tout son savoir concernant le domaine des finances, veut en venir. Où veut-elle en venir lorsqu’elle dit que la culture devrait être subventionnée à coup de crédit d’impôt au consommateur. Veut-elle que je garde mon ticket de théâtre, mon billet de cinéma du parc, mon billet d’entrée au musée, ma facture de retard de la bibliothèque de mon quartier? Veut-elle que je mette ces quelques dépenses dans mon relevé d’impôt? Pour avoir un remboursement de 3,50$?
Non, bien sûr que non. La très friande de culture, j’en suis sûr, parle sûrement de créditer ceux et celles, celles et ceux, qui peuvent se permettent d’acheter. D’acheter une oeuvre contemporaine d’un artiste émergeant pour ajouter à leurs collections sur mur blanc. Au nom des libertés individuelles, on bâillonne la liberté collective. Comment faire connaître un talent s’il n’y a pas d’institution ou de galerie où l’exposer? Contrairement à ce que croit Mlle Elgrabli Henry lévy, on ne subventionne déjà pas le créateur québécois. Croyez-moi, j’en connais. J’en connais des artistes honnêtes dévoué(e)s, talentueux-euses qui doivent servir des pink-martinis dans les 5 @ 7 branchés du haut de la terrasse de l’hôtel de la montagne à des messieurs-madame en costard-tailleur qui ont vendus leurs âmes au diable pour avoir le pouvoir de décider de ceux et celles, de celles et ceux, qui auront l’honneur de les divertir jusqu’à ce que mort s’en suive, jusqu’à ce que ces fous du roi/ ces folles de la reine deviennent des mous sans foi /des molles sans haine.
En tant que contribuable, je dis oui. Je dis donnez-leur ma piastre sur les 100 que je gagne à faire des ménages dans un resto du quartier gai. Pour me faire rire, me divertir, me faire pleurer, me faire rager, même si des fois certains sont de vrais navets. Mais oui, je grandis en regardant des films d’auteurs québécois, que je n’aurais jamais connu si ça n’avait pas été de la piastre de mon papa. Pour mon fils, pour ton futur mon fils, pour tout ce que je n’ai pas su t’expliquer, ou que tu n’as pas voulu écouter, c’est pour toi que cette piastre mérite qu’on l’investisse.
Votre texte est très intéressant! Effectivement, il y en a qui se font un malin plaisir de revenir sur la passé quand ça fait leur affaire.
Souvent, d’ailleurs, on peut sentir une certaine mauvaise foi derrière ce genre de réminiscence. Voir si dans la vie tout le monde devrait toujours avancer en ligne droite, sans jamais se contredire en cours de route.
JM