Angle mort

Quand j’entends le mot "Hitler", je sors mon revolver

On a un problème avec Hitler.

Bien sûr, ses crimes contre l'humanité sont le résultat d'une folie. Mais c'est une folie aussi d'être encore incapables, en 2011, d'admettre qu'il n'était qu'un homme.

Dans l'imaginaire collectif, Hitler se place au-dessous de nous tous. Le contraire de Dieu. L'incarnation du Mal. Un Monstre. Et quiconque commet l'odieux de le ramener à l'échelle humaine mérite qu'on le punisse. Sévèrement.

Le cinéaste Lars Von Trier s'est fait renvoyer du Festival de Cannes à grands coups de pieds au derrière pour avoir déclaré, en conférence de presse, qu'il "comprenait Hitler".

C'est que ce Danois qui se croyait d'origine juive s'est récemment trouvé des aïeuls nazis. À Cannes, il en a profité pour ne pas renier son arbre généalogique.

"Je pense qu'il a fait de mauvaises choses, a-t-il dit en parlant d'Hitler, mais […] je comprends l'homme. Il n'est pas ce qu'on peut appeler un type bien, mais je peux le comprendre et j'ai un petit peu d'empathie pour lui."

En quelques phrases, Lars Von Trier est apparu comme une version trash d'Alexandre Jardin. Vous l'avez vu à Tout le monde en parle, l'auteur de romans fleuris a fait scandale avec son dernier livre, Des gens très bien, qui raconte la vie de son grand-père, Jean Jardin, collabo notoire à l'époque de l'occupation de la France par les nazis.

De façon différente, Lars Von Trier et Alexandre Jardin se sont fait ramasser par l'opinion publique pour la même raison: avoir tenté de donner un peu d'humanité à Hitler et "aux gens très bien" qui, à un certain moment de l'Histoire, se sont rangés derrière lui.

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Il semble qu'il soit impossible de "comprendre Hitler" sans donner l'impression d'approuver ses crimes. Franchement.

Tirer des leçons du pire événement du 20e siècle exige, justement, qu'on comprenne son principal architecte et l'état d'esprit du peuple qui l'a suivi avec enthousiasme.

Si, chaque fois, on tire des roches à ceux qui tentent de trouver des origines bêtement humaines à la Deuxième Guerre mondiale, on se condamne à traiter cette portion de l'Histoire comme une sorte de hasard tragique.

La Deuxième Guerre mondiale était l'ouvre d'un fou et puis voilà, c'est tout. Il n'y a rien à comprendre.

Hitler est apparu comme ça, pour aucune raison, puis il est disparu soudainement en 1945, 50 millions de morts plus tard.

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Il y a quelques années, dans une émission de télé, Richard Martineau déclarait qu'il n'interviewerait jamais Hitler, même s'il en avait l'occasion.

La belle affaire.

Soyons sérieux, si la possibilité d'interviewer Hitler se présentait aujourd'hui, tout bon journaliste aurait le devoir de la faire, cette entrevue. Pour comprendre l'homme.

Le meilleur livre pour comprendre le génocide rwandais s'intitule Une saison de machettes. L'auteur, Jean Hatzfeld, a interviewé les "bourreaux", ces "bons pères de famille" qui ont passé leur printemps 1994 à charcuter leurs voisins, leurs collègues.

Tout au long de ce récit troublant, on ne rencontre pas des monstres, mais des gens bien ordinaires. N'importe qui. Comme vous et moi. Des gens très bien. Des gens avec un projet.

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Hitler s'est suicidé dans son bunker le 30 avril 1945, au moment où son régime était mis en pièces par les Alliés. Dans son testament, il écrira: "Je meurs le cour joyeux en songeant aux incomparables faits et prouesses de nos soldats au front, de nos femmes au foyer, de nos paysans et ouvriers…"

Ce sont les derniers mots qu'il laissera à l'humanité, et qui tendent à confirmer la thèse voulant qu'Hitler était le diable en personne. Qu'un type qui a commandé l'Holocauste meure "le cour joyeux", c'est purement inconcevable. Ce n'est pas humain.

En s'enlevant la vie au lieu d'être jugé pour ses crimes, Hitler a permis à l'Histoire de ne retenir de lui que l'image d'un démon sans âme.

Or, on aurait dû pouvoir le questionner, le cuisiner, le psychanalyser, sonder son âme, étudier son cerveau, ses gènes. L'écouter.

On se serait rendu compte qu'il n'était pas un monstre. En tout cas, pas celui qu'on imagine. On aurait sans doute découvert un petit monsieur de 5'8'' avec beaucoup de rage en dedans, qui aurait pu être n'importe qui. Voilà ce qui aurait été le moins rassurant.

Hitler, n'importe qui. Comme vous et moi. Quelqu'un avec un projet.

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Crier au scandale chaque fois qu'un de nos contemporains parle d'Hitler comme s'il s'agissait d'un homme, comme vous et moi, ce n'est pas faire preuve d'évolution. C'est prouver qu'on croit encore aux Monstres.

Ça n'existe pas, les Monstres.