On a un problème avec Hitler.
Bien sûr, ses crimes contre l'humanité sont le résultat d'une folie. Mais c'est une folie aussi d'être encore incapables, en 2011, d'admettre qu'il n'était qu'un homme.
Dans l'imaginaire collectif, Hitler se place au-dessous de nous tous. Le contraire de Dieu. L'incarnation du Mal. Un Monstre. Et quiconque commet l'odieux de le ramener à l'échelle humaine mérite qu'on le punisse. Sévèrement.
Le cinéaste Lars Von Trier s'est fait renvoyer du Festival de Cannes à grands coups de pieds au derrière pour avoir déclaré, en conférence de presse, qu'il "comprenait Hitler".
C'est que ce Danois qui se croyait d'origine juive s'est récemment trouvé des aïeuls nazis. À Cannes, il en a profité pour ne pas renier son arbre généalogique.
"Je pense qu'il a fait de mauvaises choses, a-t-il dit en parlant d'Hitler, mais […] je comprends l'homme. Il n'est pas ce qu'on peut appeler un type bien, mais je peux le comprendre et j'ai un petit peu d'empathie pour lui."
En quelques phrases, Lars Von Trier est apparu comme une version trash d'Alexandre Jardin. Vous l'avez vu à Tout le monde en parle, l'auteur de romans fleuris a fait scandale avec son dernier livre, Des gens très bien, qui raconte la vie de son grand-père, Jean Jardin, collabo notoire à l'époque de l'occupation de la France par les nazis.
De façon différente, Lars Von Trier et Alexandre Jardin se sont fait ramasser par l'opinion publique pour la même raison: avoir tenté de donner un peu d'humanité à Hitler et "aux gens très bien" qui, à un certain moment de l'Histoire, se sont rangés derrière lui.
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Il semble qu'il soit impossible de "comprendre Hitler" sans donner l'impression d'approuver ses crimes. Franchement.
Tirer des leçons du pire événement du 20e siècle exige, justement, qu'on comprenne son principal architecte et l'état d'esprit du peuple qui l'a suivi avec enthousiasme.
Si, chaque fois, on tire des roches à ceux qui tentent de trouver des origines bêtement humaines à la Deuxième Guerre mondiale, on se condamne à traiter cette portion de l'Histoire comme une sorte de hasard tragique.
La Deuxième Guerre mondiale était l'ouvre d'un fou et puis voilà, c'est tout. Il n'y a rien à comprendre.
Hitler est apparu comme ça, pour aucune raison, puis il est disparu soudainement en 1945, 50 millions de morts plus tard.
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Il y a quelques années, dans une émission de télé, Richard Martineau déclarait qu'il n'interviewerait jamais Hitler, même s'il en avait l'occasion.
La belle affaire.
Soyons sérieux, si la possibilité d'interviewer Hitler se présentait aujourd'hui, tout bon journaliste aurait le devoir de la faire, cette entrevue. Pour comprendre l'homme.
Le meilleur livre pour comprendre le génocide rwandais s'intitule Une saison de machettes. L'auteur, Jean Hatzfeld, a interviewé les "bourreaux", ces "bons pères de famille" qui ont passé leur printemps 1994 à charcuter leurs voisins, leurs collègues.
Tout au long de ce récit troublant, on ne rencontre pas des monstres, mais des gens bien ordinaires. N'importe qui. Comme vous et moi. Des gens très bien. Des gens avec un projet.
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Hitler s'est suicidé dans son bunker le 30 avril 1945, au moment où son régime était mis en pièces par les Alliés. Dans son testament, il écrira: "Je meurs le cour joyeux en songeant aux incomparables faits et prouesses de nos soldats au front, de nos femmes au foyer, de nos paysans et ouvriers…"
Ce sont les derniers mots qu'il laissera à l'humanité, et qui tendent à confirmer la thèse voulant qu'Hitler était le diable en personne. Qu'un type qui a commandé l'Holocauste meure "le cour joyeux", c'est purement inconcevable. Ce n'est pas humain.
En s'enlevant la vie au lieu d'être jugé pour ses crimes, Hitler a permis à l'Histoire de ne retenir de lui que l'image d'un démon sans âme.
Or, on aurait dû pouvoir le questionner, le cuisiner, le psychanalyser, sonder son âme, étudier son cerveau, ses gènes. L'écouter.
On se serait rendu compte qu'il n'était pas un monstre. En tout cas, pas celui qu'on imagine. On aurait sans doute découvert un petit monsieur de 5'8'' avec beaucoup de rage en dedans, qui aurait pu être n'importe qui. Voilà ce qui aurait été le moins rassurant.
Hitler, n'importe qui. Comme vous et moi. Quelqu'un avec un projet.
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Crier au scandale chaque fois qu'un de nos contemporains parle d'Hitler comme s'il s'agissait d'un homme, comme vous et moi, ce n'est pas faire preuve d'évolution. C'est prouver qu'on croit encore aux Monstres.
Ça n'existe pas, les Monstres.
Ouais c’est ça, un pauvre bougre en manque de baise qui travaille durement pour gagner sa vie! Vous croyez que les monstres n’existent pas? Qu’ils sont uniquement des gens avec des projets? Qu’on peut les cuisiner pour connaître ce qu’ils ont en dedans?
Disons que son projet n’avait rien à voir avec Ma Maison Rona, mais s’il avait été menuisier, il aurait sûrement utilisé sa jarnigoine à un autre dessein que celui de décimer un peuple.
Malgré tout on peut construire une maison avec un marteau, mais on peut aussi tuer son voisin…
En lisant votre passionnant texte, Steve Proulx, j’ai pensé à de nombreux souverainistes et bloquistes qui ne décolèrent pas depuis les élections du 2mai 2011. Ils détestent profondément celui qu’ils appellent, avec mépris, Smiley Jack. Selon eux le leader du NPD est un démagogue opportuniste et «jovialiste».
Parmi ces personnes courroucées, certains prétendent que la déconfiture du Bloc et la vague néo-démocrate sont dues à la propagande fédéraliste «conjointe» de Quebecor et Power Corporation. J’imagine mal ces deux entreprises suppliant le peuple de voter NPD.
Parmi ces personnes il y en a aussi qui pensent que le peuple québécois (celui avec lequel ils veulent réaliser l’indépendance) est «aliéné», colonisé et abruti. Ces colonisés refusent de se laisser décoloniser par l’avant-garde éclairée du mouvement sécessionniste, cette avant-garde qui vient de «manger une maudite claque».
Prenons le grand écrivain VLB (Victor-Lévy Beaulieu). Il a pondu un texte totalement méprisant pour «son» peuple, ce peuple de névrosés. Et dans de nombreux blogues on peut lire des cris de haine, dépourvus de toute «tentation» analytique.
Et je retourne directement à votre texte et aux propos concernant Hitler. Le problème, comme vous le dites si bien, Steve Proulx, c’est qu’il y a, chez de nombreuses personnes, une abdication totale face à l’idée d’analyser, de réfléchir, de chercher des explications qui ne soient pas trop simplistes ou trop simplettes.
Personnellement j’ai fait mes études en sociologie au début des années 60. Deux professeurs m’ont profondément marqué: le grand Guy Rocher et l’essentiel Marcel Rioux. Ce que m’ont appris ces profs et de nombreux autres, c’est LA NÉCESSITÉ DE L’ANALYSE et le rejet maximal des clichés, stéréotypes et idées reçues.
Je lis à l’occasion des romans d’Éric-Emmanuel Schmitt, lesquels sont de valeur inégale. Mais même si c’est un peu simplifié j’ai apprécié son roman LA PART DE L’AUTRE. Il essaie d’imaginer ce que serait devenu Hitler s’il n’avait pas été refusé à l’École des Beaux-Arts. Et il y a des notations intéressantes sur le personnage.
Évidemment si Hitler n’avait pas existé, il se serait probablement passé quelque chose de grave. L’Allemagne, profondément humiliée depuis la grande guerre, cherchait des pistes, cherchait sa route. Et la route de la guerre aurait éventuellement été choisie même si Hitler n’avait été qu’un morceau de néant.
ET VOILÀ! IL FAUT SAVOIR ANALYSER ET ÉVITER LE SIMPLISME!
JSB
Merci Steve!
Un autre bouquin intéressant à lire sur Hitler, le dernier Michel Folco, »la jeunesse très mélancolique et désabusée d’Adolf Hitler ». Romancé, quoique très fouillé historiquement, ce roman a le mérite de démystifier le personnage. On y mentionne aucun de ses crimes, on y parle simplement de sa jeunesse – quand même peu banale – de ses premiers amours, de ses échecs… Ce n’est aucunement complaisant et ça ne sombre jamais dans le relativisme. Le livre décrit comme jamais un personnage qu’on a somme toute assez peu fouillé malgré le fait qu’on ne cesse d’en parler depuis 60 ans. C’est écrit dans un style innimitable et en plus, c’est très drôle.
Vos suggestions de lectures sont très à propos, chers Messieurs Baribeau et Donati. Ça va directement sur ma liste de romans à lire!
Bon! Avouons que j’ai peut-être eu une vision « simpliste » du bonhomme. Ce n’est tout de même pas une raison pour excuser tous les crimes commis en son nom.
Peut-être que tous les livres et biographies vous apprendont qu’il était manipulé par ses généraux et tenu dans le secret de l’holocauste? Peut-être une biographie miracle remettra en question le nombre de victimes dans les camps de concentration?
À quoi sert de comprendre le bonhomme une fois les exactions commises et les gens tués?
Mais qu’est-ce qui se passe à Voir, vous vous faites un deVoir de réhabiliter les chiens galeux, les « gutter cat », les criminels de guerre y compris?
Je perçois une vent de négationnisme inquiétant en vos murs et ce ne sont sûrement pas vos lectures de chevet projetées qui vous aideront à départager le tout.
Si vous croyez que la compréhension du « bonhomme » peut contribuer à éviter ce genre de situation par la suite, et bien dites-vous que nous ne sommes pas en présence d’une violence conjuguale, mais d’un génocide.
Je suis persuadé que vous pouvez faire la différence…
Dire que l’on comprend les motivations d’un quidam, c’est une chose. Dire que l’on « comprend » le mec en question sous-entend un peu que l’on a une certaine empathie pour lui, voir que l’on s’assoirait avec lui et on ferait un forme de partage. Que si il y aurait un thèrapie de groupe à suivre, on serait du groupe… Ça, c’est un degré un peu trop près de la pathologie.
Je peux dire que je comprend les motivations de Ben Laden, par exemple; que oui, en effet, l’Occident est un peu fucké avec ses valeurs familiales ancrées dans le capitalisme à outrance. Qu’il y a sans doute un grand creux psychique et spirituel chez ces gens qui se croient tout permis au nom du sacré dollar. Qui se font les Rambos de la planète. De la à dire que je le comprend… Il y a une satanée marge.
J’ai l’impression de jouer sur les mots en m’interrogeant si un monstre peut être humain ou un homme devenir monstrueux. Il reste qu’Adolf Hitler en sa qualité d’officier lors de la 1re guerre mondiale avait été décoré après avoir posé un acte, considéré comme héroïque, en servant de bouclier à son supérieur lors de l’explosion d’une grenade. Il n’était pas fou, car il a réussi à entraîner une bonne partie de l’élite et du peuple allemand dans son sillage. Il magnétisait les foules comme le font actuellement les rock stars. Un fou aurait eu tendance à s’isoler et ceux qui étaient internés dans les hôpitaux psychiatriques allemands ont été euthanasiés parce qu’ils ne cadraient pas avec son idéal de la race supérieure.
Votre article, Monsieur Proulx, me laisse une impression de conflit de générations entre des jeunes qui ont vécus dans une paix relative et leurs prédécesseurs, les baby-boomers, qui doivent leur origine au retour des soldats à la fin de la 2e guerre mondiale. Cette pensée magique de la nouvelle génération les pousse à minimiser l’importance des génocides. J’ai passé toute ma jeunesse à craindre de disparaître, envalé par un champignon thermonucléaire, et ceux qui font de la provocation comme Lars Von Trier se cogneront encore longtemps sur une réaction viscérale d’une bonne partie de la population. Plusieurs politiciens canadiens assez âgés, ou déjà décédés ont eu des ennuis avec des déclarations ambivalentes à ce sujet: inutile de donner des noms, car les médias en ont amplement parlé. Je ne crois plus aux monstres, mais faire de l’extermination ethnique et religieuse sur une base industrielle ne devrait jamais porter à une négation ou une minimisation avec une pensée genre « tout le monde est beau et tout le monde est gentil ».
Comme ça Hitler n’était au demeurant qu’un petit monsieur avec beaucoup de rage et qu’il serait tout à fait incongru de le qualifier de monstre. Parce qu’au fond, Hitler était comme vous et moi. Ah, vous ne le saviez pas? Ben voilà, j’espère que vous vous sentez mieux à présent. Si, parce que c’est
pas bien de diaboliser les gens comme ça. Vous savez, aujourd’hui faut être plein de compassion pour ceux qui font quelque chose de pas bien. Ils vivent parfois de gros drames. Ben tiens! hitler à été refusé dans une école d’art. Deux fois même! N’est-ce pas épouvantable? S’il n’y a pas ici matière à vouloir tuer plein de gens je me demande bien ce qui peut l’être… Et puis pourquoi n’a t-on pas encore pensé à publier un livre sur les recettes préférées d’Hitler? Ses meilleures blagues? (je ris d’avance).
« Si, chaque fois, on tire des roches à ceux qui tentent de trouver des origines bêtement humaines à la Deuxième Guerre mondiale, on se condamne à traiter cette portion de l’Histoire comme une sorte de hasard tragique. » Ben tiens. Parce Von Trier quand il a parlé à Cannes c’était pas pour parler de cinéma, qu’allez-vous imaginez là? S’il a pris le micro c’était pour y aller d’une conférence sur le
pourquoi des origines bêtements humaines de la Seconde Guerre. Vous aviez pas lu le programme?
« La Seconde Guerre n’était que l’oeuvre d’un fou et puis voilà, c’est tout. Il n’y a rien à comprendre » dixit monsieur le chroniqueur. Rien à comprendre? Vraiment? Ah vous m’étonnez! Alors comme ça un autrichien arrive à se hisser à la tête de l’Allemagne, instaure un régime de terreur, décide d’appliquer le concept de la pureté raciale, ordonne de tuer ceux qui ne méritent pas de vivre parce qu’inférieurs, enporte l’Europe dans le brasier de la guerre et extermine plus de 14 millions de gens et il n’y a rien à comprendre? On passe l’efface sur le tableau comme si
rien ne s’était passé? Heureusement les Allemands ont pensé autrement et c’est pour ça qu’encore aujourd’hui (et pour longtemps) toute représentation d’Hitler ou du nazisme est TRÈS sévèrement condamné. Et je parles ici de la Loi. Même dans les jeux vidéo. Faut dire que l’Allemagne mérite
un peu mieux la devise du Québec que le Québec, qui lui ne se souvient jamais de rien.
Et que dire de ce pet de cerveau: « Hitler est apparu comme ça, pour aucune raison, puis il est disparu soudainement en 1945, 50 millions de morts plus tard. » Ben voilà, pourquoi tant de spécialistes, historiens et universitaires se sont acharnés à faire des recherches pour expliquer la Seconde Guerre alors que tout ce qu’ils n’avaient à faire était
d’attendre que Proulx ne leur résume tout ça en une seule phrase. Tadaaaam!!!
Si Hitler est arrivé au pouvoir il y avait une raison. Et si Proulx se décide à ouvrir un livre d’histoire militaire (attention: je parle ici de quelque chose que Proulx n’est probablement pas habitué de lire soit un véritable bouquin non-fictif rempli de faits et d’analyses écrits par des
experts en la matière) il comprendra pourquoi. Tout comme il en apprendra sur celui qui a directement influencé Hitler et qui s’appelait Mussolini. Et comme Proulx aura le nez dans un tel ouvrage il pourra en savoir davantage sur l’Action T4 (qui n’a rien à voir avec l’impôt, croyez-moi mais c’est tout de même préférable de pas manger avant de lire ça).
Et la conclusion « On se serait rendu compte qu’il n’était pas un monstre. En tout cas, pas celui qu’on imagine. » Dis-moi Steve (et là je m’adresse à toi directement) Tu t’imagines quoi justement quand on regarde les photos insoutenables prises dans les camps de concentration? Tu imagines quoi en voyant tous ces corps décharnés empilés dans les charriots ou poussés dans des trous avec un bulldozer? Tu imagines quoi en lisant l’Action T4 et en pensant à tous ces enfants handicapés que l’on a froidement tués parce qu’ils ne méritaient pas de vivre? J’ai des petites nouvelles pour toi, voici ce que le dictionnaire (un autre livre de non-fiction que tu risques d’aimer) raconte à propos du mot « monstre »:
Monstre: n.m.; individu d’une grande cruauté, d’une perversion inhumaine.
Dans le fond, t’as peut-être raison. Ça n’existe pas les monstres. Dieu merci.
un monstre en italique..,
Je suis surprise de voir que les intellectuels ne se trouvent pas mieux à faire dans notre monde d’aujourd’hui que d’essayer de comprendre Hitler et relativiser les histoires qui l’entourent… ça.. ce n’est pas exactement ce que j’appellerais une preuve d’évolution…
J’ai lu la dizaine de commentaire publiés jusqu’ici, et pour moitié, ils m’ont donné envie d’aller relire ces mots de la Fondation pour l’alphabétisation :
« SACHEZ QU’UNE PERSONNE ANALPHABÈTE…
A généralement une faible estime de soi et se sent facilement vulnérable devant toute personne qu’elle considère plus « éduquée » qu’elle. Elle peut adopter une attitude de soumission ou devenir agressive face à une situation qu’elle ne comprend pas bien. »
Je crois vous avoir bien lu. Votre question est bien : Quelle part du monstre Hitler avons-nous tous en nous? Ou encore : N’est-ce pas trop facile de faire d’Hitler un Étranger de nous?
« La réponse est oui. Mais quelle était la question? »
Ce n’est pas parce que l’on se penchera sur le cas d’individus troublants que l’on cherchera ce faisant à en faire l’apologie.
Il faut savoir distinguer entre regarder où se trouvent les nids-de-poules et désirer s’y engouffrer. Ce qu’à l’évidence un des intervenants ci-dessus n’a aucunement compris, et qui de plus rajoute à son manque flagrant de perspicacité en y allant d’un discours rabaissant.
Par contre, pareille intervention illustre fort bien le risque qu’il y a pour quiconque à réfléchir ouvertement, à poser des questions incommodes, à encore chercher là où d’autres ont pour leur part déjà péremptoirement décrété ce qu’il en était.
Et puis, ce ne sont habituellement pas les opposants réféchis aptes à bien mesurer le sens de ce que l’on aura avancé qui poseront le plus problème car, avec ceux-là, un débat raisonnable (et même constructif!) pourra le plus souvent être envisagé. Un débat qui pourra se faire sur la base des réels mérites des argumentations présentées.
Par contre, lorsque l’opposition à un point de vue, si bien étayé soit-il, provient de certains plus vifs sur la gâchette à l’égard de tout ce qui leur échappe – et conséquemment devenus fréquents tireurs – que portés à soupeser des concepts avec lesquels ils pourraient être ou ne pas être en accord sans pour autant dégainer, on devient le messager (d’un message incompris) sur lequel on tapera à qui mieux mieux.
Cela étant, vous avez beaucoup de mérite à vous exprimer comme vous le faites, Monsieur Proulx. Ne vous laissez pas intimider.
Annick Guénette a réussi a encapsuler l’essentiel en son intervention.
L’idée dans tout ce débat, ce n’est surtout pas de «comprendre» (avec compassion et la larme à l’oeil) ce pauvre Adolf Hitler.
L’idée, c’est de tenter d’expliquer pourquoi il y a des êtres humains par rapport auxquels on peut se demander comment ils ont pu se révéler si «monstrueux», si «inhumains». Le concept de «monstre» est bien ambigu. Mais il faut reconnaître que le nazisme a ouvert toutes grandes les portes de nombreuses monstruosités. Même en France des «monstres» ont livré des Juifs et des résistants à la Gestapo.
Dans ma formation-déformation sociologique on a tenté, de mille manières, de me faire comprendre qu’analyser et tenter d’expliquer, ce n’est pas justifier, accepter, approuver ou entériner.
Alors moi je reste convaincu qu’il est important d’expliquer des «monstres» comme Hitler. Il faut aussi expliquer comment cette «monstruosité» s’est répandue comme une traînée de poudre et a «contaminé» de nombreuses personnes.
Alors, excuser Hitler, JAMAIS! Mais tenter de comprendre ce genre de brutes monstrueuses, CELA EST ESSENTIEL.
En 1990 la fille d’un de mes très grands amis a été violée et assassinée (rue Laurier) par un dénommé Agostino Ferreira. Ce salopard a violé et tué deux autres filles et il en a violé et séquestré plusieurs autres. Le type (un monstre ou un fou ou les deux?) était fier d’être devenu une vedette lorsqu’on a beaucoup parlé de lui dans les journaux. Même sa mère était ravie de savoir que son fils était une «star». Ce n’est pas moi qui dit cela. C’est la procureure qui a plaidé pour faire condamner Ferreira à la prison à vie.
Alors, en ce qui concerne Hitler, Ferreira ou une pléthore de «monstres», je ne vais jamais les excuser ou les justifier. Mais si comprendre ou expliquer de tels phénomènes est chose possible, je suis prêt à essayer de le faire. Nous devons tenter de mieux comprendre les êtres humains dans leurs grandeurs et dans leurs vicissitudes.
Écrire sur un tel sujet est difficile. Plus de vingt ans après le meurtre de sa fille, mon ami reste meurtri et blessé. Alors, si jamais on veut libérer Ferreira, je serai là pour hurler.
JSB, sociologue
Un commentaire de plus, pas sur la psychologie de Hitler sur laquelle je ne suis pas trop documenté mais sur celle du citoyen ordinaire qui, avec ses voisins, se transforme progressivement en monstre.
Le politiquement correct : J’avais huit ans à la libération de Paris. Avant cette libération on ne disait rien aux enfants, je chantais « Maréchal, nous voilà » à l’école. Après la Libération, les atrocités nazies ont été peu à peu révélées, tous les films, feuilletons de la radio, même les « histoires drôles » produisaient du patriotisme à retardement. J’en ai gardé un préjugé, et même un racisme anti-allemand qui m’a empêché de lire toute littérature allemande pendant une vingtaine d’années. Heureusement pour l’Europe, d’autres furent moins bloqués que moi. Le politiquement correct, cachez ces monstres que je ne saurais voir, cet aveuglement noble me semble bien bête. C’est intéressant de savoir comment (à peu près) tout le monde est prêt à tuer, même sans leader comme Hitler.
La tuerie : treize ans plus tard, en 1958, comme tous les jeunes gens de mon âge, je participais du mauvais côté à la guerre de libération de l’Algérie. Heureusement pour la paix de mon esprit, mon affectation me mettait à l’abri des responsabilités cornéliennes et elle fut brève. Mais j’ai eu un ami moins chanceux qui rêvait de tortures vingt ans après.Chaque camp se justifiait par les horreurs du camp adverse. L’épouvantable, ce fut la panique des Français civils d’Algérie qui se sont vus en 1961 forcés à choisir « entre la valise et le cercueil ». Un certain nombre de ces Français moyens joueurs de pétanque votant (par exemple) socialiste se sont transformés en soutien des assassins racistes de l’OAS (comme aujourd’hui les Serbes soutenant Radko Mladic), voire en authentiques assassins racistes . Un de mes amis se rappelait une pile de cadavres surmontée du drapeau français devant le commissariat d’Oran en 1962. Comment en vient-on là ? Et vous, vous êtes surs de vous ?
Ouch, c’est pas facile de parler d’Adolf Hitler sans se faire insulter. Penses à tout ces réputations de personnalités publiques qui ont déjà été détruites. Je ne crois pas que les gens soit prêt à regarder ce personnage historique autrement qu’en monstre. Il représente tout ce qu’on ne veut pas revoir, jamais. Il est même impensable que la moustache étroite revienne à la mode et le prénom Adolf est presque disparu.
Pour mieux réussir la paix à la suite d’un conflit qui a impliqué l’entièreté du monde industrialisé, l’histoire veut que la 2ième guerre soit l’affaire d’un homme. Il est ainsi plus facile de faire une paix rapide et durable. Après tout, c’est cette paix qui est prioritaire. Nos amis allemands, italiens, japonais et collabos français ont suivi un fou, ils ont été dupé par une propagande bien réussi. C’est la meilleur façon d’aider les gens à se pardonner. En prime, on n’a pas à se questionner sur les valeurs humaines (et la valeur de la vie humaine) de l’époque.
Est-ce qu’en 2011 il est temps de regarder de plus prêt la réalité derrière l’histoire ou est-ce qu’il y a encore trop de gens qui sont sensible au sujet. C’est probablement beaucoup plus facile pour nous au Québec de le faire qu’en Europe.
L’avantage de garder l’image d’Hitler en monstre c’est que lorsqu’un leader lance des idées de grandeurs douteuses, on le compare à Hitler et tout le monde réagi. Personne ne veut être associé à un leader qui essaye de convaincre les siens qu’ils sont plus importants que les autres. On a quand même tiré de belles leçons de la 2ième guerre mondiale, à savoir si c’est juste ou pas pour les chefs Nazi, est-ce vraiment important ?
Dire ses opinions même à propos de tout et de rien, il se trouvera des oreilles sensibles pour vous affubler de tous les maux de l’humanité. Pour cette seule raison jamais il faut se taire pour laisser tous les parasites se faire connaître. Nous sommes tous le parasite d’un autre parasite…
Il y a deux ou trois jours je lisais, sur mon ordinateur, le journal états-unien THE DAILY BEAST. Et l’un des textes m’a immédiatement accroché en me faisant penser au débat lancé par Steve Proulx sur Hitler et sur la monstruosité.
Voici d’abord le titre qui a retenu mon attention:
***«Ratko Mladic: The Making of a Monster»***
(The Daily Beast is dedicated to news and commentary, culture, and entertainment. We carefully curate the web’s most essential stories and bring you original must-reads from our talented contributors.)
Voici le début du texte tiré de ce journal qui se révèle souvent très intéressant:
***«When his beloved daughter shot herself with his favorite gun, Serbian General Ratko Mladic lost his mind, drenching the Balkans in blood. His capture last week may finally bring justice for his victims. In this week’s Newsweek, veteran war reporter Janine di Giovanni dissects the man behind the genocide and marks the importance of his arrest.»***
Les concepts de «monstre» et de «monstruosité» restent probablement utiles pour désigner certains individus ou certains comportements individuels ou collectifs qui vont à l’encontre de ce que nous, personnes prétendument «normales», considérons comme inacceptable, comme intolérable. Quand des humains tuent allégrement de nombreuses personnes, attaquent divers groupes raciaux, ethniques, religieux ou «différents» (les homosexuels, par exemple), nous ne comprenons pas et nous pensons que très inhumains sont ces humains (à titre individuel ou collectif).
Mais nous devons apprendre et comprendre que L’INHUMAIN est souvent répandu dans cette bizarroïde espèce que nous appelons L’ESPÈCE HUMAINE. L’histoire des humains a souvent été INHUMAINE. Quel paradoxe ou quel oxymore!
En fait, nous, les humains, nous restons obsédés, et c’est très bien, par tout ce qui semble «anormal», par ce qui nous dépasse et nous déroute (nous fait perdre la route de la supposée «normalité»).
Il y a des cas où tout peut sembler plus simple ou plus explicable. Je me permets de proposer un exemple qui me touche beaucoup. Il y a 15 mois l’un de mes plus grands amis (Bernard) est décédé, poignardé à mort par son fils de 38 ans, un schizophrène. J’ai connu le fils depuis sa naissance et jusqu’à l’adolescence, c’était un gars brillant, rigolo, dynamique et épatant. Mais peu à peu, ce qu’on appelle la schizophrénie a gangrené son existence.
Je saute de nombreux détails. Mais la question reste: ce garçon alors âgé de 38 ans est-il un monstre ou un malade? Lorsque la police l’a arrêté et conduit en prison, de nombreux prisonniers (souvent de petites crapules) ont considéré que c’est «monstrueux» de tuer son père et ils l’ont tellement battu qu’ils lui ont perforé l’estomac.
Heureusement on l’a ensuite conduit dans un hôpital psychiatrique.
Je n’insisterai pas sur la douleur de la mère que je connais depuis à peu près 40 ans. Son mari (ils étaient alors ensemble depuis 40 ans) a été tué par son fils qu’elle aime et qu’elle doit maintenant défendre avec toute la fougue de l’amour maternel.
Je n’écris pas cela pour raconter ma vie ou celle de mes amis. Ma vie est sans intérêt pour la majorité des humains. Mais pour moi la question de la «monstruosité», individuelle ou collective, reste dans une large mesure une énigme. Quand peut-on dire d’une personne qu’elle est monstrueuse? Quand peut-on dire d’une personne qu’elle est «malade» ou «dérangée»?
Steve Proulx a ouvert un débat essentiel et passionnant. Mais le sociologue que je suis reste souvent confronté aux mystères de l’âme humaine plutôt qu’à d’horribles (ou «monstrueuses») certitudes.
J’espère que ces quelques remarques font avancer le débat et la discussion, ne serait-ce qu’un tout petit peu!
JSB, sociologue parfois «dérouté»
P.-S.: Je ne pense pas que la majorité des humains sont capables d’être ce qu’on appelle des «monstres». Tous n’ont pas les «qualités» requises. Mais cela reste discutable!
JSB
Jean-Pierre Gascon, je n’ai rien compris à votre commentaire. Pourriez-vous expliciter votre pensée, SVP?
JSB
M. Baribeau, mon commentaire ci-haut n’est qu’une réflexion personnelle sur la libre expression en général; j’aurais pu y ajouter que parfois le silence est de convenance, de rigueur et/ou d’or. Cordialement (:»
Monsieur Proulx, j’ai du mal à comprendre votre raisonnement car votre chronique illustre un faux problème : on peut (et on doit) parler d’Hitler quoi que vous en disiez, là n’est pas le problème, et cela fait des décennies que l’on ne s’en prive pas – fort heureusement- ce dont témoignent des centaines d’essais sur le sujet. Mais, tout dépend comment on en parle : pour en faire l’apologie, comme c’est le cas de Lars Von Trier ? Bêtement, comme c’est le cas de Lars Von Trier, tout à fait indéfendable ? Je peux vous citer de remarquables essais qui analysent aussi bien la personne d’Hitler que le nazisme, en particulier ceux de l’historien Philippe Burrin. Je vous conseille à ce propos le site du Mémorial de la Shoah (Paris) qui recense une bibliographie très complète sur ce thème et susceptible de vous intéresser et de vous permettre à l’avenir d’aborder le sujet de façon plus documentée. En fait, plus que relativiste, votre chronique souffrait surtout cette semaine d’un cruel manque de connaissances sur le thème et d’une analyse très superficielle.
Sur Lars Von Trier : encore une tempête dans un verre d’eau. Brillant cinéaste, le pauvre homme souffre d’anxiété sociale; tout le monde le sait. Les rencontres avec les médias le mettent si mal à l’aise qu’il en perd tous ses moyens et ne sait plus ce qu’il dit. Cet espèce de suicide médiatique auquel il s’est livré à Cannes semblait tout droit sorti de son film « Les Idiots », la « comédie noire » la plus triste et déprimante qu’il m’ait été donné de voir. La réaction des responsables de Cannes a été disproportionnée, en l’occurrence : on aurait dû accepter ses excuses et passer à autre chose. Un lynchage abusif; un de plus. Et c’était donner beaucoup d’importance à des propos insignifiants, formulés uniquement par souci de provocation, voire par manière de plaisanterie maladroite et de mauvais goût…
Sur Hitler et le nazisme : qu’Adolf ait été un psychopathe, cela ne fait aucun doute; mais c’est un peu facile de tout résumer à la folie d’un homme. Il faut d’abord se reporter au contexte de l’époque, où l’ascension des dictateurs européens — Staline, Mussolini, Hitler, Franco, Salazar — est favorisée par la Grande dépression et la misère d’une jeunesse désoeuvrée, désabusée, en mal de repères. À cette génération déboussolée, ces « fous » qui la dirigent font miroiter la perspective exaltante d’un retour à la grandeur passée : le Siècle d’or pour les Espagnols, le saint Empire germanique pour les Allemands, l’Empire romain pour les Italiens, etc. Les démagogues font toujours appel aux sentiments du peuple plutôt qu’à sa raison; la recette est vieille comme le monde. (À voir : l’excellente série documentaire « Amour, haine et propagande », ou la 2e Guerre mondiale comme on ne vous l’a jamais racontée — disponible en DVD.) Quant à l’antisémitisme, il était répandu dans tout l’Occident chrétien — y compris chez nous, où Adrien Arcand, ce Mussolini d’opérette, ne manquait pas d’adeptes. Les curés ne perdaient pas une occasion de fustiger en chaire ces « assassins de Jésus » qu’étaient les Juifs, toujours coupables, deux mille ans après les faits. Et ça ne datait pas d’hier : les Juifs ont toujours servi de boucs émissaires, aussi bien dans l’Espagne de l’Inquisition que dans la Russie des pogroms ou la France de Louis IX, le « saint » roi (sic!) qui les a expulsés de son royaume sous menace de mort. L’Allemagne exsangue, humiliée et ruinée par la Première Guerre mondiale et par la crise économique, était mûre pour un Hitler, que ce soit Adolf ou un autre. Et n’oublions jamais que le nazis ont été légitimement, légalement et démocratiquement élus. La civilisation ne nous met pas à l’abri de la barbarie. Comme le dit si bien Monsieur Baribeau, la seule posture intellectuelle valable consiste à analyser, décortiquer, chercher à comprendre avec la plus grande objectivité possible. Autrement, on balaie les problèmes sous le tapis de l’histoire, se condamnant du même coup à les revivre tôt ou tard. Il est peut-être rassurant de voir le monde en noir et blanc; de classer les puissants, comme les humbles, en archétypes plus ou moins caricaturaux; mais ce n’est qu’un masque qui sert à cacher tout ce que la réalité peut avoir d’insupportable — y compris notre propre Hitler intérieur. Car qu’on le veuille ou non, pour le meilleur et surtout pour le pire, ce petit homme à la moustache de Chaplin était, d’abord et avant tout, un être humain comme vous et moi…