Angle mort

Du traîneau à chiens

Un petit couple de Français rencontré récemment nous racontait ses vacances au Québec.

Ils avaient choisi la Belle Province non pas pour les lions blancs du Parc Safari, ni pour la poutine au foie gras de Martin Picard, ni pour le Goliath à La Ronde. Non. Ils avaient entendu dire qu'ici, on pouvait faire du traîneau à chiens.

Et ils ont fait du traîneau à chiens.

En zappant dans ma chambre d'hôtel à Paris, je suis tombé sur l'émission de télé-réalité X Factor (un genre de Star Académie). Une des juges, notre Véronic DiCaire nationale, avait invité les participants à un casting dans un studio d'enregistrement "canadien", devant nul autre que Roch Voisine.

Qu'ont fait ces wannabes de la chanson française aussitôt débarqués à l'aéroport PET? Du traîneau à chiens.

On se moque des touristes français qui pensent trouver chez nous des Amérindiens et des coureurs des bois à chaque coin de rue. On leur rappelle gentiment que le Québec est moderne, qu'on a une gastronomie de plus en plus raffinée, de grands musées, des sites patrimoniaux et des festivals d'envergure internationale.

Au fond, on leur dit que le Québec est aussi bien que chez eux.

Mais les Français (ou les Anglais ou les Allemands ou les Belges) ne traversent pas l'Atlantique pour trouver aussi bien que chez eux.

Ils traversent l'Atlantique pour faire du traîneau à chiens.

/

J'ai été étonné que le rapport du Comité performance de l'industrie touristique, rendu public cette semaine, ne fasse aucune mention du traîneau à chiens.

Ce Comité présidé par Gilbert Rozon était pourtant censé identifier des solutions pour donner du pep à notre industrie touristique stagnante.

Or, ses recommandations concernent surtout l'organisation de l'industrie. On souligne "la nécessité que les acteurs de l'industrie travaillent en équipe", l'importance d'une "convergence des efforts de développement", on réclame "moins de structures" et l'adoption d'un "nouveau modèle de management de l'industrie".

Selon le Comité, la "priorité des priorités" devrait être le PRODUIT. Il faut développer au Québec un produit touristique "original de calibre mondial, misant sur nos atouts, qui nous positionnera auprès des clientèles hors Québec et incitera les Québécois à voyager chez eux".

Un produit original de calibre mondial… J'imagine que c'est ici qu'on aurait dû glisser un mot à propos du traîneau à chiens. Enfin.

/

Le Québec a du mal à se vendre à l'étranger. C'est peut-être parce que 68% des recettes de l'industrie touristique québécoise proviennent… des touristes québécois.

On savait le Québec tourné vers lui-même, mais que son industrie touristique le soit à ce point en est presque gênant.

En 2009, les touristes d'ailleurs au Canada fournissaient 12% des revenus de l'industrie, les Américains, 10% et les touristes du reste de la planète, un autre 10%.

La demande québécoise pour des produits touristiques québécois est une bonne nouvelle, mais cela a sans doute fait en sorte qu'on s'est créé notre petite industrie touristique rien qu'à nous… Avec des glissades d'eau de calibre local, une pléthore de festivals dont la majorité ne dépasse pas le calibre municipal et des hôtels qui ne rendent jaloux aucun Européen.

Au lieu de miser sur ce qui rend le Québec unique au monde, on a préféré fournir aux gens d'ici de quoi remplir les vacances de la construction.

/

S'il faut trouver au Québec un "produit original" pour attirer l'argent neuf des touristes étrangers, il est évident qu'il faut miser sur ce qui nous différencie. Le soleil? Non. Les musées, la culture? On trouve mieux. La nature, les paysages? Correct, sans plus.

C'est l'hiver qui nous fait sortir du lot. C'est clair, au cours des prochaines années, l'industrie touristique devra inciter le monde à venir se geler le cul chez nous.

Le peuple québécois s'est adapté aux rigueurs de l'hiver en inventant la motoneige pour se déplacer et en creusant un réseau de galeries, le fameux Montréal souterrain. Voilà un storytelling qui parle aux touristes étrangers.

On devrait leur permettre d'essayer une souffleuse au moins une fois dans leur vie et de jouer au roi de la montagne sur des tas de neige de calibre himalayen.

On peut vendre des souvenirs enneigés mieux que n'importe quel autre pays.

Et vous voulez être sûrs que le touriste retournera chez lui avec au moins une anecdote à raconter? Ma recommandation: à son arrivée à l'aéroport, le touriste devrait avoir le choix de se rendre à son hôtel en taxi, en bus… ou en traîneau à chiens.