Des chiffres et des hommes
Dans le domaine des fantasmes, on peut penser que l'humain a l'imagination inépuisable. Pas tant que ça, en fin de compte.
Si l'on se fie aux millions de requêtes coquines soumises à Google, Yahoo! et Bing, on découvre qu'à peine 20 intérêts représentent 80% de toutes les recherches.
Au sommet de la liste des dix termes érotiques les plus populaires, on trouve "youth" (13,5% de toutes les requêtes). Viennent ensuite "gay" (4,7%) et "MILF" (4,3%). Pour ceux qui ne seraient pas habitués à la terminologie pornographique, MILF est l'acronyme de Mother I'd Like to Fuck. Et c'est la troisième chose que cent millions d'internautes équipés d'une boîte de Kleenex désirent voir sur le Web.
Cet instructif palmarès nous vient d'une récente étude autoproclamée comme étant "la plus importante au monde sur le désir humain".
Un ex-participant à Who Wants to Be a Millionnaire, Ogi Ogas, et son collègue Sai Gaddam (deux docteurs en neurosciences cognitives) ont analysé les milliards de traces que laissent les consommateurs d'érotisme en ligne. Les mots-clés tapés dans Google. Les commentaires laissés sur les sites cochons. Un demi-million de vidéos pornos. Des millions de petites annonces et de messages trouvés dans des sites de rencontres virtuelles. Et j'en passe…
Ils ont compilé tous ces résidus numériques pour ne dresser rien de moins que la carte topographique des fantasmes de la race humaine. Un livre, A Billion Wicked Thoughts, a été tiré de ce forage de données.
On y apprend quoi? Que les femmes ADORENT les histoires coquines, et qu'étrangement elles aiment aussi les récits mettant en scène deux hommes. Qu'à peu près aucune femme n'est assez en manque pour payer pour de la porno en ligne (même que certains sites XXX soupçonnent une fraude lorsqu'ils reçoivent un paiement provenant d'une détentrice de carte de crédit).
On y apprend aussi que les hommes n'en ont rien à cirer des histoires; qu'ils ne veulent pas savoir, qu'ils veulent VOIR. Les hétéros cherchent d'ailleurs à reluquer des photos de femmes rondes trois fois plus souvent que des photos de maigrichonnes. Et ils veulent voir des pénis presque aussi souvent que des vagins. Ah oui, ils sont aussi plus intéressés par les "transsexuels" (shemales) que par les "fesses", les "fellations" ou les "Asiatiques".
Le célèbre chercheur en sexologie Alfred Kinsey aurait sans doute des palpitations en zyeutant cette orgie de données.
Dans les années 40 et 50, il a jeté les bases de la sexologie moderne en interviewant 18 000 personnes sur leurs habitudes sexuelles. Un exploit pour l'époque, mais un échantillon ridicule à côté de celui d'Ogas et de Gaddam.
Connaître pour gouverner
On ne réalise peut-être pas la valeur des miettes qu'on laisse sur le Web.
Désormais, nos désirs profonds, nos intérêts, nos goûts, nos curiosités les plus diverses, nos pensées et nos passions s'expriment à travers un tweet, un statut Facebook, un mot-clé dans Google.
Ce qui nous traverse l'esprit est immédiatement transformé en données qu'il est possible de compiler, de comparer, de regrouper… et d'utiliser.
Du début de la civilisation jusqu'en 2003, l'humanité n'avait créé que 5 exaoctets de données. Ça ne vous dit sans doute pas grand-chose, mais seulement pour comparer, sachez qu'en 2010, l'humanité en avait généré 800.
C'est du stock, les amis. Les statisticiens ont un bel avenir devant eux.
Ce n'est un secret pour aucun historien, l'information a toujours été l'élément central du pouvoir.
L'Église a inventé les registres de baptême, de mariage et de décès pour mieux connaître (et contrôler) ses fidèles. Les gouvernements modernes n'en peuvent plus de chiffrer, de mesurer, de quantifier, de dénombrer, de sonder les moindres aspects des populations qu'ils gouvernent.
Même chose pour les corporations, dont les décisions sont basées sur des études de marché, des focus groups. Il y a des années que les experts en marketing peuvent estimer vos revenus, votre statut social et vos habitudes d'achat simplement en connaissant votre code postal. Imaginez ce qu'ils peuvent faire avec les milliards de données que nous laissons tous traîner sur le Web.
"Mesurer pour connaître, connaître pour gouverner."
L'étude d'Ogas et Gaddam nous révèle avec précision ce qui fait vraiment bander les hommes. Ce n'est pas banal: des chercheurs ont trouvé la clé de nos fantasmes.
Plus globalement, avec tout ce que nous répandons sur le Web, il est permis de penser que, dans le futur, les machines à calculer qui nous dirigent auront tout ce qu'il leur faut pour nous tenir par les couilles.
Personne n’a de commentaires? Pas même un quidam qui laisse des paragraphes interminables?
Si certains hommes abusent des plaisirs solitaires virtuels, d’autres pratiquent la masturbation intellectuelle mais restent muet (ou sourd?) à ce sujet délicat qui pourtant mène le monde!
DSK, Tiger Woods, même le tristement célèbre Guy Turcotte ont fait vendre de la copie grâce à leur sexualité. Les gens achètent, mais personne ne le dira: tout le monde aime le sexe. Moi non plus.
Il n’y a pas grand chose à dire quand le chroniqueur ne fait que pointer une évidence : nous vivons sous la dictature des chiffres, et la statistique, source inépuisable de certitudes et de dogmes, a remplacé depuis longtemps la religion dans nos consciences. Bon papier de Steve Proulx, comme toujours; mais c’est l’été, et personne n’a envie de débattre de questions de fond comme celle-ci quand il fait beau et chaud! À revoir en septembre…
Finalement monsieur Proulx si je comprends bien vous étiez en accord avec le gouvernement Harper pour le recensement !
@Patrick Bouchard : Le recensement n’a pas pour but de nous manipuler ou de nous vendre des cossins; il vise à recueillir des données essentielles pour déterminer les besoins de la population par tranche d’âge, par région, etc. afin de mieux cibler les programmes sociaux et autres politiques d’aide. C’est tout différent! Par exemple, la loi sur les langues officielles prévoit que les services doivent être offerts dans les deux langues « partout où le nombre le justifie » : encore faut-il savoir où, exactement, « le nombre justifie » qu’on offre des services en français dans le ROC. En l’absence de ces données, on peut rayer le fait français d’un trait de plume à peu près partout en dehors du Québec. Je n’ai pas vu, dans le texte de M. Proulx, un quelconque appui à l’initiative absurde de Stephen Harper contre Statistiques Canada; son propos était tout autre. Ne mélangeons pas les pommes avec les oranges!