Mentalité de salarié
Angle mort

Mentalité de salarié

J'ai toujours été mon propre patron.

Je ne connais pas l'odeur d'un salaire versé directement dans mon compte toutes les deux semaines. Je n'ai jamais vu la couleur d'une journée de vacances payée et je n'ai pas le début d'un commencement de plan de retraite.

Mais j'imagine que tout ceci doit avoir bon goût, juste à voir sur quel piédestal nous avons érigé l'emploi permanent en tant que moyen sacré de gagner sa pitance.

On aurait une "mentalité de salarié" au Québec, selon le dossier sur l'entrepreneuriat du dernier magazine Jobboom.

La bosse des affaires du Québécois moyen est de taille clitoridienne. Jobboom nous révèle quelques statistiques gênantes. Selon l'Indice entrepreneurial québécois 2011 de la Fondation de l'entrepreneurship, seulement 9,5% des Québécois sont propriétaires d'une entreprise, contre 16,3% ailleurs au Canada. Pire encore, ce sont les francophones qui ont le moins la fibre entrepreneuriale dans cette province. Un maigre 7,9% d'entre eux possède une entreprise, contre 17% des anglophones du Québec.

Les Québécois francophones méprisent l'esprit d'entreprise. C'est culturel. Et j'ajouterais que ce n'est pas le trait le plus impressionnant de notre culture distincte.

C'est grave: le prochain roi de la poutine au Canada risque d'être… un Torontois! Notre poutine, bon sang!

Il s'appelle Ryan Smolkin et le magazine Maclean's lui a consacré un article la semaine dernière.

En 2008, il a lancé son resto Smoke's Poutinerie. Aujourd'hui, c'est une chaîne de 15 établissements entre Halifax et Winnipeg.

Smolkin a fondé sa première entreprise à l'âge de 16 ans. Il aime la liberté que lui procure son statut de proprio. Parce qu'il peut faire CE QU'IL VEUT.

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Les gens hésitent à se lancer en affaires, car ils ont peur du risque. On peut faire faillite, oui. Et puis, les entrepreneurs qu'ils connaissent travaillent tout le temps. C'est vrai qu'on travaille fort.

Sauf qu'on parle rarement de l'autre avantage d'être son propre patron. Celui qui, dans mon cas, surpasse de loin ceux enchâssés dans la convention collective d'un emploi permanent.

Un entrepreneur fait CE QU'IL VEUT. Pas toujours, bien sûr. Mais c'est le but.

J'ai rencontré le patron d'une firme d'investissement la semaine dernière.

Avant, il était ingénieur. Sauf qu'il avait un projet fou: lancer un jour un musée d'art contemporain. Mais il s'est vite rendu compte que son salaire d'ingénieur ne lui permettrait jamais d'acquérir des toiles de calibre muséal. Alors, il s'est mis à investir en Bourse. Quelques années plus tard, il a commencé à investir l'argent des autres.

Il a décidé que la moitié des profits de sa firme serviraient à acheter de l'art contemporain québécois.

Aujourd'hui, ses bureaux ressemblent à une version miniature du Musée d'art contemporain. Il possède une trentaine de toiles de l'artiste québécois de renommée mondiale Marc Séguin, mais aussi des Pierre Dorion, des Massimo Guerrera, et j'en passe.

Il aurait pu se contenter d'une carrière pépère d'ingénieur chez SNC-Lavalin ou ailleurs. À la place, il a décidé de faire CE QU'IL VOULAIT. Il s'est payé un musée.

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Ce qui me fait penser à Rue Frontenac, le média Internet créé par les journalistes du Journal de Montréal pendant le lock-out.

La balloune a dessoufflé le 1er juillet dernier.

En bloc, les journalistes ont retiré leurs textes du site, le transformant en coquille vide. C'est ainsi qu'ils refusaient de se faire acheter par un homme d'affaires apparemment conseillé par un type reconnu pour son présentéisme devant les tribunaux.

Je laisse l'histoire de côté. Parlons plutôt de ce qui n'est pas arrivé.

Pendant deux ans, les lock-outés ont profité du soutien de la CSN pour alimenter un site d'informations aimé de tous, et particulièrement d'eux-mêmes. Pourquoi aimaient-ils tant Rue Frontenac? Parce qu'enfin ils faisaient CE QU'ILS VOULAIENT.

Or, qu'ont-ils fait dès que le conflit syndical fut réglé? Ils se sont empressés de chercher un nouveau patron.

Ils ont mis leur bébé en adoption. Et jusqu'au 1er juillet, ils étaient prêts à le laisser aux mains d'un quelconque businessman estrien pour une bouchée de pain.

Pourtant, avec un brin d'esprit d'entreprise, ils auraient très bien pu se charger eux-mêmes de l'avenir de leur site. Ils étaient les meilleurs patrons envisageables: ils connaissent l'industrie, ils avaient déjà la plate-forme et un lectorat en croissance. Bien sûr, il y avait beaucoup trop d'employés sur le payroll. C'était un problème à régler.

Malgré tout, je continue de croire qu'il s'agissait là d'une occasion d'affaires qu'ils auraient dû saisir.

L'ennui, c'est qu'ils ne voyaient pas ce site comme un média indépendant prometteur, mais comme une bouée pour sauver des emplois.

C'est la mentalité de salarié qui a tué Rue Frontenac. Dommage.