Angle mort

Ce qui se passe au parc

Comment s'est passé mon été? C'est gentil de vous en informer.

Je n'ai pas tellement suivi l'actualité. Quoique l'autre jour, je sois tombé sur LCN. Il y avait un topo sur le propriétaire d'une crémerie qui avait installé devant son commerce une poubelle en forme de cornet. Or, la Ville estimait qu'il s'agissait d'une publicité illégale. Bref, un dossier chaud.

J'ai aussi lu dans le journal que les producteurs de Sesame Street avaient publié un communiqué pour confirmer que Bert et Ernie n'étaient pas homosexuels.

Avec de pareilles nouvelles, c'est clair: l'été n'est pas terminé.

Outre ne pas suivre l'actualité, j'ai surtout traîné ma fille de presque deux ans dans les parcs de Montréal. Il y avait des lustres que je n'avais pas fréquenté ces lieux aussi assidûment. Ma foi, je redécouvre un monde.

Les parcs sont les boot camps de la vie en société. Absolument.

C'est là, par exemple, que notre avenir à tous s'initie à la justice sous sa forme la plus primaire.

Aux glissades, les enfants forment une file en appliquant la règle du "chacun son tour", celle-là même qui nous élève au-dessus des bêtes -lesquelles ne connaissent que la loi du plus fort.

C'est au parc aussi que nos culottes courtes apprennent la notion de propriété, autre pierre d'assise de nos sociétés modernes.

Tout se joue dans le bac à sable.

Voyez-vous, la plupart des enfants se présentent au parc avec tout ce qu'il faut de bébelles pour pelleter, ratisser, tamiser et modeler le sable.

Bien entendu, les enfants étant ce qu'ils sont, ceux-ci n'hésitent pas à piger dans les jouets de leurs contemporains (hautement plus excitants que les leurs).

Et c'est alors que les personnalités se révèlent.

L'enfant propriétaire du seau "emprunté" de crier: "À moi!" Le parent en coulisse d'intervenir (avec un succès souvent mitigé): "Tu prêtes ton seau à ton ami, Mathys-Zacharie?"

Étrangement, j'ai noté que plus un enfant était nanti en matière de jouets, moins il était disposé à les partager.

Aussi n'est-il n'est pas rare de voir un kid régner seul sur son royaume de petits camions, en complète autarcie.

Fort de ses possessions, il n'a besoin de personne pour s'amuser.

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Le sentiment de richesse (matérielle, monétaire) influence la socialisation.

Des chercheurs l'ont démontré il y a quelque temps déjà grâce à des recherches assez révélatrices dans lesquelles on a isolé des volontaires. Puis, on leur a demandé de compléter une sorte de casse-tête.

Or, certains volontaires se prêtaient au jeu de façon bénévole, alors que d'autres étaient rémunérés.

Au cours de l'expérience, il était prévu qu'une personne entre dans l'isoloir et vienne proposer son aide au candidat afin de résoudre son casse-tête.

Eh bien, on a découvert que les participants bénévoles étaient beaucoup plus ouverts à l'aide extérieure. Ils étaient prêts à collaborer avec l'autre. Les candidats rémunérés, quant à eux, étaient beaucoup moins enclins à laisser un étranger se mêler de leurs affaires.

L'argent induisait dans leur cerveau un sentiment d'autosuffisance.

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Retournons au parc.

Quand j'y vais, je n'apporte jamais de jouets à ma fille. Par pure paresse. C'est que l'idée de trimballer une poche de père Noël chaque fois qu'on met le nez dehors m'emballe modérément.

Du coup, si ma fille veut jouer dans le sable, elle n'a d'autre choix que de solliciter la collaboration des autres enfants (dotés de parents moins négligents).

Mon gros fun, c'est de l'observer négocier son coup.

Voici comment elle s'y prend. D'abord, elle identifie visuellement un enfant bien équipé. À distance, elle l'observe, puis tente une approche. Souvent, elle se contente de s'asseoir près de son futur copain. Sans rien faire. Elle apprivoise la bête. L'expérience lui a sans doute enseigné qu'on n'emprunte pas les jouets de quelqu'un sans avoir, au préalable, gagné sa confiance.

Et vous ne me croirez pas, mais deux fois sur trois, ce n'est pas ma fille qui emprunte un jouet. C'est son nouvel ami qui finit par lui en prêter un. Et ensemble, ils jouent.

C'est ainsi qu'en refusant de traîner la panoplie de ma princesse chaque fois qu'elle fait une sortie publique, je la force à se tourner vers les autres pour s'amuser. Et la voilà qui aiguise ses capacités de socialiser, qui découvre les avantages d'être bien entourée.

Et tout ça parce qu'au départ, je suis un père paresseux.

À 21 mois, ma fille n'a pas encore appris à dire "À moi!". Par contre, elle dit "merci" à peu près cent fois par jour. Bon, elle ne m'a pas encore remercié de ne pas lui avoir apporté de jeux au parc.

Ça viendra.