Ce texte fait partie d’une série de chroniques sur les pistes de solution à la crise du financement du théâtre. Lire aussi la chronique de la semaine dernière.
On n’en finit plus de s’enthousiasmer pour Berlin. Pour ses rues, pour ses soirées électriques, pour ses bars et ses restos, mais aussi pour son théâtre, considéré à juste titre comme le plus avant-gardiste du monde entier, et comme celui qui a le plus d’envergure. Au Québec, malgré des moyens minables, il n’est pas rare qu’on s’imagine pouvoir faire un théâtre de si haut niveau, qu’on se projette dans le miraculeux destin théâtral de Berlin. Et dans certains cas, on y arrive presque. Ceux qui, parmi nos créateurs, ont réussi à évoluer en parallèle du système de production trop rapide de nos théâtres institutionnels et qui créent à un rythme plus lent en profitant du soutien de quelques coproducteurs, comme Robert Lepage, Denis Marleau ou Wajdi Mouawad, ont parfois presque réussi à accoter les maîtres allemands.
Mais pour y arriver vraiment, il faudrait des théâtres nationaux, hautement financés. Cela va de soi. Le succès du théâtre allemand et sa réputation internationale enviable reposent sur une conviction que le théâtre est une affaire publique et nationale, et qu’aucun paramètre de production privée ne doit le déterminer.
Or, il y a un autre élément à considérer: le financement du théâtre allemand, et particulièrement berlinois, vient en grande partie des administrations municipales. La confédération ne verse qu’une infime partie des subventions.
Et si Montréal s’en inspirait? Après tout, des idées similaires sont déjà dans l’air. En 2007, Culture Montréal présentait un projet de restructuration de la gouvernance culturelle à Montréal et, sans oser proposer de financer massivement des compagnies culturelles à même le budget du Conseil des arts de Montréal, l’organisme militait en faveur d’une plus grande marge de manœuvre de la part de l’administration municipale. Le Conseil québécois du théâtre croyait aussi qu’il serait bénéfique de consolider la mission du Conseil des arts de Montréal, de lui accorder plus de moyens et de pouvoirs.
Puisque le théâtre, au Québec, est un phénomène profondément inscrit dans l’urbanité, pourquoi ne pas faire œuvre de cohérence en inventant de nouveaux modèles de financement au sein des structures municipales? Au moins pour quelques théâtres, les plus emblématiques de la culture montréalaise, lesquels deviendraient des joyaux urbains, porteurs de l’identité culturelle de la ville et potentiellement hyper-attractifs pour les visiteurs autant que pour la population locale.
Une fois ce modèle repris dans d’autres villes québécoises, on arriverait peut-être même enfin à décentraliser un peu le modèle du théâtre québécois et à voir émerger des institutions dignes de ce nom dans d’autres villes québécoises. Il semble en tout cas que ce soit l’une des forces du système allemand, où la décentralisation est totale et fonctionne à merveille. Le maire Labeaume, à Québec, serait peut-être même partisan d’une telle approche. Imaginez qu’il décide de financer, en plus des productions culturelles à caractère commercial du Cirque du Soleil, un peu de théâtre d’avant-garde. Et que Montréal réplique par la bouche de ses canons, en faisant du TNM un théâtre municipal digne de ce nom. Et que cette saine compétition entre les deux villes provoque une amélioration du niveau de qualité du théâtre, des deux côtés de la 20. Et que Chicoutimi, observant tout ça de loin, décide de se joindre à la saine compétition. Et ainsi de suite.
Cette manière de voir le financement du théâtre, certes utopique au sein d’une population peu nombreuse comme celle du Québec, est du moins en phase avec les préoccupations actuelles de nombreux maires qui se passionnent pour les théories de Richard Florida et Charles Landry sur les «villes créatives». Donnez des moyens aux artistes d’une ville, pensent-ils, faites-en une priorité de développement urbain, et malgré le fait que leur travail ne soit pas rentable à priori, la ville changera de visage et son dynamisme entraînera potentiellement une relance de l’économie.
Il y a de féroces détracteurs de la pensée de Charles Landry, qui la jugent trop optimistes et fondée sur une vision simpliste des mécanismes de croissance, mais il y a néanmoins des exemples concrets de villes pour qui son approche a été salutaire. Leipzig (toujours en Allemagne) a décidé de miser sur son potentiel créatif après la chute du Mur. Et ce fut un succès foudroyant.
On sait que le candidat à la mairie Marcel Côté s’abreuve parfois à ces idées en vogue depuis les années 80. À quelques semaines des élections municipales, il est pertinent d’y réfléchir. Et de questionner nos élus à ce sujet. Évidemment, si la seule raison de financer le théâtre est d’espérer en retour une relance économique, la démarche serait vaine. Il faut que le nouveau modèle s’appuie sur une conviction que les arts définissent la vie urbaine, la constituent et lui permettent de stimulants renouvèlements. Mais qui sait, les administrations municipales, à cause de leur proximité avec la création qui a lieu dans leur ville, sont peut-être plus propices à le croire que les fonctionnaires du Conseil des arts et des lettres du Québec. Alors que Montréal cherche à se réinventer, on peut toujours rêver.
Cher Philippe Couture,
Voilà une perspective très concrète et faisable. Toutefois, le choix de quelques théâtres municipaux comme fer de lance de la grande culture à Montréal se heurtera aux conflits intra-institutionnels du théâtre québécois: pourquoi lui, pourquoi eux ? Je doute, hélas, qu’on puisse arriver à un consensus en cette matière: avez-vous, d’ailleurs, des compagnies (établies de répertoire/de création) à mettre en lice ? Ça serait déjà ça de pris !
On verra bien.
G. David