Lorraine Pintal, directrice artistique du Théâtre du Nouveau Monde depuis 22 ans, vient de se lancer dans la course électorale en affichant les couleurs du PQ dans la circonscription de Verdun. Elle n’a pas beaucoup de chances de gagner dans ce château fort libéral, ce qui explique sans doute qu’elle n’ait pas tout de suite annoncé son départ du théâtre et qu’elle ait préféré prendre un congé sans solde.
Mais, m’a souligné très judicieusement une amie sur Facebook, «rappelons-nous la vague orange. Tout peut arriver dans une élection québécoise avec un électorat si volatile.»
C’est bien vrai. D’autant que Lorraine Pintal, n’en doutons pas, a de vraies qualités de politicienne et de communicatrice. Il est aussi vrai que, nos théâtres étant des structures quasi privées, elle a indéniablement des qualités de gestionnaire. Elle va peut-être réussir à séduire l’électorat de Verdun et, au sein d’un gouvernement péquiste majoritaire, il est clair qu’elle ferait une Ministre de la culture dynamique et pugnace. Au jour 2 de la campagne, on ne peut pas complètement éliminer la perspective d’une victoire.
Si, donc, elle était élue députée, le TNM se mettrait à la recherche d’un nouveau directeur artistique. Dans le milieu théâtral, cette perspective cause une vive agitation. Car le Théâtre du Nouveau Monde suscite l’envie et la critique. En tant que théâtre d’envergure et théâtre de répertoire, il a toujours projeté l’image d’un théâtre de service public. Il n’en a ni le statut ni les moyens financiers, mais on rêve toujours d’y voir naître un théâtre de haut niveau offert à un vaste public, d’un théâtre élitaire pour tous comme celui dont rêvait Antoine Vitez. On voudrait que le TNM soit notre Schaubühne.
Ce n’est pas ce qui s’y produit. Le budget du TNM est non seulement minime, mais il est serré, et sa directrice a réussi à garder le théâtre en bonne santé financière en adhérant sans réserves à la culture du théâtre à abonnés. Le théâtre qui s’y fait est de bonne qualité, il plaît à ses abonnés qui lui demeurent fidèles, mais il prend de moins en moins de risques et ne se soucie plus guère d’avant-garde et de recherche formelle. Les subventions viennent avec une forte exigence de rentabilité et, depuis 22 ans, Lorraine Pintal s’est employée à conserver un niveau de subventionnement acceptable en obéissant de plus en plus aux sirènes du divertissement populaire. Pour cette raison, malgré les contraintes financières du TNM, connues de tous, il se trouve de nombreux détracteurs de Pintal qui rêvent de la voir remplacée par un artiste plus proche de l’expérimentation théâtrale et plus radical dans ses choix artistiques. À tout le moins quelqu’un qui favorisera des approches plus variées et encouragera les vraies relectures des classiques.
22 ans à la tête d’un théâtre de cette envergure, envers lequel on nourrit des aspirations de théâtre national, c’est énorme. Ça ne favorise pas tellement le renouveau et ça encourage la sclérose. Les débats actuels sur les enjeux de succession aux directions artistiques, notamment portés par le Conseil québécois du théâtre, montrent souvent le désir du milieu d’instaurer des mandats à durée déterminée. Nombreux sont ceux qui rêvent à tout le moins d’implanter un mécanisme pour réévaluer les mandats des directions artistiques aux cinq ans. Je suis de cet avis. En attendant, les aspirations politiques de Lorraine Pintal permettent de spéculer sur son éventuel départ et de réfléchir à l’avenir du TNM après l’ère Pintal.
On aura aussi le devoir de réfléchir à son héritage et il faut reconnaître qu’il est énorme. Son successeur devra varier le répertoire joué au TNM et faire appel à des metteurs en scène plus audacieux, mais il aura beau jeu de suivre sa ligne de conduite en ce qui concerne le répertoire québécois. Si jeune, la dramaturgie québécoise a besoin de se développer par émulation avec les dramaturgies contemporaines du monde entier, mais elle doit aussi garder un œil sur son passé et le TNM a beaucoup contribué à garder vivants les textes de Ducharme et Gauvreau, qui ne sont pas particulièrement «grand public» mais qui ont toujours trouvé leur juste place sur la grande scène de la rue Ste-Catherine.
Pintal a aussi accueilli des auteurs contemporains qui ont eu les moyens de leurs ambitions lors de leur passage au TNM: Carole Fréchette, Evelyne de la Chenelière et Wajdi Mouawad, par exemple. Si l’on doit souligner les rénovations des années 1990 et celles à venir, qui sont importantes pour que ce théâtre demeure un lieu d’art et de création à la fine pointe, il faut aussi reconnaître les efforts faits par Lorraine Pintal pour développer des collaborations internationales, notamment avec le Théâtre des Célestins de Lyon. Il en faut davantage. Et ce n’est pas une tâche évidente avec les moyens limités dont le TNM dispose.
Qui pourrait remplacer la directrice artistique si elle était élue députée dans 32 jours? La question brûle toutes les lèvres.
Dans son statut actuel, le TNM ne peut pas devenir du jour au lendemain un théâtre d’avant-garde. Le conseil d’administration risque d’ailleurs de choisir un candidat qui travaillera dans la continuité de Lorraine Pintal, par exemple René-Richard Cyr, qui est par ailleurs une figure populaire connue du public télévisuel.
Mais, à Stéphane Leclair qui me posait la question ce matin sur ICI Radio-Canada Première, j’ai répondu que j’y verrais bien Olivier Kemeid, Alexis Martin ou Evelyne de la Chenelière. Ils sont épris d’innovation scénique mais aussi de culture classique. Ils ont le bagage intellectuel requis: ils connaissent bien la dramaturgie universelle mais n’hésiteraient pas à la triturer et à la soumettre à des nouveaux regards. Leurs connaissances et leurs perspectives sur la société québécoise leur permettraient d’inscrire à merveille le TNM au cœur de la ville et de la province. Je les sais également polyglottes, et Kemeid et Martin ont tous les deux de l’expérience en gestion d’organisme culturel (bien qu’ayant géré des budgets plus modestes). Tous trois sont respectés de leurs pairs et de la critique, de même qu’applaudis régulièrement par les publics les plus exigeants.
Ne seraient-ils pas parfaits?
On se reposera peut-être la question plus sérieusement dans 32 jours.
Je suis abonnée au TNM depuis des années. Et chaque année, dans le choix offert, il se trouve toujours une pièce plus « difficile », moins connue, parfois hermétique, ou expérimentale dans sa mise en scène. Chaque année aussi, une pièce d’un auteur québecois. Là-dessus, je suis en désaccord avec votre analyse de l’héritage de Madame Pintal. Et ce théâtre vit! De grâce, n’en faites pas une autre scène à vocation expérimentale! Nous en avons déjà plusieurs…Je vais au TNM pour le répertoire, pour Shakespeare, Ionesco, autant qu’ Albertine, de Michel Tremblay, qui joue en ce moment. Quant aux successeurs éventuels, je me bornerai à souligner qu’un ou une auteure de théâtre, si réputé soit-il, est avant tout un créateur. Jamais, ou presque, un gestionnaire.