Bords de scène

La culture en campagne électorale: heureusement qu’il y avait le CQT

Nous irons voter lundi. Ce fut certes la campagne la plus inutile et la plus vide de sens que j’ai vécue de ma courte vie d’électeur. Comme la plupart des gens qui aiment profiter de ces moments démocratiques pour débattre de grandes idées, je me suis rapidement désintéressé de ce cirque d’accusations successives et de cette paranoïa identitaire complètement aberrante. C’est peut-être à cause de cette lassitude que je n’ai pas trouvé d’énergie pour dénoncer le mépris des enjeux culturels, qui n’ont absolument trouvé aucune place dans le discours des chefs et pas davantage dans les médias. Silence radio. Je n’en suis pas étonné, mais d’habitude je m’en indigne. Cette fois, j’ai sans doute eu l’impression que j’aurais parlé dans le désert.

Mais il y a eu le Conseil québécois du théâtre et sa campagne de lettres «Si j’étais Ministre de la culture». Chapeau au CQT, un organisme admirablement actif, qui a joué un rôle essentiel dans le débat social sur la culture lors de cette sinistre campagne, même s’il a été finalement peu entendu. Considérées dans leur ensemble, les lettres rédigées par différentes personnalités fournissent un portrait assez juste du chantier qu’il faut mettre en place pour donner à notre scène culturelle les moyens et le rayonnement qu’elle mérite. Un exercice de synthèse très utile, qui fournira d’ailleurs aux défenseurs de notre culture des mots puissants lors de leurs prochaines joutes orales. J’ai personnellement gardé certaines lettres dans mes archives personnelles et je pense y revenir de temps en temps pour m’inspirer.

Il y a ceux qui ont ancré leur lettre dans le cœur du sujet, qui ont cherché par des énoncés larges mais bien dirigés, à exprimer les problèmes fondamentaux auxquels le monde culturel se heurte. C’est le cas du metteur en scène Martin Faucher, qui, avec sa verve habituelle, a souligné le sous-financement et proposé «d’augmenter le budget du Conseil des arts et des lettres du Québec de 50 millions de dollars pour ses programmes réguliers». C’est le nerf de la guerre. Ona beau proposer d’essayer de favoriser davantage le mécénat et la contribution du privé, ces initiatives n’auront pas d’impact sans un financement public fort, propice à donner le coup d’envoi aux créations qui feront ensuite rayonner notre culture et qui engendreront de nombreuses retombées. «Ces nouvelles sommes, ajoute Faucher, ne représentent qu’une goutte dans l’ensemble du budget du gouvernement et serviront à répondre tant aux besoins criants des artistes émergents prometteurs qu’aux artistes au talent confirmé.» Sans lancer de chiffres, Simon Brault propose une refonte similaire : «J’essaierais, écrit-il, de mobiliser l’intelligence et l’imagination du gouvernement, de la société civile et du milieu culturel pour actualiser tous les programmes de financement en arts et culture administrés (MCC, CALQ, SODEC).»

Dans la même catégorie, le rédacteur en chef de Liberté, Pierre Lefebvre, a lancé un appel à un changement de paradigme que tout le monde souhaite : «En devenant ministre de la Culture, je me donnerais comme tâche première de bien faire comprendre à chacun des ministres membre du Conseil, et bien sûr au premier, qu’un lecteur, un spectateur, un auditeur ne sont pas des consommateurs de culture, de la même manière qu’un ami n’est pas un consommateur d’amitié ou un croyant un consommateur de foi.»

Sa parole fait écho à celle, plus concrète, de Dominique Leduc, qui appelle à une révision de la politique culturelle pour la rapprocher des textes fondateurs de cette politique, dans laquelle l’art n’était pas encore appelé «produit culturel» et dans laquelle la diffusion massive de nos œuvres était vraiment favorisée.

Néanmoins, en bonne pragmatique, Leduc sait qu’il faut un peu parler la langue des gestionnaires et elle connaît l’importance de savoir compter. Elle suggère de le faire avec intelligence en «commandant une étude semblable à celle réalisée récemment en France par le ministère de la Culture et le ministère de l’Économie, et qui démontrerait l’apport indiscutable des arts à notre PIB et des artistes au développement de notre société.» Une sacrée bonne idée. Rien de tel n’a jamais été fait et les chiffres pourraient clouer le bec à bien des libertariens qui ont de plus en plus d’influence sur l’opinion publique et qui pensent à tort que la culture n’est qu’une folle dépense.

Où trouver l’argent? Pierre Lefebvre ne mâche pas ses mots: dans les poches des riches. Celui-là doit voter pour Québec Solidaire. Mais il a bien raison. «Je m’acoquinerais, dit-il, avec le ministre des Finances afin de mettre la hache de façon définitive dans les échappatoires fiscales des grandes entreprises, les zones franches, les paradis fiscaux et toutes autres entourloupes ayant pour seules finalités d’affamer l’État et de le rendre vulnérable à la cupidité du privé. On ramènerait aussi le taux d’imposition de ces compagnies-mastodontes-là à celui du début des années 1980, soit environ 38 %. Je m’assurerais ainsi de disposer d’un budget qui a de l’allure. Tous les autres ministères en profiteraient aussi et m’en devraient donc une. Une grosse. À partir de là, j’en mènerais large.»

Mais on peut aussi, ce n’est pas un sacrilège, chercher un peu l’appui du privé et des mécènes. Ce n’est pas une solution miracle, on ne doit pas mettre tous nos espoirs là-dessus, mais il ne faut pas éliminer les efforts en ce sens. C’est ce que pense le journaliste Benoît Dutrizac. Il n’est pas le seul.

Une récurrence dans la plupart des lettres: les Ministères de la Culture et de l’Éducation doivent travailler main dans la main parce que l’intérêt pour la culture se développe en bas âge et que, comme le disait Georges-Émile Lapalme, «une éducation sans culture, c’est juste de la formation». (C’est Pierre Lefebvre qui le souligne). Dans le même mouvement, Lefebvre insiste sur la place que devrait occuper la culture dans les médias. Il est soutenu dans cette déclaration par Mathieu Bock-Côté, qui s’accorde avec lui pour dire que Télé-Québec a besoin d’un budget massif et qu’il faut rouvrir une radio culturelle digne de ce nom. Pas certain que ces deux-là s’entendraient au sujet des contenus à mettre en ondes. Mais c’est un autre débat.

L’autre excellente idée vient de l’animatrice Monique Giroux. Pour le rayonnement de notre culture à l’international, il faut «ouvrir des centres culturels québécois et de référence à New York, Paris, Shanghai et Buenos Aires». Il faut en ouvrir partout, ai-je envie d’ajouter. Pas des délégations générales du Québec qui s’occupent de culture à temps partiel, au milieu d’une pile d’autres dossiers. De véritables instituts culturels à l’image de ceux qu’a ouverts la France dans plusieurs pays européens, ou calqués sur le modèle des instituts culturels allemands, qui font une réelle différence dans la diffusion mondiale de la culture germanophone.

On n’a pas entendu parler de culture pendant cette campagne électorale. Encore faudrait-il que le Ministre de la Culture ait à cœur d’être vu et entendu. «Je profiterais de toutes les tribunes, je ne bouderais aucun média et aucune rencontre publique», écrit Simon Brault.

J’ajouterais, en joignant ma voix à celle de Suzanne Lebeau, qu’il faut que le Ministre fréquente véritablement les manifestations artistiques de toutes sortes et qu’il les connaisse. Il n’y a pas ministre plus invisible et plus taciturne que Maka Kotto. Or, pour que les autres ministères donnent un peu de temps de glace au Ministère de la Culture, il faut quelqu’un qui se soucie de visibilité, qui sait y faire et qui transmet son amour de la Culture en connaissance de cause et avec passion.

Je ne voterai pas PQ à cette élection, mais il faut avouer que pour accomplir cette dernière mission, Lorraine Pintal a l’aplomb nécessaire.

Je vous souhaite à tous un bon passage aux urnes.

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