Bords de scène

Vers une nouvelle politique culturelle

Même s’il y a peu de stabilité au poste de Ministre de la Culture en ces temps troubles pour le gouvernement libéral, un important chantier de réflexion sur la politique culturelle se prépare. C’est un moment important, qu’il ne faut pas négliger même s’il ne soulève pas la passion des foules. En prévision des consultations publiques qui vont débuter la semaine prochaine, voici nos quelques pistes de réflexion sur les arts de la scène.

En 2017, la politique culturelle du Québec aura 25 ans. Mais il ne faut pas tout rénover, loin de là. Adoptée en 1992, elle fait du soutien aux artistes une priorité absolue, de même qu’elle témoigne d’un souci de démocratisation culturelle et insiste sur l’importance de la langue française comme assise culturelle et identitaire. Bref, une politique culturelle à la française (façon Malraux), prônant une «culture élitaire pour tous» (comme le disait Antoine Vitez), et de ce fait soutenue par un organisme gouvernemental qui s’assure d’une forte représentativité culturelle dans l’ensemble de la province et d’un certain rayonnement de la culture québécoise à l’étranger. 

Tout cela constitue le socle sur lequel doivent continuer de s’appuyer les discussions actuelles. Ce sont des acquis à ne pas déconstruire, mais la donne a tout de même changé. Les enjeux de diversité culturelle doivent se frayer un chemin aux côtés de la nécessité de la protection de la langue française; la culture numérique doit maintenant être considérée dans presque toute initiative artistique et plusieurs des institutions dont nous nous sommes dotées arrivent à une étape de transition qui force à remettre en question leurs rôles et leurs missions. Tout cela doit être rebrassé.

Et puisque le Ministère sollicite notre avis, aussi bien le lui donner. La population est notamment invitée à remplir un questionnaire en ligne, lequel n’entre toutefois pas dans les détails. Il y aura possibilité de s’exprimer plus concrètement lors des consultations publiques qui auront lieu dans l’ensemble des régions du Québec du 9 mai au 22 août 2016.

La Ministre de la Culture, Hélène David
La Ministre de la Culture, Hélène David

Encore et toujours le financement public de la culture

Les priorités en arts de la scène ? La question du financement est encore et toujours le nerf de la guerre, alors que les artistes réclament des augmentations de budget au Conseil des arts pour répondre à l’augmentation du nombre de compagnies théâtrales en activité et pour donner à tous de meilleures conditions de pratique. La tendance actuelle est plutôt à l’accroissement du financement privé et aux partenariats avec le monde des affaires: il faudra que le milieu culturel soit présent aux consultations pour témoigner des difficultés qu’ils rencontrent dans cette volonté de financer leur art via le privé. L’expérience concrète montre que l’arrimage avec le milieu des affaires n’est pas toujours aisé, surtout pour les compagnies plus modestes.

Peut-être que les consultations permettront aussi de réorienter le Ministère vers une vision moins « entrepreneuriale » du travail de l’artiste? Nombreux sont ceux, et j’en suis, qui croient que l’obsession de la notion d’« industrie culturelle », qui a beaucoup présidé à la rédaction de l’ancienne politique culturelle, doit être un peu mise de côté. Tout le système de financement des compagnies dotées de conseils d’administration peut-il être remis en question? Peut-on financer plus directement les artistes et les soulager du fardeau administratif de la gestion d’une compagnie? La politique n’ira pas jusqu’à établir de nouvelles structures dans le détail, mais il y a possibilité d’influencer les orientations générales et de tenter, peut-être, de réduire la portée des valeurs entrepreneuriales dans le prochain texte. Enfin, on peut toujours rêver.

En avant la décentralisation

Le Centre culturel du Mont-Jacob, qui abrite le Théâtre de la Rubrique, à Saguenay (Jonquière)
Le Centre culturel du Mont-Jacob, qui abrite le Théâtre de la Rubrique, à Saguenay (Jonquière)

La politique culturelle de 1992 affirmait l’importance d’une offre en arts de la scène dans toutes les régions du Québec : il faudrait maintenant ajouter la nécessité de diversifier cette offre pour qu’elle ne se résume pas à quelques spectacles d’humour. Le Ministère, via ses différents organismes subventionneurs, peut certainement soutenir les diffuseurs en région pour leur permettre d’accueillir des spectacles moins rentables ou plus risqués. Il y a en tout cas un problème important de montréalisation, malgré les voeux pieux de décentralisation qui ont toujours fait partie du paysage. L’une des manières d’y arriver est sans doute de revoir à nouveau la répartition du financement de la culture entre les paliers de gouvernements – peut-être qu’en donnant à cet égard du pouvoir (et des moyens) aux administrations municipales, on se rapprocherait d’une piste de solution. À mettre dans la marmite.

La démocratisation de la culture doit évidemment faire partie des lignes directrices de la nouvelle politique culturelle. En arts de la scène, c’est l’enjeu du renouvellement du public qui est le plus criant. Sur les plus grandes scènes, celles du TNM, de Duceppe ou du Rideau Vert, le public est vieillissant et va bientôt déserter. Des mesures doivent être prises. C’est urgent. Prenons exemple sur les bibliothèques municipales, qui connaissent un succès indéniable parce qu’elles sont gratuites et qu’elles sont bien vivantes, s’étant transformées pour rester dans le coup et suivre un monde du livre en pleine mutation.

En avant le numérique

Les consultations publiques vont accorder une attention soutenue aux enjeux du numérique. C’est la plus grande transformation qu’a vécue le milieu culturel depuis 25 ans : il faut de toute urgence améliorer la présence en ligne des acteurs de nos milieux culturels, soutenir la création de contenus interactifs et les oeuvres en réalité virtuelle (par exemple), mais aussi se montrer plus autoritaires avec les plate-formes de contenu qui diffusent nos oeuvres mais ne respectent pas la fiscalité québécoise et n’ont pas d’implication dans le financement de notre art (même si celui-ci leur est profitable). 

Pas facile de faire exister le théâtre sur le web, en dehors de sa machinerie promotionnelle qui, elle, est bien présente. Il y a tout à construire pour que les oeuvres soient accessibles, pour que les archives du théâtre québécois trouvent un nid sur le web et que, ainsi, elles soient diffusées à un vaste public en dehors des représentations sur scène qui touchent un public restreint. Le web offre un espace inouï que les artistes du spectacle vivant n’ont pas encore assez envahi. En 2016, même si le caractère vivant et sacré de la représentation doit être encore revalorisé, il n’y a pas de raison pour que ne se développent pas en parallèle une architecture web dédiée à laisser des traces de notre théâtre, à le faire exister sous de nouvelles formes en ligne. Doit-on créer de nouvelles plateformes? Les médias, notamment Télé-Québec, font-ils partie de la solution? Bref, il faudra que la politique culturelle aborde cette question d’une manière ou d’une autre – et qu’elle ne se concentre pas uniquement sur les artistes qui oeuvrent directement dans l’interactif et la réalité augmentée (même s’il y aussi urgence de ce côté).

Et va pour la diversité

Un, de et avec Mani Soleymanlou : un spectacle sur l'écartèlement identitaire
Un, de et avec Mani Soleymanlou : un spectacle sur l’écartèlement identitaire

Ces consultations publiques vont aussi assurément se dérouler sous le signe de la diversité culturelle. Comme l’énonce le « cahier de consultation » préparé par le Ministère, il faut se demander comment la politique culturelle peut « contribuer à la promotion et au renforcement du français comme assise de la vie culturelle québécoise » mais aussi « quelles avenues emprunter pour qu’elle puisse mieux refléter la diversité culturelle québécoise et favoriser l’intégration et la participation à la vie culturelle des personnes issues de l’immigration ». La question est importante et va soulever les passions. Le Ministère a aussi prévu de consacrer plusieurs moments de la discussion à la question du développement culturel des nations autochtones. Il est effectivement temps de s’y mettre.

Il ne faudra pas laisser cet exercice se dérouler dans la confidentialité. Même si les médias n’en auront que pour la course à la chefferie du PQ.