L'Opéra de Montréal a-t-il le public qu'il mérite?
Bords de scène

L’Opéra de Montréal a-t-il le public qu’il mérite?

Avertissement : ce texte parle d’opéra à partir de la perspective d’un amoureux de la mise en scène qui a peu de connaissances opératiques pures. Mais je vais tout de même oser y dire que, malgré quelques baisers homosexuels, Les Feluettes était un opéra très conservateur et qu’il faudra bien qu’un jour Montréal ose l’opéra vraiment décoincé. Même si son public d’abonnés y rechigne.

Au lendemain de la représentation des Feluettes à laquelle j’ai assistée, la semaine dernière, j’ai décidé de ne pas publier de critique en bonne et due forme. J’ai longuement hésité, mais j’ai fini par me dire que mon manque d’appétence pour l’opéra avait sûrement biaisé mon regard et que mon manque de compétences en la matière allait desservir mon texte. Partout ailleurs, je lisais l’enthousiasme de mes collègues critiques. « Somptueuse musique », « esthétique forte », « œuvre exigeante », ont-ils écrit.  J’ai pourtant eu l’impression que l’Opéra de Montréal avait raté toutes les belles occasions qu’offrait cette production. Pourquoi, par exemple, opter pour une musique aussi austère et classique alors que, de cette pièce de théâtre qui n’était pas encore un opéra et qui offrait de nombreuses possibilités de lecture, on aurait pu faire quelque chose de bien plus enlevé et bien moins linéaire, à l’image de la fougue de ses jeunes personnages. Pourquoi cette mise en scène finalement assez statique, sans grandes idées sinon une assez éloquente scénographie de barreaux de prison et l’appréciable présence des musiciens sur scène?

Jean-Michel Richer (Comte Vallier de Tilly) et Etienne Dupuis (Simon Doucet) / Crédit: Yves Renaud
Jean-Michel Richer (Comte Vallier de Tilly) et Etienne Dupuis (Simon Doucet) / Crédit: Yves Renaud

J’ai le devoir, en tant que critique, de faire preuve du maximum d’ouverture possible et de laisser la mauvaise foi de côté, mais permettez-moi ici dans ce que je considère davantage comme une chronique d’humeur, de témoigner de l’ennui mortel que j’ai vécu à l’opéra ce soir-là. Or, on aurait pu croire que l’Opéra allait miser sur ce spectacle pour rajeunir son public vieillissant. On se disait qu’une pièce contemporaine comme celle-ci allait permettre au metteur en scène quelques audaces. On se disait que Denoncourt, un brillant directeur d’acteurs et un artiste capable de lectures intelligentes et parfois décapantes, allait profiter du gros budget de l’Opéra pour s’éclater. On se disait que c’était l’effort annuel de démocratisation, que le désir de développer un nouveau public allait s’y faire sentir autrement que sur l’affiche et par la campagne marketing, qu’on allait vivre la démocratisation directement sur scène – que les choses allaient se passer. Je ne sais pas si j’ai raté le train, mais je n’y ai vu qu’un spectacle conventionnel. Et j’ai été jaloux de l’ami JB, qui m’accompagnait et qui s’est empressé de quitter à l’entracte. Comme d’ailleurs les 6 autres trentenaires ou quarantenaires assis sur les sièges les plus proches de moi.

Évidemment, on comprend l’Opéra d’hésiter quand on sait que des abonnés ont crié au loup en apprenant qu’il y aurait un baiser entre deux hommes sur scène. Ceux-là ne seraient sûrement pas prêts non plus à des mises en scène avant-gardistes et à des esthétiques vraiment singulières comme celles que certains opéras européens ont osé mettre à l’affiche, notamment le travail du Polonais Krzysztof Warlikowski ou celui de Christoph Marthaler, le metteur en scène suisse-allemand que l’on vient de voir à Montréal au FTA. Mais il est justement temps que l’Opéra de Montréal, s’il ne veut pas mourir en même temps que ses abonnés, commence à s’adresser à un tout autre public. Il va falloir oser un coup de barre, oser sans doute provoquer la désaffection des plus conservateurs, si l’Opéra veut vraiment se démocratiser et rajeunir ses fidèles.

Cela ne se fera pas sans heurts. En quittant la direction de l’Opéra de Paris en 2009, Gérard Mortier témoignait du conservatisme du public parisien, qui avait hué l’un des spectacles les plus innovants de sa saison 2004-2005. « Cet opéra n’a pas toujours le public qu’il mérite », disait-il dans Le Monde. On pourrait sans doute dire la même chose du public de Montréal, s’il est vrai qu’il ne se montre pas ouvert à quelques nouveautés. Mais encore faudrait-il qu’on ose lui en présenter vraiment, pour vérifier si tel est le cas.

On sait qu’avec un peu de patience, une institution qui prend des décisions artistiques drastiques réussit généralement à remplacer les abonnés déserteurs par un nouveau public. Mais il faut oser accepter des salles moins pleines pendant les premières années de la mutation. L’Opéra n’en a sans doute pas les moyens, forcé par le Conseil des Arts à tenir ses comptes serrés, mais il faut pourtant que quelque chose se passe. Quand il a pris la direction artistique du Théâtre français du Centre national des arts à Ottawa, Wajdi Mouawad a bousculé les habitudes du public et les chiffres ont d’abord été affolants : des abonnés ont effectivement quitté le navire. Mais peu à peu, on a vu de plus en plus de jeunes dans les salles. Des spectacles rares, jamais programmés ailleurs, ont attiré un public parfois venu de loin.

Baisser un peu (beaucoup) le prix des places ne serait pas non plus une mauvaise idée.