Masculin-féminin au FTA
Bords de scène

Masculin-féminin au FTA

Le féminisme s’est réinvité depuis quelques années sur nos scènes. Au FTA, la chorégraphe Manon Oligny en rajoute une couche avec le spectacle Fin de série, exploration d’une féminité aliénée mais aussi combative. À Montréal, on voit moins souvent les hommes questionner leur masculinité – l’époque s’y prête pourtant bien – mais l’artiste flamand Pieter Ampe est de passage en ville avec un spectacle éloquent en la matière. Comptes-rendus.

Ceux qui ont vu Still Standing You au FTA en 2011 se rappellent bien de Pieter Ampe, qui exposait sur scène en duo avec son grand ami Guilherme Garrido une bromance aussi brutale que ludique.  La masculinité, quand elle prend les traits de la virilité stéréotypée comme quand elle se permet des écarts et des nuances, passionne ce danseur flamand qui ose questionner sa mâlitude de toutes les manières possibles. Dans le solo So You Can Feel, il fait de son propre corps un territoire de questionnements sur la masculinité mais surtout sur la masculinité sexualisée, sur le corps de l’homme comme objet de désir ou comme corps désirant. Voilà qui est d’une certaine originalité, surtout qu’il a l’intelligence de ne pas raconter seulement le sexe du point de vue d’un mâle dominant, osant plutôt exposer quelques fragilités.

Crédit: Phile Deprez
Crédit: Phile Deprez

Le spectacle épuise un peu son sujet dans son dernier tiers, alors que, nu et enduit de peinture blanche, Pieter Ampe interagit avec un double écranique pendant de longues minutes, dans une solitude manifeste, avec Nina Simone en fond sonore. Mais on lui pardonne ce manque d’inspiration final vu l’intelligence du reste du spectacle, dans lequel le performeur se déguise pour prendre des poses aguichantes, cherchant à séduire un public complice.

Torse nu, il affine sa posture, cherche l’angle le plus flatteur, tente un look viril et décomplexé, s’allonge finalement en cambrant le dos pour s’offrir aux regards, avant d’oser quelques danses lascives, en affichant une féminité enfouie ou une attitude queer assumée. L’homme d’aujourd’hui est multidimensionnel, comprend-on. Et surtout dans une confusion identitaire qui, toutefois, a des aspects créatifs plutôt excitants. À cause du ludisme de sa proposition et de la manière sans prétention avec laquelle Pieter Ampe développe tout cela, dans une proximité sympathique avec le public, ce spectacle est un must dans le genre.

Egalement à l’affiche du FTA, Fin de série s’intéresse à la féminité en s’inspirant d’un essai de Martine Delvaux sur les « filles en série », ou sur une surconsommation qui affecte l’identité féminine et en fait des images conformistes, répétées à l’infini (entre autres). Le propos du spectacle de Manon Oligny est ainsi plus politique, pour ne pas dire militant, mais il propose un regard intelligent sur la féminité d’aujourd’hui et sur les combats que mène la nouvelle génération de féministes, qui développent une prise de parole allumée et multiperspectiviste.

Crédit: Claudia Chan Tak
Crédit: Claudia Chan Tak

Toutes vêtues pareilles, les danseuses de Fin de série bougent frénétiquement mais dans une certaine « plasticisation » du corps : des corps de poupées qui se meuvent de manière un peu figée, voire maladroite.  On pense aussi à la petite figurine de ballerine qui tourne sur elle-même sur les jouets musicaux d’une autre époque : ce sont des femmes-jouets. Elles seront ensuite femme-nourricières qui donnent le sein, femmes-parade qui saluent béatement la foule, et ainsi de suite. Oligny explore les rôles stéréotypés de la femme, les tournant en dérision ou les transformant pour en faire des gestes mécaniques et aliénés.

Il y a quelque chose d’hyper-caricatural dans cette vision, qui serait dérangeant et trop unilatéral si le spectacle n’arrivait pas à s’en défaire. Heureusement, tout sera rapidement nuancé.

Tout le temps on sent que ces femmes en série ont la conscience d’être regardées, le souci de bien paraître, dans leur œil inquiet et leur posture parfois mal assumée. Doucement, une voix de chanteuse créera des petites interruptions de la sérialité – une individualité qui cherche à se faire entendre, une voix de rébellion qui s’affirmera de plus en plus. Quand la rébellion arrive plus fermement, poings brandis en posture de combat, on pense tout de suite inévitablement aux FEMEN. La sexitude du corps féminin est utilisée comme arme, avec affirmation et panache. Il y a aussi, à d’autres moments, exploration d’un féminisme pop à la Beyonce, avec mouvements lascifs et petits cris naïfs. Et toute l’ambuiguité de cette position féministe est transmise dans ces quelques images.

Le spectacle retourne ensuite à des corps plus aliénés – comme si l’émancipation et le combat s’étaient déjà essoufflés, n’avaient pas pu perdurer. Sans doute une vision réaliste.  Une évocation de la sexualité, qui semble peu joyeuse, happera ensuite les corps, avant qu’une ambiance de foire s’installe. Le corps féminin devient objet d’insolite, de freak-show, emprisonné dans la caricature dans une ambiance foraine dérangeante.

Une danse foisonnante et engagée, qui fait indéniablement réfléchir.

So You Can Feel, jusqu’au 8 juin au Théâtre Prospero
Fin de série, encore une représentation ce soir (6 juin) à l’Agora de la danse
Dans le cadre du Festival TransAmériques (FTA)
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