Renaissance autochtone sur scène : une discussion à poursuivre
Le OFFTA terminait mercredi dernier une édition qui a permis d’ouvrir l’œil sur la scène autochtone montréalaise et canadienne, qui vit une période fertile, notamment à cause de la vitalité de jeunes artistes qui revalorisent leurs traditions mais qui aiment aussi les croiser avec la culture occidentale. Quelque chose se passe.
Dans ma chronique du 25 mai dernier, je me demandais si, « dans les dialogues entre formes théâtrales autochtones et esthétiques occidentales » ne se cacherait pas un « nouveau théâtre audacieux ». Autrement dit, considérant la vitalité actuelle de la scène contemporaine autochtone, qui est en quête d’affirmation, de créativité et de visibilité, il faut rester attentifs aux nouvelles formes qui pourraient émerger sous peu. Je remarquais dans cette même chronique, m’appuyant sur la dernière saison théâtrale, « une génération d’artistes désirant créer le dialogue entre Québécois francophones et Premières Nations et questionner l’identité autochtone. »
Le OFFTA, en collaboration avec la compagnie Onishka et l’artiste Emilie Monnet, s’est montré cette année bien conscient du phénomène et a présenté de nombreux spectacles « autochtones » mais aussi des tables rondes et discussions. Un brassage d’idées qui s’imposait.
Ce qu’on appelle le théâtre autochtone, de toute façon, relève depuis toujours des traditions autochtones et occidentales. Dans un document du Conseil des arts intitulé Comprendre les arts autochtones au Canada est notamment citée la dramaturge Marie Clements, qui suggère que « la forme dʼart ancienne que constitue la narration de contes autochtones peut, dans un certain sens, recontextualiser le théâtre occidental ». « En réalité, le théâtre autochtone sʼefforce de créer une expérience complète pouvant englober de nombreuses disciplines, que ce soit le théâtre, le mouvement, les masques, la danse, le chant, les rituels, les mythes ou les arts multimédias. Cette particularité en soi fait du « théâtre autochtone » une forme dʼart unique et très diversifiée au Canada, dont les racines sont fermement ancrées dans les origines et les pratiques culturelles. Il repose pourtant sur la survie même des peuples autochtones et leur conviction que lʼart réside dans le vivant et entretient une relation directe avec la terre et le témoin. Selon cette approche, rien nʼest déconnecté et cette complétude organique sʼest élargie de manière à inclure la forme de théâtre occidentale à la tradition du conte. »
Les arts autochtones, lit-on aussi dans ce document, s’appuient sur la « vision du monde autochtone », laquelle serait fondée « sur la croyance commune que l’environnement est façonné et créé par des forces vivantes » et sur « une quête de sens dans une recherche de la connaissance métaphysique », par opposition au monde occidental dont la « quête de connaissances est fondée sur le monde physique, explicite, scientifique et objectif ». Ce sont de grandes lignes, des généralités ici énoncées à partir des travaux d’Anne Poonwassie, qu’il faut évidemment nuancer selon les cas, mais qui permettent de commencer à défricher la question.
« Les autochtones peuvent apporter aux praticiens du théâtre occidental une nouvelle compréhension de l’espace », a dit en table ronde Charles Koroneho, l’un des invités du OFFTA venu directement de Nouvelle-Zélande (de la compagnie Te Toki Haruru). «Je parle de l’espace cérémoniel et l’espace cosmologique. Voilà qui devrait être expérimenté au quotidien, dans nos échanges, dans l’éducation mais aussi dans le théâtre, cette idée que nous appartenons à quelque chose de plus grand que nous. »
Dans mes propres expériences de spectateur de théâtre autochtone, c’est cet aspect qui me frappe le plus. C’est bien en puisant dans l’aspect cérémoniel et métaphysique de la culture autochtone que le théâtre, un lieu de rituel profane et un espace de sacré, peut se reconnaître. Certes, la dimension issue de la tradition orale est importante, mais c’est probablement en cherchant à créer de nouveaux espaces de rencontre entre le sacré autochtone et le sacré occidental que le théâtre contemporain autochtone va être le plus fécond. Car dans cette recherche se déploiera le théâtre : à travers un rapport particulier à l’espace, au temps, à l’émotion, à la pensée.
Il faudra en tout cas suivre de près l’évolution de cette scène. En table ronde au OFFTA, l’artiste ontarienne Penny Couchie évoquait l’initiative récente de constituer une liste répertoriant toutes les créations en théâtre contemporain autochtone et en danse au Canada. On y constate une effervescence dans toutes les provinces. Créée dans le cadre d’un programme de création autochtone du Centre national des arts à Ottawa (section anglophone), la liste intitulée « Indigenous Body of Work » a été imaginée comme un premier moyen de rassembler les forces vives. « La liste contient plus de 300 créations autochtones contemporaines et continue de grossir, expliquait Penny Couchie. Ce sont surtout des compagnies d’artistes anglophones du Canada mais elle inclut de plus en plus d’artistes francophones. Ma présence à Montréal est une première étape dans la création de liens avec artistes autochtones francophones. L’idée est de répertorier les performances autochtones sur chacun des territoires (de Vancouver à Montréal en passant par Ottawa) et de créer un espace où ces œuvres puissent se raconter et exister. »
À Montréal, certaines compagnies de théâtre comme Ondinnok sont actives depuis de nombreuses années et connues de tous. Dans le reste du Canada, les célèbres pièces de Tomson Highway, par exemple, ont été graduellement érigées au rang de symbole. Mais il est temps de donner de l’espace à tous les autres, alors qu’une nouvelle génération est particulièrement vivante.
Ouvrons l’œil.