Manifestation de gratitude d’un chroniqueur privilégié
Si vous avez passé trop de temps sur la toile dans les derniers mois, vous avez probablement été témoin de prises de becs entre chroniqueurs, journalistes et commentateurs à propos du projet de trouble.voir et, plus largement, de la mission médiatique du VOIR. Si vous n’avez aucun intérêt précis à la victoire médiatique de telle ou telle personnalité publique, cela vous a probablement laissé un arrière-goût désagréable. Ma théorie, c’est que ça sentait l’ingratitude à plein nez.
Nous avons donc été au centre d’une querelle qu’on pourrait qualifier d’intestine. Intestine, pas dans le sens qu’elle a eu lieu seulement entre des protagonistes liés au VOIR, mais dans le sens qu’elle a mobilisé l’indignation souvent malhabile d’une très petite communauté médiatique québécoise. Le web étant ce qu’il est, les propos ne se sont pas limités aux seuls articles, vidéos et interventions radio: la grande chicane se jouait sur les réseaux sociaux, lassant ainsi les lecteurs fidèles de l’une ou de l’autre plateforme, plutôt découragés de voir leurs penseurs et chroniqueurs s’attaquer sur la place publique (je suis de ceux-ci, hélas).
Bien que la dénonciation et le sens critique aient toute leur place dans toutes les sphères de nos vies, on pouvait observer quelque chose de quasiment obscène dans ce déferlement de haine, d’attaques et de contre-attaques: comme l’auditeur moyen de Kanye West reste indifférent à ses défis concernant la sortie d’une énième paire de souliers chez Nike, nos différends révélaient peut-être quelque chose que nous ignorons: nous sommes privilégiés.
Nous l’ignorons peut-être consciemment, parce que ce privilège est particulièrement précaire pendant cette cruelle période de transition médiatique, mais il y a réellement privilège lorsque nous sommes payés pour exercer notre pensée critique devant public. Il faut parfois sortir d’une conception syndicale du travail et réaliser que notre loyer se paie avec nos idées, bien que nous puissions l’avoir mérité avec nos durs labeurs et nos heures supplémentaires (ainsi que nos contacts, n’est-ce pas).
Combien d’individus rentrent au bureau le lundi avec un sentiment de défaite face à une semaine aliénante annoncée, se forçant de se présenter de neuf à cinq au bureau ou au comptoir dans le seul but de payer des loyers souvent trop chers, de nourrir des enfants, de faire de maigres économies pour pouvoir se payer des petites vacances dans le sud pendant nos trop rares périodes de congé? On m’accusera peut-être de populisme, mais si nous avons l’ambition de parler à un large public, il faut le connaître. Peut-être souhaite-t-il consommer tranquillement tel ou tel contenu, sans vouloir être accusé de voyeur ou d’élitiste, de traître ou d’individu offrant caution morale à une quelconque atrocité?
Je le répète, je suis n00b dans ce web-jeu (et je viens peut-être de perdre quelques lecteurs avec cette phrase): j’ai obtenu cette plateforme après plusieurs années à l’ouvrage, augmentant graduellement ce que je peux maintenant appeler (avec fierté et humilité) un lectorat. J’ose croire que celui-ci s’intéresse davantage à la route ou même la destination finale de ma pensée, plutôt qu’aux nombreux nids-de-poule qui l’habitent inévitablement. Tout est dans la mesure: la prise de position est totalement légitime, l’acharnement, lui, a quelque chose de pathologique et d’obscène. Oui, il faut remettre les pendules à l’heure. Mais avant de faire ça, je suggère qu’on contemple l’horloge longuement: l’heure juste arrivera surement, et nous trouverons peut-être le temps bien beau.
J’implore donc mes alliés excentriques et mes adversaires accidentels à réfléchir quant à leur présence web dans les années à venir: la querelle médiatique peut sembler bien importante et légitime lorsqu’on a le nez dedans, mais elle révèle surtout que nous sommes des bébés gâtés. Et il n’y a rien de pire qu’un bébé gâté qui s’ignore.
Je jouis d’une plateforme dont je suis particulièrement fier, et la période des fêtes me semblait être le moment idéal pour dévoiler cet amour que j’ai pour ce que je fais. Ma première chronique remonte au 27 août 2013, et depuis, vous avez commenté, partagé, critiqué. On m’accusera encore de populisme, mais je vous en remercie. Je pourrai dire, en 2013, que j’ai été lu, et je m’imagine difficilement plus beau privilège.
Illustration: Pony
Et… je dirais même plus, comme ces deux empotés de Dupont et Dupond qui seraient le temps de quelques mots en mode shakespearien: «être ou ne pas être… lu, voilà la question», Monsieur Elfassi.
Au cours des années 1980 et 1990, j’ai donc tenu diverses chroniques régulières dans quelques publications hebdomadaires et mensuelles. Et plus d’un millier de fois j’ai écrit pour être lu. Et plus encore, pour être lu et compris.
Ça peut sembler un peu bête de le mentionner mais j’ai de tout temps constaté qu’il y a des tas de gens qui se contentent d’écrire – quand ce n’est pas au mieux gribouiller une suite de mots mal assortis (en plus d’être lamentablement vêtus). Comme si par la suite être lu ou non n’importait aucunement. Ni le moindrement d’être compris.
Tant que vous ferez l’effort de rédiger des propos aptes à susciter l’intérêt d’un lectorat curieux, que ces propos seront bien écrits et viseront à être aussi compréhensibles que possible, vous pourrez continuer année après année à remercier, Monsieur Elfassi. Peu importe le cadre médiatique qui pourrait prévaloir.
Car vous serez lu. Et compris. Et apprécié.