Je réponds rarement à mes collègues, soient-ils blogueurs ou chroniqueurs ou critiques. Eux-mêmes ont généralement la délicatesse de ne pas se répandre sur mon cas, même si j’ai souvent le sentiment qu’ils m’épargnent à cause de ma réputation de pitbull vengeur. C’est du moins ce que laissent entendre ces «hon, mais vous êtes gentil» stupéfaits de la part d’inconnus que je rencontre et qui avaient imaginé chez moi, en me lisant, quelque babine frémissante avec de la salive qui mousse aux commissures.
Sachez donc que c’est pas vrai, je ne mords presque pas. Méfiez-vous plutôt de ma blonde juste avant l’heure des repas. Elle est toute petite, mais vraiment pas commode quand elle a faim.
Donc oui, en général, je suis gentil. Et je ne réponds pas à mes collègues. Permettez que je fasse une exception pour au moins un des deux?
Jérôme Lussier, qui tient le blogue Brasse-camarade chez nous, est un peu notre Yves Boisvert: il est la voix de la raison. C’est un compliment que je lui fais là, parce que je sens chez ces deux-là quelques affinités et le souci de baser leurs opinions sur des faits en béton. Pour l’un comme pour l’autre, donc, quand je ne suis pas d’accord, il reste toujours un respect devant l’éloquence et la structure solide de leurs arguments.
Mais Jérôme… Tu permets que je t’appelle Jérôme même si on ne se connaît pas vraiment? Quand tu dis que d’arraisonner les carrés rouges pendant le Grand Prix était la seule chose à faire, et que tu fais une différence entre le profilage racial et ce profilage politique, on n’est plus dans la raison. Dans le gros bon sens, alors? Dans l’inévitable pour assurer la sécurité de milliers de personnes? Voilà de bien piètres justificatifs permettant de piler sur certains principes et d’ainsi mettre le pied sur une pente terriblement savonneuse.
J’ai lu un million de choses sur la dernière fin de semaine à Montréal. J’en ai entendu autant. Admettons que tout ce que j’ai lu sur des blogues et sur Facebook est faux. Disons que la fille qui s’est fait arrêter dans le métro parce qu’elle lisait 1984, c’est pas vrai. Disons que l’enfant qui s’est fait confisquer son sac d’école, c’est n’importe quoi. Supposons que cette autre fille arrêtée lors d’un pique-nique pour avoir posé une question à des gens arborant le carré rouge, c’est une invention. Anyway, je ne peux pas vérifier tout ça, je n’admets donc pas ces histoires comme des faits.
Mais il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin. Parce que c’est un fait avéré que la police a procédé à des arrestations préventives. On peut aussi convenir que le traitement subi par les journalistes du Devoir qui portaient le carré rouge est authentique lui aussi. Sans parler de nombreuses autres histoires du même genre, documentées, corroborées par la police.
Il fallait assurer la sécurité des personnes assistant au Grand Prix, dis-tu, Jérôme?
Il fallait surtout protéger la réputation de Montréal. Parce que soyons réalistes, jusqu’à maintenant, des vitrines ont été fracassées, des voitures vandalisées, du bicarbonate de soude envoyé à des politiciens et des médias; bref, à quelques exceptions près quand ça s’est mis à barder sur les campus, les seuls civils à avoir physiquement subi les manifs jusqu’à maintenant sont ceux qui ont été matraqués par la police.
Mais il ne fallait surtout pas qu’un acte de sabotage vienne ternir les festivités, alors on n’a couru aucun risque. La liberté se brade si facilement tandis que l’image de marque d’une ville est si difficile à bâtir…
J’ironise, cher confrère, tu l’auras compris. Et je le redis: je te considère comme un commentateur de l’équilibre. Ce texte que tu as écrit ne recèle aucune provocation. Au contraire. Je te vois tenter de prendre la mesure des choses, de justifier les positions de tout le monde. Mais à force de nuance excessive, on risque parfois d’accepter l’inacceptable.
Parce que dans cette logique du «il n’y a rien d’autre à faire que de piler sur les droits fondamentaux pour assurer la sécurité des gens», il y a aussi tout ce qui pue dans notre système, il y a la victoire de la petite politique, de l’électoralisme, du divertissement et de l’argent, il y a aussi tout ce qu’il faut pour exciter les mouvements les plus radicaux, pour antagoniser les positions, pour donner raison aux extrémistes et aux théoriciens du complot. Des gens qui, comme tu le soulignes d’ailleurs, n’auraient certainement pas porté de carré rouge si c’était pour commettre quelque acte de flamboyante dissidence.
Alors qui a-t-on brimé? Qui a-t-on arrêté pour avoir affiché leurs opinions? Des citoyens pacifiques.
Je lis ce matin des avocats qui dénoncent ce profilage et les arrestations préventives. Ils appuient leurs positions sur la Charte, sur les jugements rendus en cour: «Les tribunaux disent: nous avons besoin de nous sentir en sécurité, mais avant tout d’être libres» (Marie-Ève Sylvestre, professeure, section de droit civil, Université d’Ottawa, dans Le Devoir du 12 juin).
C’est assez clair, non? Nous sommes en train de marchander la liberté pour un peu de quiétude.
Et vois-tu, Jérôme, il n’y a aucun bon sens là-dedans. Ou alors il est cosmétique, drapé dans l’économie, le tourisme, la sécurité. Sauf que jamais, sous aucune circonstance, des policiers ne peuvent arrêter les gens parce qu’ils n’ont pas le bon symbole agrafé à la poitrine. Pas ici. Pas dans ce pays qui se targue d’aller en Afghanistan pour exporter la démocratie et la liberté.
Sinon, on arrête où? Où elle est, la ligne? Peut-on encore porter un t-shirt du Che même si c’est une grave faute de goût? On laisse les flics décider? Ces mêmes flics qui ont profité qu’un jeune suspecté de grabuge se rendait aux funérailles de sa sœur pour le trouver et l’arrêter? Ces mêmes flics qui jouent de la matraque en exultant de bonheur devant les caméras?
L’autre jour, j’ai soupé avec une prof de cégep et sa fille de 14 ans. La mère, la quarantaine, portait un carré rouge. Deux gars de mon âge l’ont croisée rue Saint-Jean en lui chantonnant, comme une ritournelle: «Un carré rouge, ça pue.»
Essentiellement, c’est aussi ce qu’a dit le service de police de Montréal en fin de semaine: vous puez, et cela nous indispose au point de suspendre vos droits. Et ça, sous aucun prétexte, on ne peut le cautionner. À moins d’être ministre de la Culture, évidemment.
Sauf que, justement, l’argumentation de M. Lussier est en béton solide. Comme vous ne semblez pas comprendre, je vais vous expliquer : on ne peut pas changer la couleur de sa peau, et donc on ne peut pas éviter le profilage racial. On peut toutefois retirer son carré rouge. Si on choisit de ne pas le faire, c’est qu’on se présente à un événement (en l’occurrence, le Grand Prix) pour foutre la merde, ne serait-ce qu’au sens symbolique. Donc : si on se présente avec un carré rouge à un événement menacé par une association qui revendique le port du carré rouge, c’est qu’on est là pour afficher son adhésion au mouvement, et donc qu’on est là pour perturber (même pacifiquement) l’événement. Si on se présente à l’événement avec un carré rouge ET un billet pour l’événement, pas de problème. Autrement, je trouve tout à fait normal et rationnel d’exclure l’accès au site. Franchement, vous connaissez beaucoup de gens qui vont « profiter du beau temps » et « flâner » à l’Île-Ste-Hélène à côté d’une course bruyante?? Voilà la différence. Élémentaire, mon cher Desjardins.
Par ailleurs, les mesures de sécurité étaient semblables à celles appliquées dans un aéroport, où l’on fouille autant les enfants que les personnes âgées en fauteuil roulant. De même, beaucoup de personnes ont été fouillées ce jour-là (où plutôt, leur sac à dos), y compris des enfants et des vieillards et des gens portant le carré rouge. Pareil pour tout le monde…. Difficile à supporter pour des gens qui cherchent à se distinguer et à définir leur génération (dont je fais partie) à coup de généralisations et de comparaisons avec des régimes totalitaires dont ils ne connaissent sans doute pas l’ampleur – immaturité? Manque d’éducation? Sans doute un peu des deux. En tout cas, lorsque les femmes du Chili (et plus particulièrement Santiago) tapaient sur leurs casseroles sous Allende, c’est parce qu’elles avaient FAIM. ici, je vois des obèses tous les jours taper sur des casseroles parce qu’ils croient vivre dans une dictature. On devrait les envoyer faire un petit tour en Syrie, au Mali ou ailleurs pour les aider à comprendre.
Je comprends que les gens portant un carré rouge cherchent à se distinguer, un peu à la façon des « hispters », en portant ce symbole qui représente les bobos bien-pensants et sympathiques, écolos, féministes, et j’en passe. Mais ils doivent aussi comprendre que cette « différence » affichée et aussi la marque de l’appartenance à un mouvement qui est LOIN d’être pacifique, malgré tout ce que l’on voudra dire. Pour 9 gentils carrés rouges, il y en a 1 méchant. Ben oui, les 9 autres doivent assumer ce choix « politique » (ou plutôt idéologique, de tendance, de mode) et accepter de se faire fouiller ou regarder de travers. S’ils ne supportent pas cette « différence » de traitement par rapport à ceux qui ne portent pas le carré rouge, ils n’ont qu’à l’enlever. Par contre, une personne appartenant à un groupe ethnique autre que « blanc » ne PEUT PAS changer la couleur de sa peau ou les autres attributs qui affichent sa différence.
Et un dernier mot sur ces soit-disant féministes qui nous empoisonnent l’esprit depuis quelques semaines en prétendant que le Grand Prix est un événement dégradant pour les femmes : non, la seule chose qui rabaisse la femme, c’est de lui retirer LE CHOIX. Donc, une mère qui ne veut pas allaiter, une femme qui se prostitue de plein gré et en toute connaissance de cause, une « pitoune » qui à moitié dénudée qui parade devant une voiture de sport… Toutes ces femmes ont le DROIT de faire ces choix et, qu’on accepte ou non ces choix, elles sont LIBRES de le faire. Le VRAI FÉMINISME, c’est d’accepter les femmes dans toutes leurs différences et dans tous les choix qu’elles font de plein gré. Qu’elles soient poilues ou épilées, grano ou « liftée », nullipare ou mère de dix enfants, danseuse nue ou avocate… Toutes ces femmes ont les mêmes droits et personne, pas même une jeune féministe de dix-huit ans bien-pensante qui estime que tout le monde devrait vivre et agir comme elle, ne peut lui retirer ce choix. Que c’est beau de clamer savoir ce qui est « bon » pour la femme, que c’est gentil… que c’est autoritaire. Que c’est paternaliste. Personne ne peut leur dire comment s’habiller, quels choix de vie faire. PERSONNE. Ceux et celles qui le font, se trompent complètement.
Voilà ce que je pense, et je ne suis pas la seule.
Gros bon sens
(La majorité silencieuse qui commence à en avoir marre de garder le silence)
« On peut toutefois retirer son carré rouge. Si on choisit de ne pas le faire, c’est qu’on se présente à un événement (en l’occurrence, le Grand Prix) pour foutre la merde, ne serait-ce qu’au sens symbolique. Donc : si on se présente avec un carré rouge à un événement menacé par une association qui revendique le port du carré rouge, c’est qu’on est là pour afficher son adhésion au mouvement, et donc qu’on est là pour perturber (même pacifiquement) l’événement. Si on se présente à l’événement avec un carré rouge ET un billet pour l’événement, pas de problème. Autrement, je trouve tout à fait normal et rationnel d’exclure l’accès au site. »
Si par perturber on entend « être présent et faire du bruit », pourquoi ne pas laisser faire ? et puis si tu trouves normal et rationnel d’exclure l’accès au site, comment expliquer les violences INUTILES qui ont été perpétrées par la police ? pourquoi interdire l’accès à la totalité du réseau de métro ? pourquoi tant d’intransigeance ? Les rouges ne sont pas des terroristes qui vont se faire sauter dans la foule de touristes qui savent rien de ce qui se passe ici ! Ma question c’est : si le but, c’est juste de pas laisser d’intrus aller sur la piste, pourquoi tant faire chier les gens ?
Quant aux revendications féministes par rapport au Grand Prix… ben en fait, j’ai pas été très attentif à ça, mais accordons-leur le bénéfice du doute… Peut-être en avaient-elles que contre les symboles de servitude féminine et contre les putes de luxe…
« Difficile à supporter pour des gens qui cherchent à se distinguer et à définir leur génération (dont je fais partie) à coup de généralisations et de comparaisons avec des régimes totalitaires dont ils ne connaissent sans doute pas l’ampleur – immaturité? Manque d’éducation? Sans doute un peu des deux. En tout cas, lorsque les femmes du Chili (et plus particulièrement Santiago) tapaient sur leurs casseroles sous Allende, c’est parce qu’elles avaient FAIM. ici, je vois des obèses tous les jours taper sur des casseroles parce qu’ils croient vivre dans une dictature. »
Bon, c’est vrai que les gens se laissent facilement aller à l’exagération, mais ça ne dérange personne. C’est possible qu’ils ne connaissent pas l’ampleur des régimes totalitaires. Par contre, il est tout à fait légitime se s’inquiéter que nos gouvernements prennent une direction autoritaire, et que l’État devienne toujours un peu plus policier. On peut bien exagérer en le disant, mais je pense que cette mauvaise tangente est un fait avéré.
« la marque de l’appartenance à un mouvement qui est LOIN d’être pacifique »
Je ne peux pas croire qu’on puisse dire que ce n’est pas un mouvement pacifiste. Bien sûr, il y a des gens qui sont antipacifistes, mais sont-ils l’essence de ce mouvement, sont-ils représentatifs du quotidien ? Car il y en a à tous les jours, des manifs, et il n’arrive pas souvent que ça soit autrement que pacifique. À moins que ce soit votre définition de pacifiste qui fasse défaut, auquel cas n’importe qui serait un terroriste en puissance à cause de votre peur de tout ce qui est « agité ». Même avec cette lunette, nous aurions les « terroristes » les plus gentils du monde ! Ils ne font que casser des vitres, qui ne souffrent pas, ou mettre des fumigènes dans le métro, ce qui ne fait de mal à personne non plus.
Tout à fait d’accord.
Le gouvernement Charest et l’administration Tremblay ont abdiqué leurs responsabilités au profit des policiers.
Quand les pouvoirs publics s’en remettent entièrement aux forces de l’ordre pour régler des conflits sociaux, on n’est pas loin de l’État policier.
Effectivement !
« Le gouvernement Charest et l’administration Tremblay ont abdiqué leurs responsabilités au profit des policiers. »
Je pense que c’est pire: Ils n’ont pas abdiqué, ils ont instrumentalisé la police.
Ce n’est pas juste laisser la bride sur le cou aux services de police, c’est carrément leur donner la « mission » d’intimider les opposants.
D’ailleurs la tactique a fonctionné: On ne voit presque plus de carrés rouges à Montréal.
Faites l’expérience. Que vous soyez ou non en faveur des étudiants dans le conflit qui les opposent aux recteurs, arborez le carré rouge dans le métro et observer les regardes que vous récolter. Deux types: haine (« maudits casseurs ») et surprise (« quoi il arbore encore le carré rouge malgré les risques (d’arrestation ou d,être identifié à « la violence »).
Vous êtes très poli monsieur Desjardins quand vous catalogué Jérôme Lussier de « commentateur de l’équilibre « car je ne vois pas du tout ce « commentateur « de la même façon que vous. Plutôt que de comparer Lussier à Boisvert je le classe plutôt dans la relève des Martineau, Duhaime, Dutrizac et autres apôtres du gros bon sens démagogique.
Lire Lussier c’est comme écoutez Lulu Bouchard nous dire que les québécois sont des paresseux et des sans cœur ou quand il essai de nous vendre l’industrie du gaz de schiste en nous là faisant passer pour un partenaire économique et sociale pour l’avenir du Québec. Lire Lussier c’est s’ouvrir au discours de la loi et l’ordre, du gros bon sens et du merveilleux sens des responsabilités que nos conservateurs évangéliques (et économique ?) du gouvernement canadien tentent de nous insérer dans le cerveau quotidiennement. Les mêmes d’ailleurs qui compulsent sur l’achat de F35 a coup de dizaine de milliards, qui vargent sur les chômeurs canadiens et québécois et qui subventionnent a mêmes nos taxes des pétrolières qui nous volent jour après jour.
Lire Lussier c’est nous laisser endormir par la petite droite sans vraiment que celui-ci étale ses couleurs politique et idéologique se servant plutôt du discours redondent et manipulateur du foutu « gros bon sens « discours qui me fatigue de plus en plus !
Utiliser le « gros bon sens « a toute les sauces c’est comme le fameux « vous dites tout haut ce que la majorité pense tout bas « , argument populiste et bas de gamme évidemment
tu n’as pas saisi l’ironie, réjean…
si david aujourd’hui investit une chronique pour démonter les arguments de jérome, c’est que ce dernier a poussé la démagogie trop loin à son gout.
et comme jérome est assez constant et prend systématiquement position en faveur du parti libéral, de l’ordre, du canada et autres mensonges, imagine la sincérité de david en surnommant jérome « la voix de la raison »…!!!