Du haut de la King

Le fou du village

«I wish this summer / was like last summer», hurle dans mes oreilles Paul Saulnier, le mastodonte-chanteur du duo canadien PS I Love You, et je marche rue Wellington, direction stand à taxis. Je reviens d’un concert au Granada, du cinoche ou d’une microbrasserie. Goûtez cette merveilleuse soirée comme une autre à Sherbrooke: des adolescentes pépient devant la pizzeria à 1$, un chansonnier se dépatouille sans doute avec le classique d’Eric Clapton qu’un client sur-enthousiaste vient de lui réclamer sur une terrasse bondée, des foodies en goguette sortent des restaurants la panse pleine.

C’est un bourdonnement urbain qui, si vous lui accordez l’attention qu’il réclame, se décomposera en des milliers de paroles distinctes. Alors là, vous entendrez les Estriens rêver à l’été de toutes les folies qui s’étale devant eux. Ça parlera de road trips à l’improviste, de fêtes du lac, de grandes bouffes jusqu’à l’aurore.

Mais moi, pour bien isoler chacune de ces voix, je dois d’abord faire taire Paul-le-mélancolique qui a noyauté mon esprit avec son souhait que cet été soit à l’image du précédent, un tyrannique ver d’oreille. «I wish this summer / was like last summer», répète-t-il en boucle entre mes deux oreilles, bien après que j’ai éteint mon iPod.

Poussé dans mes derniers retranchements, je n’ai d’autre choix que de lui répliquer, à voix haute, que l’été qui se profile à l’horizon est l’été de tous les possibles. «Reviens-en, Paul, de l’été dernier», que je vocifère dans le vide face aux mines ahuries des passants qui m’élisent dare-dare nouveau fou du village, avant que ma parole ne se transforme en une logorrhée d’où sourdent les mots «Lisa LeBlanc à Sherblues», «lackofsleep au Shazam Fest», «Concerts de la Cité», «Kid Koala au Festival Owl’s Head». À l’humeur lugubre de Saulnier, j’oppose cet aperçu confus, quoique résolu, de mon agenda estival. Des concerts qui, je le sais, me donneront la grisante impression d’être en vie.

Calmé, je m’engouffre dans un taxi. Sans se retourner, le chauffeur lève l’index: «Attends deux secondes.» Dépliée sur son volant repose une récente édition de Voir Estrie. «C’est triste que ce soit sa dernière chronique, il était bien ce mec», qu’il finit par me lancer en refermant le journal, avant de mettre le moteur en marche. Le mec dont il parle, c’est Matthieu Petit, mon ex-rédacteur en chef, un ami à qui je dois tant. Il est encore bien ce mec, me dis-je à part moi. J’irai, je l’espère, voir quelques concerts avec lui cet été.