Avant d’être une salle du Théâtre Granada, Sylvio Lacharité composait de la musique classique et dirigeait des orchestres (il a notamment fondé l’Orchestre symphonique de Sherbrooke). Sur une photo datant de 1949, Lacharité, la mi-trentaine, prend la pose en compagnie de quelques demoiselles distinguées et d’une couple de ses chums afin d’immortaliser l’inauguration du Festival de la jeunesse, un autre de ses bébés. D’après ce que j’ai compris en visitant l’exposition En avant la musique! à la Société d’histoire de Sherbrooke où la photo trône ces jours-ci, l’événement serait une sorte d’ancêtre un peu plus guindé du Festival Sherbrooklyn, la commandite de bière en moins et la queue-de-pie en plus (Internet se fait avare d’informations sur le festival, sa page MySpace n’ayant malheureusement pas été mise à jour depuis 1951).
Perdu dans mes divagations, j’ai écoulé quelques longues minutes à fouiller le regard énigmatique de cette élégante fille à la droite de Lacharité. Était-elle gonflée d’espoir et d’appréhension à l’approche de ce festival où défileraient tous les meilleurs orchestres de Queen City? Angoissait-elle à l’idée de devoir choisir sa tenue pour le soir du premier concert? S’autoriserait-elle à s’enivrer de champagne ou conserverait-elle le masque altier de la femme de société? Trouvait-elle aussi ridiculement beau que moi ce nom de festival en forme de «Tasse-toi mononcle!»? Qu’est-ce qu’elle était belle cette époque qui conjuguait à tous les temps ce mot – jeunesse, jeunesse, jeunesse!
Présenté jusqu’au 28 octobre, En avant la musique! retrace la vie musicale de la Reine, des mélodies sacrées arrachées à l’orgue des églises jusqu’aux accords plaqués par Vincent Vallières sur sa guitare électrique. Je me serai arrêté en chemin, par l’entremise de divers artefacts, au party d’inauguration du Festival de la jeunesse, mais aussi dans les studios de CHLT, plaque tournante du yéyé, et par le dernier étage du New Sherbrooke Hotel, où s’invitaient parfois Louis Armstrong et ses musiciens (on le voit arborer sur une magnifique photo ce large sourire qui finirait par le définir dans l’inconscient collectif).
Entre les postes d’écoute, les instruments d’époque et les photos issues de l’imposante collection de la Société, j’ai passé un bon moment à feuilleter des coupures de presse d’éditions d’antan de La Tribune. Trésor glané: un entrefilet rendant compte d’un spectacle de Ti-Blanc Richard et ses joyeux copains (Boubou, le violoncelliste, Mignonne, la plus mignonne des diseuses fantaisistes, et Armand, chanteur de charme et guitariste) au Sanatorium Saint-François. Beau contrat!
Une intéressante expo à laquelle j’aurais tout de même ajouté une rallonge alternative, ami de l’underground que je suis. J’ai l’intime conviction que nous serions plusieurs à vouloir payer 5$ pour voir, accrochés dans un musée, les Ray-Ban que Richard D’Anjou arbore sur la couverture du premier album de Too Many Cooks, le poster du mythique concert dans les studios de CFLX du groupe screamo culte One Eyed God Prophecy ou le complet dans lequel Michel Alario se brassait furieusement le bonbon avec Les Macchabées.