Du haut de la King

Un vendredi soir avec Laura ou comment parler de Traces sans en parler tant que ça

«Comment ça, t’es pas allé voir Omaterra?» C’est mon amie, et conscience morale autoproclamée, Laura, qui parle (en fait, elle crie). «T’as pas passé les deux dernières années à dire à qui voulait l’entendre, et à qui ne voulait pas l’entendre, qu’Omaterra c’était une mauvaise idée, que la promo débordait de jeux de mots abrutissants, que ce n’était pas le produit d’appel dont Sherbrooke avait besoin, en mimant un maudit signe de guillemets dans les airs chaque fois que tu prononces les mots “produit d’appel”?»

Quelque part dans un stationnement de la rue Dufferin à Sherbrooke, acculé au pied du mur, j’ai dû avouer à Laura l’inavouable: je n’ai pas vu, ni l’an dernier, ni l’année d’avant, Omaterra (le grand spectacle de l’eau). Faudrait-il que je m’empêche de pérorer au sujet des spectacles/livres/disques que je n’ai pas vus/lus/entendus? Laura, c’est mon passe-temps favori, j’implore ton indulgence. «L’affaire là, c’est que t’es journaliste culturel!» argue-t-elle. J’ai beau lui expliquer que je n’ai pas écrit de critique d’Omaterra (pour tout dire, j’ai assisté à la conférence de presse et j’en ai eu assez), que seuls mes proches amis (et quelques victimes collatérales, d’accord) ont eu l’honneur d’être gratifiés de mes réquisitoires imbibés de mauvaise foi, rien n’y faisait. Laura boudait, et a boudé en marchant les mains bien enfoncées dans les poches de son sarouel rouge, jusqu’à la billetterie de la place Nikitotek, où nous allions ce soir-là assister à Traces, spectacle de cirque successeur d’Omaterra.

«C’est vendredi, come on, on va avoir du fun!» Là, c’est moi qui exhorte Laura à dénouer sa moue et entonne, parce que l’adversité appelle les grandes chansons, le refrain de Friday (immortelle ritournelle de Rebecca Black). «It’s Friday, Friday, gotta get down on Friday». Laura finit par craquer un sourire. Mission accomplie.

J’ai donc assisté à Traces des 7 doigts de la main, avec mon amie Laura, une fille qui se laisse rarement impressionner (c’est ma Marjo à moi) et qui, pourtant, a poussé des masses de «oh!» et de «ah!». J’en aurais fait autant si ce n’était de cette incurable fausse pudeur virile. Nous nous étions préparés toute la semaine à trouver ça bon; nous avions bien écouté les médias régionaux qui relayaient le succès du spectacle à New York (ouf… j’ai failli écrire «se gargarisaient»), mais n’avons heureusement pas eu besoin d’étaler nos talents d’acteurs.

Sérieusement, c’était vraiment bon (surtout le numéro de mâts chinois avec Talk Show Host de Radiohead en trame sonore). Je serais tombé en amour avec l’acrobate native de Magog, Valérie Benoît-Charbonneau (23 printemps), si Laura ne m’avait pas chuchoté dans l’oreille à plusieurs reprises, en surarticulant: «Tombe pas en amour avec l’acrobate de Magog», le pointu de son coude vicieusement enfoncé dans mes côtes. «Tombe pas en amour avec l’acrobate, j’ai dit.»

Maudit que c’est beau la place Nikitotek, qu’on se répétait Laura et moi, debout à applaudir à tout rompre à la fin de Traces. Faudrait qu’il y ait plus de concerts ici. J’étais très content d’apprendre, en consultant un dépliant distribué à la sortie, qu’on y présentera bientôt un autre spectacle de cirque, le vendredi 10 août: 70’s de Sylvain Cossette.