Le téléphone sonne dans le salon de Madame S. C’est le Parti québécois en personne qui appelle pour s’enquérir de ses intentions de vote. «Je n’ai aucune gêne à vous dire que je vais voter pour Québec solidaire», que je l’entends annoncer fièrement depuis la cuisine où je suis assis. Sur la table devant moi sont disposées différentes coupures de journaux, des caricatures, des fiches d’adhésion au parti de Françoise David et Amir Khadir. Sur le comptoir – c’est la première chose que j’ai remarquée en entrant – repose un gros plat de croustade aux fraises. Un chat tricote entre les pattes de la dizaine de petites chaises qui attendent les femmes que Madame S. a conviées à une assemblée de cuisine avec Christian Bibeau, candidat solidaire dans Sherbrooke. Je dis au chat: pousse-toi espèce de, Pierre Foglia, c’est dans un autre journal.
Madame D. est la première à franchir sur des béquilles la porte du trois et demi de la rue Larocque, suivie de Mademoiselle L., de Mademoiselle D. et de Madame M. Elles sont enseignante, médecin de famille, étudiante en soins infirmiers, éducatrice en garderie sans emploi et toutes amies de Madame S., une militante de la base comme il ne s’en fait plus, le genre de femme retorse qui préparera une croustade aux fraises pour gagner des votes, le genre de femme qui nous remettra bientôt des polycopies de textes d’opinion battant en brèche la notion de vote stratégique avant de nous dire sur ce ton autoritaire et bienveillant qu’ont les femmes qui ont vu neiger: «Je veux que vous lisiez ça en rentrant à la maison.» Le candidat chouchou de Madame S. arrive suivi de son attaché politique, Antoni Daigle, qui trimballe un six-pack de Tremblay. Madame S.: «Mon beau Antoni, avoir su j’en aurais acheté de la bière!»
Et c’était parti. Bibeau, en sandales et chemise orange, s’est assis dans la petite cuisine de Madame S. et a épluché point par point la plate-forme de QS devant cette belle dizaine de femmes indécises pour qui la politique a autant à voir avec les difficultés d’apprentissage de leurs ados et les faibles montants qu’elles prévoient recevoir de la Régie des rentes qu’avec la privatisation rampante du système de santé et la grande braderie de nos ressources naturelles. Madame M. a talonné Bibeau sur le projet de revenu minimum garanti si cher à QS avec une assez touchante pugnacité, comme si QS avait réellement des chances d’être élu. Ça brassait des vraies idées, ce qu’avaient dédaigneusement refusé de faire les chefs le soir d’avant au débat télévisé.
J’ai profité de la pause collation pour descendre de mon nuage et aborder avec Christian l’occasion historique qui se présente aux Sherbrookois de donner une leçon d’humilité au premier ministre le plus arrogant du Québec moderne. Bibeau sourit comme je sourirais si vous m’annonciez que les Rolling Stones vont jouer demain au centre-ville quand je prononce les mots «occasion historique». Coudonc, comptes-tu voter stratégique, Christian? Non, autrement que sur la question nationale, le Parti libéral et le Parti québécois demeurent interchangeables, qu’il me répond.
Et je suis rentré chez moi encore plus mêlé qu’avant en me disant qu’elle serait irrésistible la révolution solidaire si elle goûtait aussi sucré que la croustade aux fraises de Madame S.