Première confession honteuse: je n’avais jamais assisté à une soirée de slam avant jeudi dernier. Seconde confession honteuse: je ne m’étais pas pour autant empêché de railler l’amour éperdu de l’allitération sur lequel repose l’art poétique de la poignée de slameurs que j’ai entendus lors de divers événements. Frank Poule, grand manitou hirsute du Slam du Tremplin, n’avait pourtant pas manqué de réitérer son invitation à chaque début de saison. Sauf cette année, pour le cinquième anniversaire. Qu’on se le tienne pour dit: la psychologie inversée demeure le meilleur moyen d’hameçonner le journaliste culturel rétif.
J’avais à peine déposé mon Wilfrid Laurier fripé dans le pot que tend à l’entrée le directeur de la programmation du Tremplin 16-30, Charles Fournier, qu’un bras délicat m’agrippait. «Dominic, viens t’asseoir avec moi.» C’était la comédienne Marianne Roy, pétrifiée par la nervosité, qui, sans plus de cérémonie, me confiait le rôle de soutien moral. Elle s’apprêtait à slamer pour la première fois de sa vie ce soir-là. Un texte sans allitérations sur le sort réservé aux Premières Nations de la Côte-Nord. Parmi les autres pugilistes du verbe: un ado de 15, 16 ans de retour d’un séjour au Honduras, un valeureux jeune homme inquiet des conséquences du Plan Nord, un drôle de zig cinquantenaire coiffé d’une casquette de golf déclamant un poème animalier sur un lion végétarien (ou quelque chose du genre), un hippie foutrement confus (pardonnez le pléonasme), un handicapé adepte de l’amour courtois et quelques autres invraisemblables spécimens de poètes du dimanche qui conçoivent davantage la poésie comme un loisir que comme une mission existentielle. Après chacune des performances de trois minutes top chrono, cinq jurés-spectateurs octroient une note sur 10.
Est-ce que c’était aussi pénible que tu le craignais, Dominic, vous entends-je hurler. Ben non. Je me suis même souvent surpris à éclater de mon grand rire d’otarie. Impertinent, cabotin, ennemi juré de l’esprit de sérieux: Frank Poule assume pleinement son rôle de MC-fou du roi et désamorce la lourdeur qui mine parfois l’esprit bon enfant prévalant en général (un poème sur le Plan Nord, ça te casse un party). Le malaise et la bien-pensance se pointent parfois le bout du nez, c’est inévitable, mais jamais plus que dans une soirée de poésie moyenne.
La parodie du Take Me Out to the Ball Game qu’entonnent au début de chaque compétition Poule et la foule m’avait, je l’avoue, placé dans de bonnes dispositions: «Traîne-moé voir les jeux de mots / Où la parole s’enflamme / Y aura des poèmes en tabarnac / Et tant mieux si j’en deviens maniaque». Le slam est au baseball ce que l’improvisation est au hockey, me rappelais-je. Et c’est dans cette comparaison que j’ai trouvé la bonne attitude à adopter dans une soirée de slam, c’est-à-dire la même que lors d’un match d’impro. C’est ça: le slam entretient le même cousinage plus ou moins lointain avec la poésie écrite que l’impro avec le théâtre. Cherche-t-on le raffinement dramaturgique d’un Michel Marc Bouchard dans un match d’impro? Alors pourquoi chercher Miron dans une soirée de slam?
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La deuxième soirée Slam du Tremplin de la saison se tiendra le 4 octobre à 20h à la salle du Tremplin.
assez révélateur tant du scepticisme d’avant scène Slam que de l’éclectisme découvert sur place..
Au plaisir